Chroniques du Ramadan

Le Maître du Jour de la Rétribution : le troisième verset de la sourate Fatiha analysé

Chroniques du Ramadan

Rédigé par | Jeudi 4 Avril 2024 à 16:00



Deux approches sont possibles pour appréhender ce verset 3 de la sourate Fatiha. La première suit notre observation qui fait de Dieu le thème principal commun aux trois premiers versets. Le verset 2 (Le Miséricordieux) et le verset 1 (Le Seigneur) sont articulés autour de Dieu. Il en va de même du verset 3 qui introduit la notion de Al-Malik (le Roi) ou de Al-Mâlik (le Propriétaire).

Une telle approche est conforme aussi à notre idée de pacte qui fait que la Fatiha commence par une présentation du Rédacteur du pacte, à savoir Dieu ! Comme les deux premiers, le verset 3 parle de Dieu en des termes nouveaux qui complètent ce qui a déjà été dit aux versets 1 et 2. Le mot-clé est « le Maître » et le message essentiel est le même : Dieu se présente par certains de ses attributs.

Mais une autre approche du verset 3 est possible. En replaçant la révélation dans le contexte de son époque, le « Jour de la Rétribution » devient la nouvelle authentique ici. Le jour où chaque atome de bien sera apprécié à sa juste valeur et chaque atome de mal aussi. Les polythéistes de La Mecque n'ont pas une telle idée dans leurs croyances. Elle leur paraît saugrenue. Un non-sens qui vaut des railleries faciles à l'encontre des musulmans qui parlent de lakhira sans apporter de preuve.

La notion de « vie » révisée

Dans le verset 3, « Maître du Jour de la Rétribution », la notion de « Jour de la Rétribution » arrive sans préavis, sans explication ni justification ; l'impression que ce « Jour de la Rétribution » est une donnée sociale admise et usuelle ; une réalité qui fait déjà l'objet d'un accord. Il n'en est rien.

Dans l'histoire, il s'agit d'une prise de position de l'islam au cœur d'une vieille polémique. Ce débat divisait déjà les chrétiens. Les juifs de Palestine, les Pharisiens et les Sadducéens s'opposaient. Les Pharisiens parlaient de vie après la mort. Les Sadducéens n’y croyaient pas. De leurs controverses, le doute est né puis la confusion s’est installée.

Dès la cinquième révélation, l'islam prend parti. Il installe son opinion d'autorité sans considération pour la controverse. Au verset 3 de la sourate Fatiha, la vie existe dans la dounia mais elle ne s'arrête pas à la dounia, elle se poursuit : c'est la vie dernière, lakhira ! Ça ne se discute pas. C'est sous cette forme que le verset 3 glisse la notion de lakhira, de manière subtile mais ferme, dans l'esprit des disciples.

Ainsi, dès les débuts de l'islam, la notion de « vie » est révisée. La vie à Dounia s'arrête un jour qui est « le Jour de la Rétribution ». A partir de là, commence la vie à Lakhira. Cette conviction devient le second pilier non négociable de l'islam qui, à l'époque, est au stade d'une philosophie de vie ; la salat n'existe même pas encore. Ce pilier de lakhira seconde le Tawhid, unicité absolue de Dieu.

Le Jour de la Rétribution n'est pas un jour de doute

Lakhira est la vraie-fausse nouveauté qui surgit au verset 3. Elle apparaît avec l'idée de Rétribution au tribunal dont Dieu est non seulement le Juge suprême mais le Détenteur de la date. Aucun réelle surprise au regard des deux premiers versets qui installent Sa souveraineté totale sur Sa Création.

Dans un hadith célèbre, le Prophète est interrogé sur l'islam, sur la foi et sur le Jour de la Rétribution. Il répond sur l'islam avec les cinq piliers de l'islam. Il répond sur la foi avec les six articles de la foi. Mais sur la date de ce jour dernier, sa réponse est : « L'interrogé n'en sait pas plus que l'interrogateur. » On apprend ensuite que son interrogateur était l'Ange Gabriel.

La fatihalogie touche ici à une limite qui est de commenter la Fatiha comme « La Complète » qui se suffit à elle-même. Celle qu'on peut saisir sans faire appel à d'autres sourates. Car ce « Jour de la Rétribution » est amorcé ici puis est développé à travers d'autres sourates du Coran par des allégories et des métaphores filées qui confondent l'esprit analytique. Personnellement, je m'y perds assez vite.

Cependant, le verset 3 parle bien de « Rétribution » qui suffit pour une chronique de Ramadan. Mais avant cela, remarquons que le verset 3 clôt l'évocation de Dieu, le Premier Signataire du pacte. Il est Allah, l'Unique Source de la vie (Verset 1) et Il est le Rabb Tout-Puissant dont le pouvoir ne connaît pas de limite (verset 1). Il est Ar-Rahman et Ar-Rahim dont l'Amour est infini (verset 2).

En équilibre à ces deux pôles aux proportions extra-humaines arrive Al-Malik, tout en Sagesse pour être le Juge Suprême (verset 3). L'approche herméneutique observe que le jugement de Dieu vient après Son pouvoir infini (verset 1) et Sa miséricorde infinie (verset 2). Mais en vérité, le Jour de la Rétribution n'est pas un jour de doute car, au fond de son âme, chacun sait déjà ce qu'il mérite.

Mais hélas ! La pédagogie installée du verset 3 de la sourate Fatiha est une pédagogie de la peur. On enseigne ce moment comme le jour du couperet. Les enfants sont terrifiés par l'image d'un immense feu qui brûle des gens vivants ! Feu de l'Enfer. Il s'allume au verset 3 et brûle dans nos cauchemars d'enfants. Le message du verset 2 se consume. Il nous laisse l'image d'un Dieu censeur austère.

La pente a glissé vers la pédagogie de la peur

Pourtant, le verset 3 parle de « Rétribution », le salaire mérité pour un travail accompli. Sans secret, chaque âme sait ce qu'elle accomplit. Celui qui fait du bien sait ce qu'il fait s'il est responsable. Et celui qui fait le mal le sait aussi à condition d'être responsable.

L'histoire montre que la pédagogie de la responsabilité individuelle a prévalu pour les compagnons du Prophète et leurs étudiants, les tabi'un. Après eux, la pente a glissé vers la pédagogie de la peur. Ce fut le début du tout juridique puis la sclérose des écoles juridiques. Ensuite, la paralysie gagna la pensée pour permettre le règne des imams perroquets.

Pour en rester au verset 3 de la Fatiha, la Rétribution divine n'est pas un bilan de comptes. Car non seulement chaque âme sait ce qu'elle accomplit durant la dounia, mais le Juge Suprême connaît le secret des âmes. Autant dire une formalité qui ne dit pas son nom. L'incertitude est la décision de Dieu concernant chaque âme : Il met au Paradis celle qu'il veut et en Enfer celle qu'Il veut. Il est Dieu !

Le criminel de grand chemin qui, un soir, offrit à boire à un chien errant, peut entrer au Paradis. En vérité, il n'attend rien d'un chien galeux. Le grand cheikh de renommée internationale que la terre entière admire peut aller en Enfer. Car on lui aura déjà donné ce qu'il désirait le plus au monde.

C'est pourquoi, ce verset 3 de la sourate Fatiha arrive bien en troisième après le pouvoir total de Dieu et Son Amour incommensurable. Dans l'esprit du pacte, ce verset 3 annonce que le but de la dounia est de gagner lakhira. Tout autre but est illusion. Celui qui ignore ce but est déjà mort même s'il vit dans un palais. Celui qui en doute est une âme malade même s'il est champion olympique. Celui qui l'intègre est une âme vivante ; il est des vainqueurs. Puissions-nous être des âmes vivantes !

Nous reviendrons en détail sur ces trois familles d'âmes dans un prochain billet. À ce stade, une synthèse serait utile pour relier ces trois premiers versets de manière transversale, montrer que leur synthèse fait basculer de manière presque obligée vers le verset 4. Que Dieu accepte notre jeûne. Fasse que notre conscience de la vie dépasse Dounia pour intégrer Lakhira. Que Sa paix et Sa miséricorde comblent tous Ses Envoyés et ceux qui les aiment. On garde le rendez-vous dans nos dou’as à l'heure de l'ifar.

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Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de… En savoir plus sur cet auteur