Religions

Larbi Kechat, dans le prolongement de l’Andalousie musulmane

Rédigé par Kechat Entretien avec larbi | Lundi 10 Janvier 2005 à 00:00

Le centre socioculturel de la mosquée Adda’wa ouvre un nouveau cycle de conférences samedi 15 janvier 2005. Située au numéro 39 de la rue de Tanger dans le 19e arrondissement de Paris, cette mosquée se veut « un espace d’échanges » où depuis bientôt dix ans, chrétiens, musulmans et non croyants se retrouvent pour débattre. Entretien avec le Cheikh Larbi Kéchat, recteur de la mosquée Adda’wa.



Le centre socioculturel de la mosquée Adda’wa ouvre un nouveau cycle de conférences samedi 15 janvier 2005. Située au numéro 39 de la rue de Tanger dans le 19e arrondissement de Paris, cette mosquée se veut « un espace d’échanges » où depuis bientôt dix ans, chrétiens, musulmans et non croyants se retrouvent pour débattre. Entretien avec le Cheikh Larbi Kéchat, recteur de la mosquée Adda’wa.

 

Saphirnet.info: Vous avez choisi le thème de la fraternité pour ouvrir le cycle de conférences de cette année. Quel sens donnez-vous à ce choix ?

Notre constat est que les relations humaines s’inscrivent dans trois cercles. Le cercle de la généalogie, le cercle des alliances et le cercle de la fraternité. Dans cette perspective, il faut avoir présent à l’esprit la force de l’Islam qui veut nous libérer de toutes les étiquettes. L’on n’est pas responsable de son affiliation parce qu’on ne choisit pas ses parents. D’un autre côté, l’esprit de tribalisme et des alliances, n’exprime qu’un besoin qui est créé par une pensée inférieure. La fratrie ne relève d’ailleurs pas de notre choix. Mais ce qui relève de notre choix c’est de regarder l’autre comme un miroir qui reflète la beauté de Dieu. C’est cela la fraternité. C’est l’aptitude à donner sans rien attendre en retour. Donner pour Dieu.

 

Combien de personnes attendez-vous ?

Les conférences se tiendront au centre culturel de la mosquée Adda’wa. Nous allons, avec l’aide de Dieu, entamer la dixième édition de ces cycles de conférences. D’ordinaire, nous accueillons environ deux cents personnes.

 

Dix années ininterrompues de conférences, cela fait un bon bout de chemin.

C’est vrai. Cela s’explique par notre confiance inébranlable en Dieu et notre confiance en la place que nous accordons à ce type de rencontres. Pour nous, ce type d’activités est un don. Une forme de Zakat (aumône rituelle obligatoire en islam, ndlr). Car tout ce qui imprègne notre vie vient de Dieu. Et pour le mériter davantage, il faut transformer sa vie en une sorte de canal connecté à l’environnement humain pour véhiculer la beauté, la bonté et la générosité.

 

A quel public s’adressent donc ces conférences ?

Le public de nos conférences, tout comme le public qui fréquente la mosquée, est à l’image de la pluralité de la société française dans laquelle nous vivons. Il est très hétérogène. Vous avez « monsieur tout le monde », musulman ou non. Vous avez des étudiants et des chercheurs, vous avez aussi des universitaires. C’est donc un public diversifié qui rime avec la diversité des thèmes abordés et la diversité des intervenants.

 

Qui sont vos internants et qu’est ce qui guide votre choix ?

Les questions que nous traitons sont, avant tout, des questions d’actualité. Mais ces questions sont aussi multidimensionnelles. Pour ce samedi 15 janvier 05, par exemple, chacune des thématiques pose la question de la fraternité. Cette notion de fraternité diffère d’une culture à l’autre. Pour cette raison nous avons un intervenant qui vit dans le courant de la question musulmane, un intervenant chrétien, et d’autres experts institutionnels et non institutionnels de la même question. Pour chacun de ces intervenants la fraternité est un horizon vu à partir de différents angles. Nous les choisissons donc en fonction de leurs compétences par rapport à la question. Pour chaque thème, nous recherchons des personnes qui pourraient nous régénérer.

 

Comment expliquez-vous que de telles rencontres où musulmans et non musulmans prennent la parole autour d’un même thème soient si rares en milieux musulmans ?

C’est vrai que ce type de rencontres n’est pas fréquent. Et ce que nous faisons est la première expérience du genre en Europe. A ceux qui, comme vous, s’interrogent sur ce choix que nous avons fait, j’ai l’habitude de dire que l’expérience initiée par le Centre socioculturel de la mosquée Adda’wa peut être considérée comme un prolongement de l’expérience de l’Andalousie musulmane. Pour nous, Islam rime avec universalité. Une universalité à l’exemple du soleil. Voyez comment le soleil offre la lumière et la chaleur à tout ce qui existe sur terre. C’est notre idée de l’universalité. Elle va au-delà des cloisonnements religieux et des expériences culturelles. Cette universalité qui habite chacun fait que la mosquée doit s’ouvrir sur son environnement. Cette ouverture est importante et nécessaire. Voyez une personne qui est angoissée. Elle se tient les poings fermés, à la manière d’un boxeur prêt à attaquer. Or rien qu’en desserrant les poings, donc en ouvrant les mains, on chasse l’angoisse et on retrouve son calme. C’est alors que l’on est prêt à donner. Et c’est en donnant que l’on reçoit.

 

Au mois de février votre conférence porte sur le sida…

Oui. Elle a lieu le 5 février à l’occasion de journée mondiale de lutte contre le sida. Ce thème, comme certains autres, est récurrent. Chaque année, nous revenons sur le thème du sida. Ce séminaire se tiendra en partenariat avec le CRIPS, la DDASS de Paris, la Direction générale de la santé, l’Institut de médecine et d’épidémiologies africaines (IMEA), la Mairie du XIXème arrondissement de Paris, l’Organisation Mondiale de la Santé. Nous étions les premiers, au niveau des musulmans, à inscrire la question du sida dans nos débats au cœur de la mosquée. Nous estimons que le sida fait partie de la réalité. Et cette question n’est pas tabou pour nous. Nous avons créé un service de médiation au centre social de la mosquée qui nous permet de toucher et d’accueillir les personnes touchées par la maladie. Nous étions ainsi la première mosquée à donner l’occasion à nos frères et à nos sœurs de toute culture et de toutes religions de parler de leurs problèmes liés à cette épidémie.

 

Votre programme annonce aussi une journée pour la femme.

C’est la troisième conférence de notre cycle. Elle aura lieu le 12 mars à l’occasion de la journée internationale de la femme. Nous l’avons intitulée: féminité violentée = virilité épouvantée, de la violence à la bienveillance. Aujourd’hui, tout le monde parle de la violence faite aux femmes. Nous avons d’effroyables statistiques sur le sujet. Nous nous proposons de rechercher le pourquoi de cette violence. Et mon avis personnel est que ceux qui violentent les femmes sont des gens qui ont forcément des problèmes. Je pense que c’est un malaise masculin qui s’exprime sous la forme d’une violence faite à la femme.

 

Quelles sont les conditions de participation à ces conférences ?

L’entrée est libre pour la conférence sur le sida. Pour les autres conférences, il faut une inscription. Ceci pour sensibiliser nos frères et nos sœurs à l’importance de l’instruction. Il ne s’agit pas de rencontres autour de débats d’ordre émotionnel. Non. Nous essayons de créer un courant de pensée et d’échanges. Certains de nos intervenants sont déjà connus de notre public. Mais chaque année nous accueillons de nouveaux intervenants qui nous apportent du sang neuf.

 

Propos recueillis par Amara Bamba