En 2003, quand la Commission Stasi avait discuté sur ce qui allait devenir la loi de 2004, un de ses membres avait proposé d’interdire le port de « signes et de tenues religieuses et politiques » par les élèves. D’autres membres de la Commission avaient alors répliqué qu’une liste limitative s’avérait nécessaire pour deux raisons. D’abord, la liberté devait rester la règle et l’interdiction l’exception ; ensuite, comme le remarquait un autre de ses membres, il ne fallait pas entrer dans le « jeu stupide du chat et de la souris, où tout peut devenir signe religieux ou être considéré comme tel ». Eh bien, certains profs, heureusement minoritaires – mais quand même ! – entrent dans ce jeu-là !
Fruit de la discussion interne, la proposition de la Commission Stasi (1) (votée à l’unanimité moins une abstention, la mienne) proposait d’interdire dans les écoles, collèges et lycées publics « les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse et politique ». Il était précisé que cette disposition « serait inséparable de l’exposé des motifs suivant » : « Les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont, par exemple, médailles, petites-croix, étoiles de David, mains de Fatma, ou petits Coran. »
Fruit de la discussion interne, la proposition de la Commission Stasi (1) (votée à l’unanimité moins une abstention, la mienne) proposait d’interdire dans les écoles, collèges et lycées publics « les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse et politique ». Il était précisé que cette disposition « serait inséparable de l’exposé des motifs suivant » : « Les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont, par exemple, médailles, petites-croix, étoiles de David, mains de Fatma, ou petits Coran. »
Un retour dans le passé s'impose
Jean Baubérot
Quelques commentaires peuvent être faits :
• Il était question de « tenues et signes manifestant une appartenance religieuse et politique » mais la liste ne concernait que les tenues et signes religieux et, de fait, la loi de 2004 ne parlera plus de tenues et signes politiques.
• L’expression de « signes ostensibles » permettait de tracer une frontière plus restrictive que simplement des signes « manifestant une appartenance religieuse », dans la mesure où porter une croix, une étoile de David ou un petit Coran sont une manière de visibiliser son appartenance religieuse. Toute indication d’appartenance n’était pas proscrite. Notons que personne n’a pensé aux jupes, parce que c’était de l’ordre de l’impensable !
• La « grande croix » était une construction de la Commission, inventée pour faire croire que toutes les religions étaient visées à égalité. Cela n’a abusé que celles et ceux qui voulaient l’être. En revanche, la Commission n’avait pas parlé du turban sikh, qui a été ensuite interdit.
• Pour ce qui me concerne, j’avais d’abord proposé de solenniser l’avis du Conseil d’Etat de 1989, dont j’avais constaté qu’il était mal connu de pas mal de profs : autorisation de signes religieux, à condition qu’ils ne s’accompagnent pas de comportements qui mettent en cause la neutralité de l’institution scolaire (refus de la discipline ou du contenu de certains cours, prosélytisme,...). Ensuite, j’avais fait une seconde proposition : interdire seulement les « tenues ostensibles » et préciser que le bandana n’était pas compris dans cette interdiction. Une telle proposition intéressait plusieurs membres de la Commission, mais le staff avait obtenu qu’elle ne soit pas mise au vote.
• Dans les débats internes de la Commission, il avait été clairement précisé que, puisqu’il était question des « élèves », cela signifiait que l’interdiction proposée ne concernait en aucune manière les parents d’élèves, y compris quand ils étaient à l’intérieur des établissements scolaires. De même, pour l’Université, le rapport indique : « Les étudiants sont des personnes majeures. L’université doit être ouverte sur le monde. Il n’est donc pas question d’empêcher que les étudiants puissent y exprimer leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. »
• D’autres propositions étaient faites par la Commission, dont celle d’inclure une fête musulmane et une fête juive parmi les jours fériés scolaires (en enlevant deux jours des grandes vacances) et d’autres qui visaient à faire de la lutte contre les discriminations une « priorité nationale », à « supprimer les discriminations induites par les politiques publiques, » et à « respecter la diversité » : le détail précis des mesures à prendre est dans le rapport.
• La Commission Stasi reconnaissait que sa proposition de loi « pourrait favoriser le recours à l’enseignement privé » qui n’y serait pas soumis, mais jugeait que cet inconvénient n’était pas « dirimant » (sic !).
L’élaboration de la circulaire d’application de la loi du 15 mars 2004 a donné lieu à des débats. Une première version interdisait le port de la barbe aux élèves. Finalement, on s’en est tenu aux trois signes mentionnés par la Commission Stasi, en inversant l’ordre et en indiquant : « le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. » Cependant, un ajout précisait : « La loi est rédigée de manière à pouvoir s’appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes, voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi. »
Sur le moment, personne, y compris moi, n’y a porté grande attention et sous la présidence de Chirac, à part le turban sikh oublié, la liste limitative a été respectée. De manière générale, la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a prévenu toute extension de la loi à des domaines qui ne la concernaient pas (mères de famille, université...). Sous le grandiose mandat de notre bien-aimé Sarkozy, dont on ne dira jamais à quel point il fut fructueux (voyez sa double politique en Libye, exemple entre mille), il en fut autrement et la HALDE fut normalisée, puis supprimée. A ma connaissance, les premières affaires de jupes trop longues datent de 2011. A l’époque, j’avais participé à une réunion où il avait été indiqué à des profs que c’était une lecture abusive de la loi de 2004, et personne n’avait invoqué la circulaire pour prétendre le contraire.
Mais, comme chacun sait, la France est « le pays des droits de l’homme » (mais pas celui des droits de la guillotinée Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne... et, en l’an 2015, on en est à se poser des questions essentielles pour la survie de la République, de la démocratie et de la laïcité réunies : quelle est la longueur de la jupe des élèves ? Si elle est longue : est-elle uniformément noire ou comporte-t-elle des motifs ? Où cette jupe a-t-elle été achetée ? L’élève concernée porte-t-elle un foulard qu’elle enlève en entrant à l’école (se conformant ainsi strictement à la loi !) ? Etc. Tous ces exemples sont réels.
• Il était question de « tenues et signes manifestant une appartenance religieuse et politique » mais la liste ne concernait que les tenues et signes religieux et, de fait, la loi de 2004 ne parlera plus de tenues et signes politiques.
• L’expression de « signes ostensibles » permettait de tracer une frontière plus restrictive que simplement des signes « manifestant une appartenance religieuse », dans la mesure où porter une croix, une étoile de David ou un petit Coran sont une manière de visibiliser son appartenance religieuse. Toute indication d’appartenance n’était pas proscrite. Notons que personne n’a pensé aux jupes, parce que c’était de l’ordre de l’impensable !
• La « grande croix » était une construction de la Commission, inventée pour faire croire que toutes les religions étaient visées à égalité. Cela n’a abusé que celles et ceux qui voulaient l’être. En revanche, la Commission n’avait pas parlé du turban sikh, qui a été ensuite interdit.
• Pour ce qui me concerne, j’avais d’abord proposé de solenniser l’avis du Conseil d’Etat de 1989, dont j’avais constaté qu’il était mal connu de pas mal de profs : autorisation de signes religieux, à condition qu’ils ne s’accompagnent pas de comportements qui mettent en cause la neutralité de l’institution scolaire (refus de la discipline ou du contenu de certains cours, prosélytisme,...). Ensuite, j’avais fait une seconde proposition : interdire seulement les « tenues ostensibles » et préciser que le bandana n’était pas compris dans cette interdiction. Une telle proposition intéressait plusieurs membres de la Commission, mais le staff avait obtenu qu’elle ne soit pas mise au vote.
• Dans les débats internes de la Commission, il avait été clairement précisé que, puisqu’il était question des « élèves », cela signifiait que l’interdiction proposée ne concernait en aucune manière les parents d’élèves, y compris quand ils étaient à l’intérieur des établissements scolaires. De même, pour l’Université, le rapport indique : « Les étudiants sont des personnes majeures. L’université doit être ouverte sur le monde. Il n’est donc pas question d’empêcher que les étudiants puissent y exprimer leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. »
• D’autres propositions étaient faites par la Commission, dont celle d’inclure une fête musulmane et une fête juive parmi les jours fériés scolaires (en enlevant deux jours des grandes vacances) et d’autres qui visaient à faire de la lutte contre les discriminations une « priorité nationale », à « supprimer les discriminations induites par les politiques publiques, » et à « respecter la diversité » : le détail précis des mesures à prendre est dans le rapport.
• La Commission Stasi reconnaissait que sa proposition de loi « pourrait favoriser le recours à l’enseignement privé » qui n’y serait pas soumis, mais jugeait que cet inconvénient n’était pas « dirimant » (sic !).
L’élaboration de la circulaire d’application de la loi du 15 mars 2004 a donné lieu à des débats. Une première version interdisait le port de la barbe aux élèves. Finalement, on s’en est tenu aux trois signes mentionnés par la Commission Stasi, en inversant l’ordre et en indiquant : « le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. » Cependant, un ajout précisait : « La loi est rédigée de manière à pouvoir s’appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes, voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi. »
Sur le moment, personne, y compris moi, n’y a porté grande attention et sous la présidence de Chirac, à part le turban sikh oublié, la liste limitative a été respectée. De manière générale, la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a prévenu toute extension de la loi à des domaines qui ne la concernaient pas (mères de famille, université...). Sous le grandiose mandat de notre bien-aimé Sarkozy, dont on ne dira jamais à quel point il fut fructueux (voyez sa double politique en Libye, exemple entre mille), il en fut autrement et la HALDE fut normalisée, puis supprimée. A ma connaissance, les premières affaires de jupes trop longues datent de 2011. A l’époque, j’avais participé à une réunion où il avait été indiqué à des profs que c’était une lecture abusive de la loi de 2004, et personne n’avait invoqué la circulaire pour prétendre le contraire.
Mais, comme chacun sait, la France est « le pays des droits de l’homme » (mais pas celui des droits de la guillotinée Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne... et, en l’an 2015, on en est à se poser des questions essentielles pour la survie de la République, de la démocratie et de la laïcité réunies : quelle est la longueur de la jupe des élèves ? Si elle est longue : est-elle uniformément noire ou comporte-t-elle des motifs ? Où cette jupe a-t-elle été achetée ? L’élève concernée porte-t-elle un foulard qu’elle enlève en entrant à l’école (se conformant ainsi strictement à la loi !) ? Etc. Tous ces exemples sont réels.
Un engrenage malsain visant l'islam
Petit jeu qui demande beaucoup de créativité : à ce rythme-là, où en sera-t-on dans 10 ans ? Peut-être à déshabiller les jeunes filles à l’entrée de l’école pour vérifier si rien ne pourrait pas être considéré comme « islamique » dans leurs dessous ! Ou à quelque chose d’encore plus dingue, impossible à imaginer aujourd’hui. Si, à la Commission Stasi, quelqu’un avait suggéré un éventuel problème de « jupe » dans l’avenir, tout le monde se serait demandé s’il était devenu fou ou s’il faisait une insupportable provoc. On est, de fait, entré aujourd’hui dans un engrenage dont nul ne peut savoir où il nous mènera.
Briand, en 1905, refusant un amendement qui demandait que la loi de 1905 reprenne l’interdiction émis par Bonaparte, et qui était tombée en désuétude, d’interdire le port de la soutane dans l’espace public, avait énoncé qu’une telle interdiction serait contraire à la séparation, et, qu’en plus elle lui paraissait « ridicule ».
Il y a longtemps que le ridicule ne tue plus, dit-on, sauf que :
• Le ridicule peut indirectement tuer en poussant celles et ceux qui ne demandent que le respect de la liberté de conscience, dans les bras d’extrémistes dangereux.
• Les quelques profs qui sont dans une inflation laïque, un engrenage sans fin n’auront que ce qu’ils méritent si Marine Le Pen arrive au pouvoir en 2017. Le problème est que, par leur stupidité contre-productive, ils imposeront alors Mme Le Pen à tous les enseignants, et même à tout le monde.
(1) Sur le déroulement de la Commission Stasi et l’attitude que j’y ai adoptée, lire mon article « L’acteur et le sociologue. La Commission Stasi », in D. Naudier et M. Simonet (dir.), Des sociologues sans qualités ? Pratiques de recherches et engagements, La Découverte, 2011, p. 99-116.
****
Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), Jean Baubérot est l'auteur, notamment, de deux « Que sais-je ? », de La laïcité expliquée à M. Sarkozy (Albin Michel) et (avec M. Milot) de Laïcités sans frontières (Le Seuil). Il est également auteur de Une si vive révolte (Ed. de l'Atelier) en février 2014. Première parution de cet article le 29 avril 2015 dans Laïcité et regard critique sur la société.
Briand, en 1905, refusant un amendement qui demandait que la loi de 1905 reprenne l’interdiction émis par Bonaparte, et qui était tombée en désuétude, d’interdire le port de la soutane dans l’espace public, avait énoncé qu’une telle interdiction serait contraire à la séparation, et, qu’en plus elle lui paraissait « ridicule ».
Il y a longtemps que le ridicule ne tue plus, dit-on, sauf que :
• Le ridicule peut indirectement tuer en poussant celles et ceux qui ne demandent que le respect de la liberté de conscience, dans les bras d’extrémistes dangereux.
• Les quelques profs qui sont dans une inflation laïque, un engrenage sans fin n’auront que ce qu’ils méritent si Marine Le Pen arrive au pouvoir en 2017. Le problème est que, par leur stupidité contre-productive, ils imposeront alors Mme Le Pen à tous les enseignants, et même à tout le monde.
(1) Sur le déroulement de la Commission Stasi et l’attitude que j’y ai adoptée, lire mon article « L’acteur et le sociologue. La Commission Stasi », in D. Naudier et M. Simonet (dir.), Des sociologues sans qualités ? Pratiques de recherches et engagements, La Découverte, 2011, p. 99-116.
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Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), Jean Baubérot est l'auteur, notamment, de deux « Que sais-je ? », de La laïcité expliquée à M. Sarkozy (Albin Michel) et (avec M. Milot) de Laïcités sans frontières (Le Seuil). Il est également auteur de Une si vive révolte (Ed. de l'Atelier) en février 2014. Première parution de cet article le 29 avril 2015 dans Laïcité et regard critique sur la société.
Du même auteur :
Emile Poulat, pionnier dans l’étude de la laïcité
Au Québec, la défaite d’une laïcité dogmatique
Laïcité : le Haut Conseil à l'intégration et le bonnet d’âne ostensible
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