Economie

Le financier Bernard Madoff est condamné à 150 ans de prison

Les coups bas d'une finance de haute voltige

Rédigé par Anissa Ammoura | Mercredi 1 Juillet 2009 à 12:48

Le verdict est tombé lundi 29 juin : le financier américain, âgé de 71 ans, Bernard Madoff, accusé d'avoir escroqué plusieurs investisseurs pour un préjudice estimé à plus de 50 milliards de dollars, est condamné à 150 ans de prison, après avoir plaidé coupable. Ses complices ne sont pas encore inquiétés et les victimes, qui ont engagé de multiples procédures judiciaires, et notamment en France, sont loin d'être indemnisées. Les détails et l'issue de cette escroquerie sont encore flous, mais tous les observateurs du monde entier espèrent déjà en tirer des leçons. Au-delà de la « simple » escroquerie humaine, certains appellent à davantage de transparence et d'éthique dans le système financier actuel.



Accusé d’escroquerie, avec un préjudice estimé à plus de 50 milliards de dollars, le célèbre financier américain Bernard Madoff vient d’être condamné ce lundi 29 juin par le tribunal de New York, à 150 ans de prison, suivant les réquisitions du procureur.

L’avocat de celui qui plaidait coupable demandait une condamnation à seulement 12 ans de prison. Pour le correspondant du journal Le Monde, à New York, cette peine est avant tout « symbolique », il s’agit d’« un avertissement à l’égard de tous ceux qui seraient tentés de reproduire ce genre de fraude ». Et pas n’importe quelle fraude puisque, selon les enquêteurs, les pertes se chiffreraient entre 50 et 65 milliards de dollars.

Le 12 mars dernier, Bernard Madoff, se sachant perdu officiellement depuis le 11 décembre, avait plaidé coupable des 11 chefs d’inculpation qui lui étaient reprochés : notamment, la fraude, le blanchiment d’argent et le vol.


Pour Anass Patel, président de l’Association d'innovation pour le développement économique et immobilier (AIDIMM), « cette affaire illustre trois points significatifs. D’abord, l'étendue et la diversité des gens dupés, qui vont des grands investisseurs jusqu'aux associations philanthropiques, en passant par les épargnants. Il s'agit ici de la remise en cause d'un système qui fonctionnait par entrisme, non transparent, où un gourou financier était suivi par des adeptes finalement peu regardants sur la nature de l’investissement. Ensuite, c'est l'appât du gain, avec une rémunération promise mirobolante, malgré les montages alambiqués, voire frauduleux, avec lesquels il fallait jongler, et malgré la surveillance des autorités de régulation (qui ont totalement failli dans leur mission). Enfin, le troisième point, purement virtuel, correspond à la cascade de l'endettement avec intérêt, le fameux "schéma de Ponzi" ».

En effet, ce schéma – du nom d’un célèbre escroc des années 1920 – illustre « la pyramide financière qui consistait à rémunérer les investisseurs avec l’argent déposé par de nouveaux clients », explique le président d'AIDIMM. Un système qui a fonctionné jusqu’au jour où les demandes de retrait ont explosé avec la crise de l’automne 2008.

« Il est tellement facile d'acheter un bout de papier qui n’a aucune réalité économique et qui prétend toutes sortes de vertus, vante le gain facile et sans risques ! », poursuit Anass Patel. « Au final, investisseurs professionnels et épargnants ont été pris dans une spirale dévastatrice, balayant tout respect des contrats et des engagements, fussent-ils un minimum moral » .

Coût de l’escroquerie en France : entre 550 et 770 millions d’euros

Seul l’escroc de 71 ans a pour l’instant été condamné. Selon Jean Reinhart, l’avocat d’une des victimes françaises, le Département américain enquête actuellement pour trouver les complices de Bernard Madoff, tout comme le juge d’instruction français en charge du dossier en France, Renaud Van Ruymbeke.

« La condamnation de Bernard Madoff n'est pas l’échec d’une seule personne. Il faut voir au-delà », souligne Mohamed el-Bechir Ould Sass, professeur et conférencier en finance islamique*. « Elle symbolise le système financier américain, marqué par une culture du gain rapide, une culture de maximisation du profit mais aussi l’échec d'un point de vue éthique, dans la mesure où il n’y avait ni transparence ni traçabilité au niveau des transactions financières de “haut de gamme”».

D’autre part, les victimes françaises – et leurs intermédiaires, banques et société de gestion – ont engagé plusieurs procédures judiciaires pour récupérer l’argent investi, mais n’ont, à ce jour, rien reçu.

Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), le préjudice subit par les seules victimes françaises de Bernard Madoff oscillerait entre 550 et 700 millions d’euros.

Selon le Monde.fr, la justice se dit « incapable » de chiffrer les montants à restituer : les procureurs ont même demandé « un délai de trois mois », au terme duquel « la Cour ordonnera la restitution de l'argent ou décidera que la restitution est impossible » . De quoi alimenter un nouveau séisme.

Vers une régulation éthique des marchés ?

Pour autant, l’AMF a annoncé lundi 29 juin, la création d’une direction des relations avec les épargnants et le renforcement des contrôles de commercialisation des produits financiers.

Objectifs : encourager la transparence de ces produits et « renforcer l’action du régulateur sur tous les éléments (...) qui concourent à la protection des épargnants ». « Nous avons décidé de tirer des leçons de l’affaire Madoff. On a vu que ce qui pouvait être parfaitement labellisé pouvait se transformer en escroquerie le lendemain », explique le président de l’AMF, Jean-Pierre Jouyet. Par ailleurs, un comité interne des risques va également être créé par cette même institution.

Ainsi, depuis le début de la crise financière, tout le monde s’accorde pour « moraliser » le marché, trouver d’autres moyens de régulation et éviter de nouvelles débâcles. Mais les moyens pour y parvenir ne sont pas encore définis, bien que l’affaire Madoff risque de faire accélérer les choses.

« Cette condamnation, unique dans son ampleur dans l’histoire des fraudes financières – la précédente de WorldCom date d'il y a bientôt quatre ans – traduit un système qui fonctionnait à l'envers : en dehors de toutes règles de transparence, avec une recherche spéculative d’une rémunération du capital en déconnexion totale avec des actifs tangibles, etc. Bref, hors des principes essentiels d’une finance “éthiquement” responsable, comme le proposent les préceptes de l’islam », défend Anass Patel.

« On a maintenant un vrai besoin de régulation financière pour protéger les épargnants. Il y a toujours une éthique qui émane de l’individu », renchérit Mohamed el-Bechir Ould Sass. « Je suggère l’instauration d’une autorité éthique sur chaque place financière du monde, sur le modèle de l’institution El Alhsba, qui existait notamment à l’époque des Abbassides, et qui était un “surveillant éthique du marché”. Les grands acteurs économiques choisiraient des membres compétents pour composer cette autorité. Cet organisme à but non lucratif serait indépendant des États mais aussi des organismes de notation car, dans la crise financière actuelle, on a bien vu les conséquences de la complicité des organismes de notation avec les grands investisseurs et les banques. »

Et d'expliquer : « Ce même organisme aurait un double objectif : promouvoir une culture éthique et restaurer la confiance entre les acteurs économiques. Il pourrait sanctionner une entreprise, mais que symboliquement, en termes d’image. Cette institution pourrait être fondée soit sur des valeurs de la finance islamique, soit sur un ensemble de valeurs universelles partagées par le plus grand nombre comme, par exemple, l’exigence de la traçabilité ou encore l’interdiction de la spéculation. »

Pour l'heure, seules les issues des procédures judiciaires semblent permettre d'impulser des changements, à l'image de l'initiative de l'Autorité des marchés financiers.





* Également membre du premier sharia board français, Acerfi : La Place de Paris a son « sharia board»