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Le Frère impossible, l’histoire de deux destins façonnés par l’absence d’un père

Reçu à Saphirnews

Rédigé par Lionel Lemonier | Vendredi 3 Mars 2023 à 13:00



L'avis de Saphirnews

A travers son roman Le frère impossible, Alexandre Feraga règle ses comptes. Avec son père d’abord, puis avec ses demi-frères et sœurs, et surtout avec Samir, le demi-frère ainé qui l’a pourchassé de sa haine dès sa plus tendre enfance. Le récit commence avec un chapitre « explicatif », le moment où son père, qui a déjà quatre enfants dont un bébé, enlève sa progéniture à leur mère, Khadija, alors en Algérie, pour rejoindre Zina, la grand-mère installée à Sarcelles, en région parisienne.

Une condamnation au désespoir pour Khadija, victime d’une cabale organisée par une famille entière. Ce sera surtout la source d’un terrible manque d’affection et de futurs déséquilibres qui engendreront une sourde hostilité envers le petit frère, Alexandre, né en 1979 en France et issu d’une seconde union. « Ses enfants (nés de Khadija) ne seront jamais d’ici ou de là-bas. Ils grandissent contre leur sang. Car après deux ans d’exil forcé, ils peuvent en oublier des choses : les sonorités de leur langue maternelle, les saveurs du pays et les contours de leur mère. Zina continue d’ajuster le mythe de Khadija qui est déjà plus que moribonde depuis qu’on lui a volé ses enfants », écrit l’auteur.

La suite de ce roman autobiographique est construite en épisodes chronologiques dans lesquels Samir, devenu bourreau, s’ingénie à martyriser le petit frère honni car le seul à bénéficier d’une mère biologique. On se demande comment la mère d’Alexandre ne s’est jamais rendue compte de la situation. Pour le père, on comprend tout de suite. « Ma mère est radieuse. Elle a réussi à dupliquer l’amour qu’elle porte à mon père. Derrière l’apparente sérénité de la femme, se cache à peine le désintérêt de l’homme. Il n’a pas désiré l’enfant, mais la paix. Il a bien réfléchi puis a conclu que cette promesse de couche ne l’engageait pas plus que les précédentes. Il est donc entré dans cette chambre, il s’est dit que le moment venu, il ferait ce qu’il a toujours fait : fixer son regard dans la direction opposée à ses responsabilités pendant que les enfants gigotent sur le sol et admirent le grand pschitt du père éthéré », raconte l’auteur.

Mais le petit Alexandre est aussi un observateur. Sous les coups et les mauvais traitements, il voit tout, entend tout, et tient la chronique des catastrophes annoncées. Car Samir ne se contente pas de tourner sa rage sur lui ; il accumule les petits méfaits et larcins pendant que le père, devenu alcoolique, bat sa femme et son fils aîné pour leur apprendre ce qu'il appelle le respect. « Le père essaie de rattraper par la force ce qu’il a laissé filer par l’absence. C’est incroyable le temps qu’il prend à se venger d’un affront dont il est le seul coupable. »

On le pressent dès les premiers chapitres : Alexandre va s’en sortir alors que Samir, le révolté, s’enfuira de la maison pour échapper aux coups et au mépris paternels. Ce grand frère harceleur parce que malheureux finira dans les mains des fous de Dieu et connaitra un destin tragique en Afghanistan.

Après avoir renié ce frère pendant des années, l’auteur a fini par se rendre à l’évidence : « Il m’aura fallu reconquérir le temps pour accepter notre filiation et admettre que nous nous sommes efforcés tous les deux de devenir des fils. (…) Admettre avec modestie, qu’entre lui et moi, il n’y aurait jamais ni vainqueur ni vaincu. Entre nous, il n’y aura jamais eu qu’un père qui n’en fut pas un. » L’écriture est précise. Les phrases courtes sonnent justes. Plus qu’un roman autobiographique, Le frère impossible est un témoignage poignant des malheurs que peut engendrer l'absence d'affection chez des enfants.

Présentation de l'éditeur

« Des quatre enfants escamotés, il n’y a que Samir qui continue de croire à l’enchantement de ce départ. Depuis qu’ils ont embarqué, sa petite main n’a pas lâché le revers du pantalon paternel. »

À l’origine de ce roman autobiographique, il y a ce frère radicalisé, mort dans un camp d’entraînement en Afghanistan au début des années 2000. Le petit garçon de trois ans que le père a arraché à sa mère et à l’Algérie pour venir s’installer à Sarcelles, c’est lui.

Celui qui raconte cette histoire, c’est l’autre frère, Alexandre, qui naît quelques années plus tard en France. Samir, pour Alexandre à l’époque, n’est pas cet enfant meurtri, c’est au contraire « l’oppresseur », celui dont la colère rentrée a trouvé à s’exercer continûment sur le petit garçon qu’il était. Samir l’enfant, c’est celui qu’il ressuscite quand la haine s’est dissipée après sa mort assourdissante. Comment deux frères peuvent-ils avoir des trajectoires si éloignées ?

En reconstituant avec distance et courage ces deux enfances que tout oppose sauf la faillite du père, Alexandre Feraga tente d’approcher au plus près les mystères d’une destinée.


Alexandre Feraga, Le frère impossible, Flammarion, janvier 2023, 252 pages, 19,50 €.