Crée en 1988 par le gouvernement Rocard, le revenu minimum d'insertion (RMI) se voulait assurer des ressources minimales et contribuer à l'insertion des chômeurs. Mais son impact en matière de retour à l’emploi n’a pas été à la hauteur de l'espoir suscité. En accord avec les promesses du candidat Chirac lors de la dernière campagne présidentielle, la réforme du RMI, par le gouvernement Raffarin, est programmée pour 2003. François Fillon, ministre du travail, a exprimé vouloir remanier ce dispositif « pour accroître le taux d'activité » et, a t’il ajouté, « mobiliser et responsabiliser les bénéficiaires de cette allocation ». Pour cela, un nouveau dispositif sera conçu : le RMA ou revenu minimum d’activité. Afin de percevoir cette copie de RMI, il faudra désormais exercer une activité impérativement.
Et l’alibi est lâché. Sous couvert de référence à des travaux inédits « d’économistes », le vieil argument des « faux chômeurs » qui adoptent le statut d’RMiste par ce qu’il leur permet de jouir, plus ou moins malhonnêtement, du régime de protection sociale, resurgi sournoisement. « C'est sans doute la raison principale de la crise politique et sociale que nous connaissons », a déclaré M. Fillon sur RMC. Le chômage serait donc volontaire. Il a ajouté : « Parmi ceux qui n'ont pas de travail, il faut donc distinguer les vrais exclus de ceux qui cherchent à détourner le système ». Mais comment donc, M. Fillon, compte il débusquer ces escrocs ?
Mis à part l’instauration d’un système de surveillance de la vie privée fatalement liberticide ou la dénonciation individuelle, la seule méthode efficace d’éradication de ces « arnaqueurs » constituerait à leur offrir un emploi équivalant à leur métier d’origine et constater leur refus de l’accepter. Mais la logique gouvernementale n’est pas celle-ci : notre charmant système ne peut pas générer arbitrairement exclusion et précarité (ex : licenciement boursier, délocalisation, fermetures d’usines…), mais ce sont ces marginaux, ces évincés qui sont responsables de leurs maux. Du moins, il faut que cela soit admis comme vrai dans l’opinion.
En fin de compte, ce RMA imposera aux bénéficiaires du RMI, sous menace de retrait d’allocations, à accepter tout et n’importe quoi. Toutefois, encore faut il qu’il y ait quelque chose à proposer. Mais M. Fillon y a t’il pensé ?
On en revient donc à la vision obsolète et réactionnaire des raisons du chômage particulièrement apprécier par la France d’en haut. Pour les « spécialistes » des réalités sociales, le chômage de longue durée serait la résultante d’un manque de motivation de ces 1.073 million de « feignants » qui préfèrent vivre avec 405,62 euros par mois (dans une société ou l’acte de consommation devient un acte de reconnaissance sociale voire de survie), et non l’insuffisance d’offre de travail de la part des entreprises. A croire que l’exclusion et la précarité sont « tendances », que les chômeurs prennent du temps libre pour aller à la cueillette des champignons ou gambader dans les champs.
A ce cliché, vous rajoutez quelques éminentes réflexions telles « ils vivent des alloc avec tous leurs gosses » ou « ils vendent de la drogue » pour que nous immergions dans la caricature xénophobe et l’amalgame. Heureusement, nous n’en sommes pas encore comme aux pires heures de la crise de la décennie 90. Mais soyez en sur, nous nous y cheminons.
Après cette franche rigolade, gardons quand même à l’esprit que le chômage est ressenti comme une perte de statut dans cette société où le travail est la première forme de « reconnaissance d’une utilité sociale, voire d’une reconnaissance vitale »(1). Le chômage est synonyme de dévalorisation, d’ennuie, d’angoisse, de culpabilité, de mépris et d’insécurité. Vos relations sociales, amicales voire familiales sont profondément altérées, beaucoup de liens « superficiels » se brisant par l’épreuve. Avec le temps, l’allongement de la durée du chômage et le dessèchement des indemnités font que vous sombrez dans l’extrême pauvreté. Que du bonheur…
(1) 'Le chômage' Jacques Freyssinet, collection La Découverte