Points de vue

Le choc des « incultures » dans l’hémicycle du Sénat

Rédigé par Marfouk Khadija | Mercredi 18 Juin 2003 à 00:00

Le débat sur la laïcité a commencé par quelques interventions qui exprimaient la difficulté à contenir la montée de l’islamisme en France. Madame le Maire de Garges-Lès-Gonesse s’est plainte des difficultés qu’elle rencontre lorsqu’elle demandant aux filles voilées d’ôter leur foulard afin que leur mariage puisse être célébré à la mairie. Elle a, tout de même, tenu à nous faire part de son regret de gâcher la joie de la mariée et de sa famille… Laïcité oblige… Madame Julia Kristeva, psychanalyste, nous a exposé la souffrance des femmes voilées, analysant la double personnalité dont elles souffrent, ce qui les empêche d’avoir une vie normale. Un sénateur n’a pas manqué, ensuite, de rappeler au public qu’il ne fallait pas croire que le combat de la laïcité avait été enterré par la loi de 1905, que le combat était toujours d’actualité.



Bienvenue au Sénat, dans cette Maison de la République, votre Maison…

 

« Souvenez-vous, le 21 avril 2002, à 20 heures : La France a soudainement offert le visage d’une vieille dame atteinte de cette terrible maladie d’Alzheimer. Depuis, les pronostics n’ont pas manqué, évoquant la rupture entre le peuple et ses représentants, ou encore la nécessité de rendre plus lisible notre vouloir vivre ensemble… » Tel était l’éditorial de monsieur Christian Poncelet, président du Sénat, le 14 juin 2003, journée « portes ouvertes » de cette assemblée, sur le thème « Islams, Occidents : du monde ancien au monde de demain ». Malheureusement, cette journée a montré, une fois de plus, que la rupture entre le peuple et ses représentants est toujours d’actualité et que la maladie d’Alzheimer ne fait que s ‘aggraver depuis le 21 avril 2002. Désormais, la discrimination se pratique au cœur de notre Maison, dans la Maison de la République, le Sénat.

 

C’est au lendemain de cette journée qui devait rendre plus lisible notre vouloir vivre ensemble que j’ai appris qu’une jeune femme portant le foulard, Maria, a été interdite du débat sur la laïcité qui se déroulait dans l’hémicycle du Sénat sous prétexte que ce dernier est un lieu laïc non-accessible aux femmes portant le foulard. Ne sachant par quel miracle, moi qui porte le foulard, j’ai pu assister à ce débat, j’ai décidé de raconter aux Français ce que Maria a raté et l’extraordinaire accueil auquel j’ai eu droit.

 

L’incroyable opération d’amalgame

 

Le débat sur la laïcité a commencé par quelques interventions qui exprimaient la difficulté à contenir la montée de l’islamisme en France. Madame le Maire de Garges-Lès-Gonesse s’est plainte des difficultés qu’elle rencontre lorsqu’elle demandant aux filles voilées d’ôter leur foulard afin que leur mariage puisse être célébré à la mairie. Elle a, tout de même, tenu à nous faire part de son regret de gâcher la joie de la mariée et de sa famille… Laïcité oblige… Madame Julia Kristeva, psychanalyste, nous a exposé la souffrance des femmes voilées, analysant la double personnalité dont elles souffrent, ce qui les empêche d’avoir une vie normale. Un sénateur n’a pas manqué, ensuite, de rappeler au public qu’il ne fallait pas croire que le combat de la laïcité avait été enterré par la loi de 1905, que le combat était toujours d’actualité. Hier c’était l’Eglise, aujourd’hui c’est… ? ! Quelques écrivains présents s’empressèrent d’appuyer son propos en dénonçant le port du foulard, signe de soumission de la femme et symbole d’oppression dans le monde musulman. Pour Pascal Bruckner, ce fut l’occasion d’appeler à l’athéisme et au combat de toutes les croyances religieuses pour libérer la raison.

Enfin, pour légitimer toutes ces interventions, la parole a été donnée à monsieur Tahar Ben Jelloun, l’éminent écrivain marocain, qui a commencé par préciser que les femmes qui souhaitent porter le foulard n’ont qu’à le porter chez elles, en privé, mais jamais en public. Puis, il a affirmé avec une grande fermeté : « Les lois de la République doivent être respectées. Ceux qui s’y refusent n’ont qu’à retourner chez eux. » Visiblement, notre « grand écrivain » s’est tellement intégré qu’il a oublié que « chez eux », c’est « la France »…

 

L’accueil chaleureux réservé aux femmes portant le foulard

 

Dans ce climat hostile, j’ai levé la main pour prendre la parole. Monsieur Jean-Pierre Elkhabbach, animateur du débat, après une hésitation, décida de me donner la parole et m’a alors demandé de me présenter. J’ai répondu à sa demande : « Khadija MARFOUK, ingénieur, membre d’Amnesty International et de la commission « Islam et Laïcité ». » « Vous faites partie de quel mouvement islamiste ? » a-t-il ajouté. Ne pouvant croire que l’animateur d’un débat sur la laïcité ait pu poser une telle question, j’ai répondu : « Et pourquoi me posez-vous cette question ? L’auriez-vous posée à une Française qui ne porte pas le foulard ? Dois-je comprendre que, pour vous, toutes les citoyennes françaises qui portent le foulard font partie d’un mouvement islamiste ? ! !  ». Surpris par ma réponse et par les applaudissements du public, il m’a rétorqué qu’il était tout à fait normal qu’il me pose cette question. Ne comprenant pas son attitude, je lui ai rappelé qu’on était en transmission directe à la télé et que son attitude permettrait aux Français de se rendre compte de la manière dont on stigmatise les citoyens français de confession musulmane. Ne sachant quoi dire, il a justifié sa question en affirmant que c’était de la provocation ! ! ! J’ai alors répondu : « si, monsieur, votre question n’est que pure provocation, alors je vous répète que les mouvements avec lesquels je milite sont Amnesty International et la commission « Islam et Laïcité » prise en charge par le Monde Diplomatique et la LDH [Ligue des droits de l’homme]. » Réponse à laquelle il a réagi avec un regard méprisant et un propos exprimant son regret que ces mouvements puissent m’accueillir parmi eux. Il m’a ensuite demandé agressivement de poser ma question. Constatant qu’il ne voulait pas me laisser de temps pour développer mon propos, sachant que j’étais la principale intéressée dont plusieurs personnes venaient de parler à la « troisième personne », je me suis contentée de demander aux intervenants de préciser de quelle laïcité ils parlaient, de la laïcité telle qu’elle est définie dans les lois de la République – et qui ne pose aucun problème aux musulmans – ou de la laïcité telle qu’elle est interprétée par certaines personnes qui veulent faire de leur interprétation une loi pour tous.

Une autre personne a rappelé aux intervenants que les islamistes dont ils parlaient étaient minoritaires et que pourtant, on n’entendait parler que d’eux, que le vrai problème ce n’était pas le foulard mais la discrimination dont souffrent les musulmans et, en particulier, les citoyens français de confession musulmane. Un autre intervenant du public, en s’excusant de son accent italien, a demandé aux intervenants : « Ne pensez-vous pas, comme la jeune femme avec le foulard l’a montré tout à l’heure, qu’on peut être laïque tout en portant le foulard ? ! ! ! »

 

Après ces réactions du public, quelques intervenants ont tenté de modérer leurs propos, rappelant qu’ils étaient solidaires avec les musulmans à la condition que ces derniers acceptent de moderniser la religion musulmane, comme cela a été fait pour le christianisme, et de l’adapter à la démocratie.

 

 

Tous les intervenants ont donné leur interprétation du port de foulard et moi qui le porte, je n’ai pas le droit de m’exprimer ?

 

La fin du débat approchant, un intervenant a exprimé son souhait d’entendre mon explication concernant la signification du foulard. Etant donné que la question m’était adressée directement, je me suis empressée de descendre au micro pour répondre, mais monsieur Elkabbach m’a dit : « Non,non,non… Vous pouvez lui expliquer après, en sortant ». Ne pouvant accepter cette censure à mon égard, je lui ai demandé « Elle est où la liberté d’expression ? Elle est où la démocratie ? Tous les intervenants ont donné leur interprétation du port de foulard et moi qui le porte, je n’ai pas le droit de m’exprimer ? ». Déterminée à prendre la parole malgré les contestations, j’ai rappelé à ces intellectuels qui appellent à l’interdiction du foulard afin de libérer les « femmes soumises », qu’il fallait respecter la liberté de choix de chacun et que, de la même façon que je condamne ceux qui imposent le port du foulard aux jeunes filles, je condamne ceux qui veulent le leur enlever en prétendant vouloir les libérer. J’ajoutais que le foulard est, pour moi, un moyen pour mettre en avant mes capacités intellectuelles avant toute autre chose et que la femme soumise dont ils parlent n’existe parfois que dans leur imaginaire ! « Moi – la supposée femme soumise – je suis au Sénat, je vous regarde droit dans les yeux pour défendre mes droits, femme libre que je suis, je ne peux accepter qu’une autre personne puisse me priver de la liberté de choix. De quel droit le ferait-on ? Pensez-vous que je ne possède pas les mêmes capacités que vous pour faire librement mon choix ? ».

« Vous avez de la chance d’être là… » m’a répondu J-P Elkabbach, l’air navré que je puisse m’exprimer malgré les tentatives multiples pour me faire taire. De quelle chance s’agit-il ? ! ! !

 

Pour ne pas déplacer le débat

 

Si le battage médiatico-politique essaie de faire croire à l’opinion publique que le pacte laïque est en danger à cause du « foulard islamique », le débat sur la laïcité dans l’hémicycle est une preuve de plus que ce qui remet en cause le pacte laïque, aujourd’hui, est la discrimination et l’ethnicisation de la question sociale.

Si certains « intellectuels » et politiciens usent de ce faux débat autour du foulard, pour entretenir la susception à l’égard des français de confession musulmane, pour éveiller les passions nourries par l’ignorance et la peur, les citoyens de la France Laïque et Libre useront du dialogue et de la loi pour instaurer la paix sociale et un vivre ensemble.