Saphirnews : En décembre 2015, vous avez été agressée à l’Assemblée nationale en raison de votre foulard. Avez-vous été victime d’incidents similaires ailleurs ?
Oui. Un an après la création de l’association, j’ai fait une conférence dans une petite ville française. Je suis sortie naïvement de la salle en y laissant les agents de sécurité de la mairie. Là, une femme et un homme m’ont agressé (verbalement) me reprochant ma manière de parler, de m’exprimer sur les valeurs, sur la République. Ils disaient que je n’avais rien à faire ici et que je devrais rentrer « chez moi ».
Au début (de son aventure associative), je n’avais pas pris ça au sérieux. Je me disais que c’étaient des personnes racistes qui n’ont pas beaucoup voyagé. Mais cela arrive souvent. On m’a dit à propos de mon agression à l’Assemblée : « Ce ne sont que des mots… ». Mais je pense que les mots peuvent blesser bien plus que des armes. Je me suis vraiment sentie humiliée. (NDLR: Une enquête judiciaire suit son son cours après la plainte de Latifa Ibn Ziaten)
Au début (de son aventure associative), je n’avais pas pris ça au sérieux. Je me disais que c’étaient des personnes racistes qui n’ont pas beaucoup voyagé. Mais cela arrive souvent. On m’a dit à propos de mon agression à l’Assemblée : « Ce ne sont que des mots… ». Mais je pense que les mots peuvent blesser bien plus que des armes. Je me suis vraiment sentie humiliée. (NDLR: Une enquête judiciaire suit son son cours après la plainte de Latifa Ibn Ziaten)
Depuis son décès, vous dévouez entièrement votre vie à la mémoire d’Imad. Quelles relations entretenez-vous désormais avec vos autres enfants ?
Latifa Ibn Ziaten : J’ai créé cette association en accord avec ma famille. Lorsque j’ai appris la disparition de mon fils, ce fut un moment difficile. On a sali sa mémoire. Pourtant c’était un militaire musulman qui servait la République. Une partie de la presse a dit que c’était un délinquant, que l’assassinat était dû à un trafic de drogue ou un acte de jalousie parce que c’était un beau garçon. On nous a humilié au commissariat, nous avons été soupçonnés. Cette souffrance reste encore dans nos cœurs.
J’ai décidé de créer cette association pour aider cette jeunesse à l’origine de ma souffrance. J’ai prévenu mes enfants que cela pourrait peut-être susciter beaucoup de démarches ou de déplacements. Il est vrai que ma vie a changé, aujourd’hui je vis pour les autres, pour la mémoire de mon fils. Et mes enfants me soutiennent, mon mari aussi. Mon fils a refusé de se mettre à genoux, il est mort debout. Ce message est fort, je n’ai pas le droit de baisser les bras.
J’ai décidé de créer cette association pour aider cette jeunesse à l’origine de ma souffrance. J’ai prévenu mes enfants que cela pourrait peut-être susciter beaucoup de démarches ou de déplacements. Il est vrai que ma vie a changé, aujourd’hui je vis pour les autres, pour la mémoire de mon fils. Et mes enfants me soutiennent, mon mari aussi. Mon fils a refusé de se mettre à genoux, il est mort debout. Ce message est fort, je n’ai pas le droit de baisser les bras.
Pourquoi avoir choisi de mettre en avant le mot tolérance pour le titre du livre « Dis nous Latifa c’est quoi la tolérance ? » ? C’est plutôt la question du dialogue qui nous a paru au centre des échanges retranscrits dans cet ouvrage.
Latifa Ibn Ziaten : Lorsque j’interviens auprès des jeunes, des élèves me demandent « C’est quoi la tolérance, Madame Latifa Ibn Ziaten ? » J’ai entendu cette phrase dans plusieurs établissements. J’interroge alors le professeur : comment se fait-il qu’ils ne comprennent pas ce que c’est ? Aux élèves, je réponds que c’est se respecter mutuellement, d’aller vers l’Autre. Dans tous les établissements, la même question revenait.
Vous racontez cet épisode marquant où un enseignant dit que ses élèves ont refusé de respecter la minute de silence. Vous discutez alors avec eux, leur demandez de faire une minute de silence et ils finissent par accepter. Pourquoi ont-ils approuvé votre démarche selon vous ?
Latifa Ibn Ziaten : C’est parce que je suis à leur écoute. Je crée une proximité avec eux, je suis comme une deuxième mère pour eux pour certain une deuxième chance. Je leur ai demandé, dans le cas où il leur arriverait de perdre un frère ou un ami, ce qu’il penserait si, dans leur école, le directeur demandait de faire une minute de silence et qu’une personne refusait de respecter cela. C’est là qu’ils me répondent que oui, il faut faire la minute de silence. C’est tout simple. Quand j’étais jeune et que je marchais avec ma mère, tout le monde s’arrêtait lorsqu’on voyait un cercueil passer, jusqu'à qu’il disparaisse (de la vue). Je disais à ma mère : « Pourquoi faut-il s’arrêter ? On ne le connaît même pas. » Elle me répondait : « Par respect ma fille. Un jour, quelqu’un s’arrêtera pour nous. »
Est-ce qu’il vous arrive de refuser des invitations ou des interventions ?
Latifa Ibn Ziaten : Non. Sauf si mon agenda ne le permet pas.
N’avez-vous pas le sentiment parfois de servir de caution en vous affichant aux côtés de personnes pas très sincères qui souhaitent simplement prouver qu’ils n’ont pas de problème avec les musulmans ou les immigrés ?
Latifa Ibn Ziaten : Je ne suis ni de droite ni de gauche. Cela m’arrive d’être dans certains lieux et de me demander pourquoi je suis là. Je ne peux pas citer d’exemple mais ça m’arrive d’être là sans être là. Après, j’ai des regrets. Alors maintenant, j’essaie de vérifier qui m’envoie une invitation. Je n’accepte pas les marchés. Je n’aime pas qu’on me dise : « Je te donne ça et, en échange, tu me fais ça ou tu dis ça ».
Vous participez à des événements avec le CRIF qui a une image pour le moins controversé aux yeux d’une partie de citoyens musulmans. Comment vivez-vous les reproches qui peuvent vous être formulés ?
Latifa Ibn Ziaten : Mon association est ouverte à tous, il n’y a pas de frontières. Quand le CRIF m’invite, j’y vais. Pourquoi ? Parce que l’assassin de mon fils a aussi tué des enfants juifs. Nous avons quelque chose en commun. Imaginez si, à l’invitation du CRIF ou de politiciens, je n’y vais pas parce que j’ai peur du regard des autres… Je pense qu’il faut aller partout où il faut aller.
Vous avez ouvert une maison des parents à Garges-lès-Gonesses (Val d’Oise). En quoi consiste son rôle ?
Latifa Ibn Ziaten : Imad aimait beaucoup être en famille. Quand je demande aux jeunes s’ils partagent des repas en famille, ils me répondent « parfois ». Imad, lui, c’était tous les jours. Lorsqu’il revenait de Toulouse, il me disait « Qu’est-ce que cette table m’a manqué ! » La maison des parents a pour but de créer du lien entre l’enfant et la mère. Faire un gâteau ensemble permet de discuter pendant sa préparation puis de commenter le résultat. Il y a des garçons qui parlent peu à leur mère surtout quand ils grandissent. Nous essayons de faire de la prévention pour qu’ils n’entrent pas dans les sectes. Il ne faut pas les laisser s’isoler. Quand je vois tous ces jeunes en prison, ça me rend malade. Un jeune qui risque sa vie, celle des autres, laisse une famille en souffrance et sème la terreur dans sa ville, il salit le nom de l’islam. A Garges-lès-Gonesse, je veux prévenir les parents sur l’importance de l’éducation.
Depuis le début de votre engagement, quel est le plus beau moment que vous retenez ?
Latifa Ibn Ziaten : Quand Sa majesté le roi du Maroc m’a reçu. J’ai quitté le pays à 17 ans et je pensais qu’on m’avait oublié mais le Maroc n’oublie jamais ses enfants. Sa Majesté était présente au moment du décès de mon fils, au moment du deuil. Le roi m’a donné beaucoup de courage, cela restera gravé.
Un film se prépare sur vous (« Latifa, le cœur au combat »), que pourra-t-on y voir ?
Dis nous Latifa, c'est quoi la tolérance?
Latifa Ibn Ziaten : Mon combat. On me suit dans les établissements scolaires, dans les maisons d’arrêts ou auprès de parents. Cela va montrer le travail que je fais, les difficultés que je rencontre mais aussi celles que les gens vivent.
Il y a aussi les jeunes qui réussissent et dont on ne parle pas. J’ai laissé une entière liberté aux réalisateurs (Olivier Peyron et Cyril Brody, ndlr) pour filmer ma réalité.
Il y a aussi les jeunes qui réussissent et dont on ne parle pas. J’ai laissé une entière liberté aux réalisateurs (Olivier Peyron et Cyril Brody, ndlr) pour filmer ma réalité.
Latifa Ibn Ziaten, Dis nous Latifa, c'est quoi la tolérance?, Les Editions de l'Atelier, janvier 2016, 96 pages, 5 €.
Lire aussi :
Latifa Ibn Ziaten : même sans Merah, « je tiens à un procès »
Mohamed Sifaoui n'encadre pas Latifa Ibn Ziaten et son voile (vidéo)
Agressée, Latifa Ibn Ziaten va porter plainte, le PS condamne
Pour Latifa Ibn Ziaten
La Légion d'honneur décernée à Latifa Ibn Ziaten à l'Elysée
Imad Ibn Ziaten, première victime de Merah décorée à titre posthume
Latifa Ibn Ziaten : même sans Merah, « je tiens à un procès »
Mohamed Sifaoui n'encadre pas Latifa Ibn Ziaten et son voile (vidéo)
Agressée, Latifa Ibn Ziaten va porter plainte, le PS condamne
Pour Latifa Ibn Ziaten
La Légion d'honneur décernée à Latifa Ibn Ziaten à l'Elysée
Imad Ibn Ziaten, première victime de Merah décorée à titre posthume