Religions

Le fait religieux, un incontournable de la diplomatie française

Rédigé par | Vendredi 8 Novembre 2013 à 06:05

Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a réaffirmé cette semaine la nécessité de prendre en compte le facteur religieux dans la diplomatie lors du colloque « Religions et politique étrangère » organisé par le Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po (CERI) à Paris. Cet événement a été l'occasion pour le ministère de marquer la position de la France sur cette question.



Le ministère français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, au colloque « Religions et politique étrangère » de Sciences-Po Paris en novembre 2013. © F.de La Mure/Mae
Le fait religieux, une dimension devenue incontournable dans les affaires étrangères. « Nombre des crises internationales actuelles restent inintelligibles et d’ailleurs insolubles quand le fait religieux n’est pas pris en compte », a affirmé Laurent Fabius dans son discours de clôture du colloque « Religions et politique étrangère » à Paris les 5 et 6 novembre.

La nécessité de cette prise en compte s’illustre de longue date par des rencontres réguliers entre le Quai d’Orsay et les dignitaires religieux de tous bords mais surtout par la création en 2010 du « Pôle religions » au sein du ministère. « La religion, parce qu’elle influence les comportements individuels et collectifs, relève de notre mission de connaissance des réalités, on pourrait dire de connaissance du terrain », a-t-il fait savoir.

L'instrumentalisation des religions dénoncée

« Le fait religieux s’impose aujourd’hui de façon croissante à la vie internationale. Dans ces conditions, aucune politique étrangère ne peut se passer de l’expertise sur les religions et d’outils diplomatiques adéquats », d’autant que ces évolutions « dans certaines parties du monde ont accrédité des idées fausses, comme celle dite du choc des civilisations », a déclaré le ministre.

Parmi les défis que posent les conflits religieux dans le monde, Laurent Fabius a ainsi cité « l’instrumentalisation de la religion au service de luttes politiques, qui constitue un piège redoutable pour les Etats comme pour les communautés religieuses » et « permet à l’extrémisme religieux de contaminer les conflits locaux qui se prolongent ou même s’éternisent (…) en profitant de l’affaiblissement du lien entre les citoyens et l’Etat ». Premiers responsables, « les groupes terroristes internationaux liés notamment à Al-Qaïda, qui se présentent comme les héritiers des guerres de religion passées ».

Le facteur religieux, un outil de diplomatie d'influence

Selon une étude récente du Pew Research Center que le chef de la diplomatie rapporte, près de 30 pays sont touchés par des conflits « à dimension religieuse », entraînant le déplacement de plus de 18 millions de personnes. La protection des minorités est alors un autre défi à relever, l’instrumentalisation des religions couplée d’une montée des intégrismes entraînant de facto des restrictions de libertés pour les groupes dominés.

Pour Laurent Fabius, la France ne peut plus faire fi de la place importante du fait religieux dans la diplomatie du fait que de plus en plus d’Etats intègrent pleinement cette dimension dans leur politique étrangère pour en faire, pour certains, « un outil de diplomatie d’influence en mettant en avant les spécificités de leur modèle » comme la Turquie. « Le fait religieux entraîne de plus en plus des répercussions sur les relations internationales », insiste-t-il, citant les polémiques liées à la question du blasphème en hausse ces dernières années telles que la vidéo « L’innocence des musulmans » en 2012. Controverses qui ont amené notamment l’introduction de la notion de « diffamation des religions », « que les efforts conjugués de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis ont conduit à écarter depuis 2011 ».

La laïcité à la française non exportable

« Faire des propositions pour mieux expliquer à l’étranger ce qu’est la laïcité en France, ses fondements et son application », tel est un des objectifs que s’était fixé l’Observatoire de la laïcité dans son rapport d’étape paru en juin dernier. Dans ce cadre, Roland Dubertrand, conseiller pour les affaires religieuses du ministère des Affaires étrangères, avait alors estimé qu’« un travail d’explication et de communication sur la laïcité française s’avère nécessaire pour promouvoir une meilleure compréhension de notre système à l’étranger ».

« La laïcité telle que nous la concevons résulte d’une histoire qui nous est spécifique » et ce système juridique « n’a pas vocation à être exporté tel quel. Nous savons que la laïcité ne peut faire l’objet de formules incantatoires qui s’appliqueraient à n’importe quel contexte », a déclaré le 6 novembre le chef de la diplomatie, tout en relevant la nécessité de promouvoir les principes « qui l’animent » à l’instar de « la liberté de conscience », « la neutralité de l’Etat, lequel doit à la fois garantir le libre exercice des cultes, en privé comme en public » et « la primauté des droits civils et politiques, laquelle implique le refus d’une vision relativiste des droits de l’Homme qui consisterait à leur opposer telle ou telle norme religieuse pour en restreindre la portée » en évoquant les droits des femmes et des homosexuels.

Dénonçant la confessionnalisation des conflits, le ministre a appelé, en guise de conclusion, les personnalités religieuses à « peser par leur autorité morale en faveur du dialogue » et les responsables diplomatiques à « chercher sans relâche les formules politiques capables d’assurer une coexistence pacifique durable ». Placé au même niveau que les diplomates, le potentiel des acteurs religieux à dégager des solutions aux conflits internationaux se voit ainsi pleinement reconnu dans une France qui s'est construite par la mise au ban des religions dans sa propre société.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur