Points de vue

La visite du Pape à Al-Azhar : répondre à un défi historique

Rédigé par Oussama Nabil et Thierry Rambaud | Mardi 9 Mai 2017 à 16:21



La visite du Pape François au Caire et à Al-Azhar, le 28 avril 2017, constitue un événement fondamental en cette période si troublée, de conflits, d’attentats et de persécutions. Le Saint Père est venu y délivrer un message de paix et poser les conditions d’un véritable dialogue entre les catholiques et les musulmans.

Quel symbole d’espoir dans un moment où les tensions ne cessent de croître ou les chefs d’État tiennent des discours de plus en plus guerriers et déstabilisateurs… Vraiment, ne sous-estimons pas ce qui s’est passé au Caire vendredi 29 avril. Les discours du Pape comme du Grand Imam Ahmed al-Tayyeb ont souligné le courage et la droite volonté de ces instances porteuses de paix et d’espérance de l'islam et du christianisme. Le courage de se réunir malgré la menace des terroristes et la volonté de partager la culture de la tolérance et de la paix dans un contexte mondial violent. Le Pape François déclarait ainsi vendredi dernier : « Que l’unique extrémisme admis pour les croyants est celui de la charité ! »

Tous les citoyens doivent disposer des mêmes droits

Ce discours s’inscrit dans le prolongement de la Déclaration fondamentale, signée début mars, à Al-Azhar et qui avait déjà marqué une étape importante. En effet, le Grand Imam avait clairement demandé aux responsables musulmans d’en terminer avec le concept de « dhimmitude » concernant les autres croyants, ceux des « gens du Livre » que sont les chrétiens et les juifs. On rappellera que les dhimmis payaient la jizya, c’est-à-dire des taxes, en échange de la protection de leurs lieux de culte et de leur vie contre des agressions. Dès lors que chrétiens et juifs participent avec les musulmans à la lutte contre la violence et l’extrémisme, un tel statut ne fait plus guère sens.

À la place du statut de dhimmitude qui traduit une infériorité en termes juridiques, le Grand Imam d’Égypte invite à privilégier l’appartenance commune à l’État national qui est défini par une Constitution reconnaissant les mêmes droits à tous les citoyens, quelle que soit leur religion. Le Grand Imam a rappelé que la citoyenneté, loin d’être étrangère à l’islam, était dans ses fondements mêmes et remontait à la Constitution de Médine, constitution mise en place par le Prophète avec les Chrétiens et les juifs. Il existait alors une égalité des droits entre les chrétiens, les juifs et les musulmans.

Le message est fort et actuel : tous les citoyens doivent disposer des mêmes droits, notamment en matière religieuse. Les mots sont clairs : ils disaient la nécessité de reconnaître un véritable statut juridique protecteur aux chrétientés orientales. La rencontre de ce 28 avril prolonge cette déclaration essentielle non seulement en plaçant l’accent sur deux dimensions essentielles.

Un véritable appel à une appartenance commune

En premier lieu, en soulignant la nécessité d’approfondir les conditions d’un véritable dialogue entre les deux grandes religions. Mais, à quelles conditions ce dialogue est-il possible ? Un véritable dialogue « sincère » repose sur une règle des 3 « C » : connaître l’autre, le comprendre, et également copartager avec lui une responsabilité envers le monde et la construction de son avenir. Le dialogue ne peut être seulement une affaire de connaissances mutuelles, il doit être également praxis sur le terrain politique et social en reconnaissant les libertés fondamentales de tous les citoyens, quelle que soit leur appartenance religieuse.

En second lieu, en évoquant la contribution essentielle des religions à l’édification de la paix civile et religieuse au service du bien commun dont la responsabilité échoit à la communauté politique naturelle qui est l’État. C’est à ce dernier qu’appartient la responsabilité de cohésion et de consolidation de la volonté commune qui est à l’origine du « faire en commun ». Il importe ici de rappeler l’importance majeure de « l’État constitutionnel » qui doit faire prévaloir les principes de citoyenneté, d’égalité et de prééminence du droit.

Ces derniers permettent l’organisation de la vie en commun et l’État ne doit pas abdiquer ses prérogatives à des communautés particulières. C’est à un véritable appel à une appartenance commune à la même communauté politique qui est ainsi lancée par les hauts responsables religieux. Cette haute mission implique de réformer le discours religieux afin que ce dernier réponde à l'évolution du temps et se situe à la hauteur de cette rencontre historique.

Vers une revisitation de la notion de citoyenneté

Moins de deux semaines après les odieux attentats de Taranta et d'Alexandrie, il y a peut-être dans cette rencontre, ce discours et ce texte, l'esquisse – tout du moins des clés – d'une solution politique, d'un bouclier de protection des chrétiens d'Orient si terriblement frappés. Certes, cette déclaration ne peut tout et les propos du Pape comme ceux du Grand Imam peuvent susciter encore indifférence, résignation ou même provocation. De la même manière, cette revisitation de la notion de « citoyenneté » en islam doit en appeler d’autres, notamment en matière d’État, avec la oumma, et de libertés fondamentales.

Le message de cette rencontre n’en revêt pas moins une dimension universelle et, à ce titre, il interpelle tant les responsables politiques, que les dignitaires religieux que les universitaires.

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Oussama Nabil est directeur du département des études francophones de l’Université Al-Azhar (Le Caire), professeur d’islamologie, membre du conseil scientifique de l’Observatoire d’études géopolitiques (OEG). Thierry Rambaud est professeur à l’Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité et directeur des études de l’OEG de Paris. Extrait du bulletin de mai-juin de l'OEG.