Points de vue

Le comportement du musulman face à l’adversité. Quelques enseignements prophétiques et clés pour en sortir renforcé

Par Ammar Rouibah*

Rédigé par Ammar Rouibah | Jeudi 5 Avril 2012 à 00:37



La gestion de la crise est une véritable science contemporaine, définie comme l’ensemble des modes d’organisation, des techniques et des moyens qui permettent à une organisation d’anticiper et de faire face à des imprévus qui peuvent nuire à son fonctionnement habituel et d’engager des actions correctives afin d’améliorer sa performance.

Ses spécialistes élaborent de multiples méthodes à suivre pour minimiser l’impact des crises et les maîtriser. Les étapes de cette stratégie sont, en général, la délimitation du problème, la mise en place d’un groupe de travail spécialisé, la planification, la créativité et l’esprit d’innovation. Puis, après concertation et délibération, arrive le choix de la solution optimale, celle qui convient le mieux à la situation au vu des moyens disponibles, ce qui ne veut pas forcément dire la solution idéale.

On peut aisément trouver une illustration de ce modèle contemporain de gestion de crise dans l’expérience musulmane, à travers l’attitude du Prophète (PSL), toujours plus noble et plus digne, une attitude renforcée par les difficultés auxquelles il a dû faire face, transformant l’épreuve en bienfait, la situation difficile en situation avantageuse, et ce grâce à la force de la foi, de la détermination et de la confiance en Dieu.

État de cœur et d’esprit du musulman face à l’adversité

1. La référence, c’est l’islam
Dans l’engagement, notre référentiel est islamique, émanant d’une foi profonde, d’une compréhension fine du Coran et de la Tradition prophétique et se traduisant par une action continue régulière.

2. La confiance
Être serein, apaisé, dans la confiance en Dieu tout d’abord, puis en soi, et en vivant profondément dans une compréhension méditée et une intime conviction des versets coraniques.

« Et quiconque place sa confiance en Dieu Il lui suffit » (s. 65, v. 3) et dans le verset : « Certes, ceux auxquels on disait : “Les gens se sont rassemblés contre vous, craignez les”, cela accrut leur foi, et ils dirent : “Dieu nous suffit, Il est notre meilleur garant.” » (s. 3, v. 173) et notamment dans le verset coranique : « À côté de la difficulté est certes une facilité. À côté de la difficulté est certes une facilité » (s. 94, v. 5-6).

3. Invoquer Dieu
Vivre dans la proximité de Dieu en l’invoquant constamment. Être convaincu de Sa Force et de Sa Capacité à renverser les situations, et faire triompher la justice et la vérité.

En ce sens, il est rapporté que, lors de la bataille de Badr, le Prophète (PSL) est resté longuement les bras levés vers le ciel, face à la qibla, en invoquant Son Seigneur et il est resté si longtemps dans cette posture que le vêtement qui couvrait ses épaules est tombé au sol.

4. La belle patience
Parmi les plus beaux attributs du musulman face à l’adversité : la patience, l’endurance, la persévérance.

Le plus bel exemple fut l’attitude du Prophète et des musulmans lors de l’embargo économique qu’ils vécurent à La Mecque avant l’émigration. Une situation qui dura de longs mois, et dont seules la patience et la confiance dans les desseins de leur Seigneur leur permirent de s’en sortir grandis et plus forts.

« Ô les croyants ! Cherchez secours dans l’endurance et la prière, car Dieu est avec ceux qui sont endurants » (s. 2, v. 153).
« Mais nous voulions favoriser ceux qui avaient été faibles sur Terre et en faire des dirigeants et en faire les héritiers » (s. 28, v. 5).

5. L’attachement aux valeurs et à l’éthique islamique
Le musulman doit rester fermement attaché à ses valeurs, à l’éthique islamique, à la morale, tout particulièrement lorsqu’il est attaqué, insulté ou diffamé. Le Prophète (PSL) demeurait absolument irréprochable dans toutes les situations et c’est ainsi qu’il méritait le secours de Dieu et la victoire.

Ne pas répondre à l’insulte par l’insulte et l’injure, et ne pas chercher à nuire à autrui par un comportement indigne du musulman.

6. Le courage
Il est rapporté que les Compagnons avaient l’habitude de se réfugier auprès du Prophète (PSL), son courage les renforçait et raffermissait leur résolution. Ils disaient : « Lorsque nous étions pris de peur, nous cherchions refuge auprès du Prophète (PSL). »

Aujourd’hui encore, nous avons besoin d’un grand courage afin de dénoncer toute injustice et tout extrémisme, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent.

7. L’esprit positif
Ne pas regarder la difficulté comme un mal mais plutôt comme une épreuve de Dieu, un test.
« Les gens pensent-ils qu’on les laissera dire : “Nous croyons”, sans les éprouver ? Certes, nous avons éprouvé ceux qui ont vécu avant eux, ainsi Allah discerne ceux qui disent la vérité et ceux qui mentent » (s. 29, v. 2-3).

Ainsi, cet épisode rapporté lors de la célèbre bataille du Fossé : les musulmans étaient en situation très critique, cernés de toutes parts par les ennemis coalisés, ils creusaient le fossé qui devait les protéger à Médine, le Prophète leur promit les richesses de Kesroes.

8. Éviter la colère
S’il est un défaut à éviter, c’est bien la colère, car celle-ci bloque la raison et empêche la concentration. C’est ainsi que le Prophète (PSL) intima cette recommandation trois fois à celui qui vint lui demander conseil : « Ne te mets pas en colère. »

Quelques clés pour la gestion de crise

1. L’Histoire
Étudier l’Histoire et savoir en tirer les enseignements lorsque les situations se répètent.
Ainsi le Prophète nous encourageait-il à ne pas tomber deux fois dans le même piège :
« Le musulman ne tombe pas deux fois dans le même piège. »

L’histoire de l’islam ne se résume pas à l’époque des pieux prédécesseurs ni à l’Andalousie avant de réapparaître au XXIe siècle ! Elle est continue et riche d’enseignements tout au long des quatorze siècles, ponctuée de victoires mais aussi de moments difficiles pour les musulmans, et s’inscrit dans l’Histoire de l’humanité tout entière.

Nous avons besoin d’historiens musulmans, de sociologues, d’ethnologues et de spécialistes des sciences humaines et sociales, afin d’être en mesure d’anticiper le futur en tirant l’enseignement du passé et en déchiffrant le présent.

2. Ne pas être dans l’imitation
L’Histoire nous permet de nous enrichir à travers les expériences passées, mais on ne peut pas imiter l’attitude d’autres associations ou minorités confrontées à des épreuves en apparence similaires, car les circonstances sont différentes et les facteurs non superposables. Il nous faut trouver nos propres réponses et nos propres solutions.

3. Spécialistes de la gestion de crise
C’est une science à part entière, avec ses lois, ses codes et ses règles, qu’il nous appartient de maîtriser. Des gens qui détiennent la science, l’expertise, l’intelligence, la réactivité, la capacité d’influencer et d’orienter, de communiquer, et qui ont le sens du relationnel.

De même que le marketing, le leadership et le management s’enseignent aujourd’hui, la gestion de la crise s’apprend et se maîtrise.

« Le meilleur à engager, c’est celui qui est fort et digne de confiance » (s. 28, v. 26).

4. L’équilibre
Faire le choix de l’équilibre et de la pondération, plutôt que celui de l’empressement et des solutions hâtives pour aboutir à la solution appropriée. Ce fut l’exemple du Prophète (PSL), qui, cerné de toutes parts par les ennemis coalisés, rassembla ses Compagnons pour écouter tous les avis avant d’opter pour l’avis de Selmane le Perse, qui était de creuser un fossé autour de Médine, alors même que cette solution était inconnue des Arabes.

5. Travailler la prise de conscience
À effectuer auprès de tous, quelles que soient les générations, afin de leur apprendre à lire l’actualité avec un sens critique, à interpréter leurs textes à la lumière de l’Histoire et de leurs contextes particuliers de minorité.

Éduquer les jeunes afin de faire émerger une culture de la résistance pacifique non violente. Il ne s’agit pas de se manifester de manière réactionnelle contre toute injustice, ce qui revient simplement à extérioriser sa colère et son ressentiment, puis oublier, cela est contre-productif, mais il est question plutôt d’agir avec réflexion et intelligence.

6. Les nouvelles technologies de la communication
Le développement technique d’aujourd’hui permet d’utiliser de multiples moyens pour transmettre l’information, de toucher le plus grand nombre, de présenter son point de vue et d’expliquer ses choix. Le Printemps arabe nous a prouvé l’efficacité de ces moyens et outils en tant que vecteurs de mobilisation et de changement.

7. L’engagement citoyen
Contribuer de manière positive et efficace à la vie de la société, de manière générale et constante, pas seulement lorsqu’il s’agit de sujets concernant les seuls musulmans.

Ainsi avant l’avènement de l’islam, le Prophète (PSL) avait-il participé à hilf al-fudul (Pacte des braves), une alliance d’hommes qui se sont dressés pour défendre un commerçant étranger à qui l’un des leurs avait spolié son droit ; les Quraychites se sont ligués contre un des leurs pour rétablir la justice, et c’était avant la Révélation, cela ne concernait donc pas une oppression subie par les musulmans.

Plus tard, le Prophète (PSL) dira que si c’était à refaire il participerait de nouveau à un tel pacte.

Les deux dimensions de l'engagement

De ce qui nous venons d’exposer, il nous paraît opportun d’avoir à l’esprit ces deux dimensions avant tout engagement : une dimension spirituelle, qui nous recadre vis-à-vis de notre éthique, et une dimension citoyenne, qui nous invite à nous engager pleinement, à maîtriser notre environnement, ses moyens et ses outils afin d’être témoins du juste.


* Ammar Rouibah est chargé du développement des ressources au sein de l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Paris.