L'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman (IISMM, EHESS) a organisé, le 7 juin dernier, une table ronde sur l'enseignement islamique en France. Plusieurs intervenants ont développé une réflexion sur le sujet à partir de leur expérience personnelle et/ou de leurs recherches en cours.
Assmaâ Rakho-Mom en a présenté un compte rendu sur son blog, dont je me suis permis de rectifier quelques erreurs en qualité d'intervenant à cette table ronde. J'ai cependant eu la surprise de voir par la suite l'article, non amendé, présent sur le site Saphirnews.
En effet, la teneur de l'article et les propos qui me sont prêtés laissent supposer une critique à charge contre les instituts existants, et plus particulièrement l'IASH de Lille, ce qui n'a pas été exactement le cas. Les lecteurs pourront consulter mes rectifications sur le blog Buzzlim . Mais je profite ici de l'occasion pour livrer rapidement quelques réflexions sur les nouveaux modes d'enseignement chez les musulmans, et sur les points essentiels d'un débat qui n'en est encore qu'à ses prémices.
Assmaâ Rakho-Mom en a présenté un compte rendu sur son blog, dont je me suis permis de rectifier quelques erreurs en qualité d'intervenant à cette table ronde. J'ai cependant eu la surprise de voir par la suite l'article, non amendé, présent sur le site Saphirnews.
En effet, la teneur de l'article et les propos qui me sont prêtés laissent supposer une critique à charge contre les instituts existants, et plus particulièrement l'IASH de Lille, ce qui n'a pas été exactement le cas. Les lecteurs pourront consulter mes rectifications sur le blog Buzzlim . Mais je profite ici de l'occasion pour livrer rapidement quelques réflexions sur les nouveaux modes d'enseignement chez les musulmans, et sur les points essentiels d'un débat qui n'en est encore qu'à ses prémices.
Regain de religiosité chez les uns, absence de formation chez les autres
Omero Marongiu-Perria, sociologue : « Les instituts supérieurs musulmans joueront un rôle majeur dans l'organisation future de l'islam. »
L'IISMM conduit actuellement une étude sur les nouveaux modes d'enseignement chez les musulmans, depuis le niveau primaire jusqu'aux instituts supérieurs de formation, en passant les configurations multiples de l'enseignement coranique. Ces nouveaux modes d'enseignement sont considérés aujourd'hui comme l'un des enjeux majeurs de l'organisation du culte musulman. Au-delà des questions relatives à la représentativité de l'islam, c'est toute la dynamique des discours accompagnant le regain de religiosité des publics musulmans qui intéresse les chercheurs et qui fait débat chez les pouvoirs publics.
Nous sommes là au carrefour des questions relatives au statut des référents religieux, au lien avec les pays d'origine, à la double formation ou non en sciences religieuses et en sciences humaines, à la nécessité ou non de diffuser un discours en langue française, et au conventionnement avec l'Éducation nationale pour la reconnaissance du statut d'établissements privés d'enseignement. Aussi, les caractéristiques du débat public et la prééminence d'une vision sécuritaire de l'islam ne contribuent pas, le plus souvent, à poser un cadre de débat serein.
Concrètement, quand on porte une analyse sur les instituts supérieurs d'enseignement islamique − ce qui était l'objectif de la table ronde du 7 juin −, il est difficile de mesurer de manière exacte à quels types de demandes ceux-ci répondent. En revanche, deux choses apparaissent clairement aujourd'hui.
La première est l'existence d'un public musulman en plein questionnement identitaire, et en très forte demande de discours axés sur la « vérité » et l'islam « authentique ». Ce public forme une large composante des étudiants de ces instituts.
La seconde est l'absence quasi totale de demande de formation chez les cadres religieux. Ceux-ci n'ont, dans la plupart des cas, suivi aucun cursus en sciences humaines. Beaucoup de questions sont donc soulevées aujourd'hui sur la nécessité ou non pour eux d'avoir cette double formation, et quel type de structure serait habilité à la leur délivrer.
Ces deux points méritent à eux seuls de longs développements, qui n'entrent pas dans le cadre du présent article et que nous n'avons pas eu le temps de détailler au cours de la table ronde. Il est cependant clair que l'affect domine largement les débats en cours.
Nous sommes là au carrefour des questions relatives au statut des référents religieux, au lien avec les pays d'origine, à la double formation ou non en sciences religieuses et en sciences humaines, à la nécessité ou non de diffuser un discours en langue française, et au conventionnement avec l'Éducation nationale pour la reconnaissance du statut d'établissements privés d'enseignement. Aussi, les caractéristiques du débat public et la prééminence d'une vision sécuritaire de l'islam ne contribuent pas, le plus souvent, à poser un cadre de débat serein.
Concrètement, quand on porte une analyse sur les instituts supérieurs d'enseignement islamique − ce qui était l'objectif de la table ronde du 7 juin −, il est difficile de mesurer de manière exacte à quels types de demandes ceux-ci répondent. En revanche, deux choses apparaissent clairement aujourd'hui.
La première est l'existence d'un public musulman en plein questionnement identitaire, et en très forte demande de discours axés sur la « vérité » et l'islam « authentique ». Ce public forme une large composante des étudiants de ces instituts.
La seconde est l'absence quasi totale de demande de formation chez les cadres religieux. Ceux-ci n'ont, dans la plupart des cas, suivi aucun cursus en sciences humaines. Beaucoup de questions sont donc soulevées aujourd'hui sur la nécessité ou non pour eux d'avoir cette double formation, et quel type de structure serait habilité à la leur délivrer.
Ces deux points méritent à eux seuls de longs développements, qui n'entrent pas dans le cadre du présent article et que nous n'avons pas eu le temps de détailler au cours de la table ronde. Il est cependant clair que l'affect domine largement les débats en cours.
Croiser les sciences religieuses et les sciences humaines
La façon dont la formation dispensée par l'université catholique de Paris a été restituée dans les milieux communautaires musulmans en est une parfaite illustration. En effet, contrairement aux critiques formulées chez les musulmans, il s'agissait d'une formation non pas aux sciences religieuses musulmanes, mais plutôt au cadre de la société française. Aussi, l'émergence du Conseil du français du culte musulman (CFCM) a conforté les pouvoirs publics dans l'idée que l'État n'avait pas à intervenir dans l'organisation de cursus de formation axés sur des matières religieuses.
C'est à partir de ces éléments qu'il convient de situer le débat sur les instituts supérieurs islamiques de formation. La majorité d'entre eux propose un cursus d'études essentiellement axé sur les disciplines religieuses, mais une bonne partie se propose aujourd'hui de développer un enseignement qui croise les sciences religieuses et les sciences humaines.
Cette approche intéresse directement les chercheurs comme les pouvoirs publics, car elle soulève un certain nombre de questions politiques, philosophiques, mais aussi techniques. Comme l'a souligné Mohamed Mestiri au cours du débat du 7 juin, il existe un cadre intellectuel élitiste qui exige des centres de pensée capables de former à la recherche. Ce cadre concerne un public spécifique, composé d'étudiants et de chercheurs, qui fréquentent des réseaux et des instituts comparables à l'Institut international de la pensée islamique (IIIT).
Certes, il est difficile de convaincre que l'enseignement islamique peut prétendre à la qualité académique dans le contexte actuel, de même qu'il est difficile de développer des recherches pluridisciplinaires sur l'islam, aussi bien pour convaincre les musulmans et les non-musulmans de la pertinence de cette approche plurielle. Mais les nouvelles générations de musulmans sont en demande de formations croisant sciences religieuses et sciences humaines ; malheureusement, il y a peu de théologiens ouverts sur les sciences humaines et vice-versa.
C'est à partir de ces éléments qu'il convient de situer le débat sur les instituts supérieurs islamiques de formation. La majorité d'entre eux propose un cursus d'études essentiellement axé sur les disciplines religieuses, mais une bonne partie se propose aujourd'hui de développer un enseignement qui croise les sciences religieuses et les sciences humaines.
Cette approche intéresse directement les chercheurs comme les pouvoirs publics, car elle soulève un certain nombre de questions politiques, philosophiques, mais aussi techniques. Comme l'a souligné Mohamed Mestiri au cours du débat du 7 juin, il existe un cadre intellectuel élitiste qui exige des centres de pensée capables de former à la recherche. Ce cadre concerne un public spécifique, composé d'étudiants et de chercheurs, qui fréquentent des réseaux et des instituts comparables à l'Institut international de la pensée islamique (IIIT).
Certes, il est difficile de convaincre que l'enseignement islamique peut prétendre à la qualité académique dans le contexte actuel, de même qu'il est difficile de développer des recherches pluridisciplinaires sur l'islam, aussi bien pour convaincre les musulmans et les non-musulmans de la pertinence de cette approche plurielle. Mais les nouvelles générations de musulmans sont en demande de formations croisant sciences religieuses et sciences humaines ; malheureusement, il y a peu de théologiens ouverts sur les sciences humaines et vice-versa.
Le conventionnement, un véritable casse-tête
La création de l'Institut Avicenne des sciences humaines (IASH), à Lille, en 2006, s'inscrit dans cette même optique. Comme pour d'autres instituts existants ou émergents, l'idée de départ a été de mettre en place un cursus d'études supérieures calqué sur le système LMD (licence, master, doctorat). Actuellement, cet objectif relève purement et simplement d'une gageure, car deux questions clés doivent être résolues pour pouvoir délivrer un diplôme reconnu par l'État.
La première concerne l'agrément octroyé par le rectorat d'académie. Plusieurs instituts musulmans possèdent aujourd'hui cet agrément d'enseignement, obtenu avec plus ou moins de difficultés. À titre d'exemple, l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Paris l'a obtenu après plusieurs années de négociation, et l'IASH de Lille l'a obtenu quelque temps après son ouverture. Le délai dépend, là aussi, de plusieurs facteurs liés aux cursus, au profil académique des enseignants, mais également aux contextes politiques locaux au regard de l'islam.
La seconde question, de loin la plus cruciale pour l'avenir de ces instituts, concerne la reconnaissance du diplôme. Or, en France, comme beaucoup de gens ne le savent certainement pas, seules les universités publiques sont habilitées à délivrer un diplôme d'enseignement supérieur. Les universités privées sont donc tenues de conventionner avec une université publique, si elles veulent donner à leurs étudiants la possibilité de poursuivre leur cursus universitaire dans un établissement public français ou européen.
C'est le cas des universités catholiques, et on comprend mieux la polémique soulevée en France à la suite des négociations avec le Vatican pour qu'il soit habilité à délivrer des diplômes d'enseignement supérieur. De même, les étudiants diplômés de l'IESH de Paris ou de Château-Chinon qui ont voulu poursuivre un cursus de troisième cycle à la Sorbonne ont tous été confrontés au même problème concernant la reconnaissance de leur diplôme.
Pour les instituts musulmans, le problème du conventionnement avec une université publique française représente un véritable casse-tête dans la mesure où aucune d'entre elles ne diffuse de cursus croisant les disciplines religieuses et les disciplines des sciences humaines. Tous, sans exception, sont donc amenés actuellement à réfléchir à un conventionnement avec une université dans ou hors Union européenne, qui pourrait délivrer le fameux diplôme conforme au cursus LMD et permettant aux étudiants diplômés de voir leur cursus pleinement reconnu.
De ce point de vue, non seulement j'estime que l'IASH de Lille n'est pas un échec, mais on peut considérer que les différents instituts musulmans concernés sont dans des réflexions originales qui mériteraient un développement spécifique. L'institut lillois a le regard tourné plutôt vers les universités de l'Europe balkanique et de l'Est, alors que d'autres instituts privilégient l'Europe du Sud.
La première concerne l'agrément octroyé par le rectorat d'académie. Plusieurs instituts musulmans possèdent aujourd'hui cet agrément d'enseignement, obtenu avec plus ou moins de difficultés. À titre d'exemple, l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Paris l'a obtenu après plusieurs années de négociation, et l'IASH de Lille l'a obtenu quelque temps après son ouverture. Le délai dépend, là aussi, de plusieurs facteurs liés aux cursus, au profil académique des enseignants, mais également aux contextes politiques locaux au regard de l'islam.
La seconde question, de loin la plus cruciale pour l'avenir de ces instituts, concerne la reconnaissance du diplôme. Or, en France, comme beaucoup de gens ne le savent certainement pas, seules les universités publiques sont habilitées à délivrer un diplôme d'enseignement supérieur. Les universités privées sont donc tenues de conventionner avec une université publique, si elles veulent donner à leurs étudiants la possibilité de poursuivre leur cursus universitaire dans un établissement public français ou européen.
C'est le cas des universités catholiques, et on comprend mieux la polémique soulevée en France à la suite des négociations avec le Vatican pour qu'il soit habilité à délivrer des diplômes d'enseignement supérieur. De même, les étudiants diplômés de l'IESH de Paris ou de Château-Chinon qui ont voulu poursuivre un cursus de troisième cycle à la Sorbonne ont tous été confrontés au même problème concernant la reconnaissance de leur diplôme.
Pour les instituts musulmans, le problème du conventionnement avec une université publique française représente un véritable casse-tête dans la mesure où aucune d'entre elles ne diffuse de cursus croisant les disciplines religieuses et les disciplines des sciences humaines. Tous, sans exception, sont donc amenés actuellement à réfléchir à un conventionnement avec une université dans ou hors Union européenne, qui pourrait délivrer le fameux diplôme conforme au cursus LMD et permettant aux étudiants diplômés de voir leur cursus pleinement reconnu.
De ce point de vue, non seulement j'estime que l'IASH de Lille n'est pas un échec, mais on peut considérer que les différents instituts musulmans concernés sont dans des réflexions originales qui mériteraient un développement spécifique. L'institut lillois a le regard tourné plutôt vers les universités de l'Europe balkanique et de l'Est, alors que d'autres instituts privilégient l'Europe du Sud.
Une approche décentrée de la religion
Reste maintenant à savoir comment résoudre la difficulté citée précédemment, relative à l'articulation entre sciences religieuses et sciences humaines. À ce sujet, l'IIIT dispose certainement d'une antériorité et d'un important background, du fait de sa création par des intellectuels et des chercheurs musulmans. Les autres instituts, dès lors qu'ils aspirent à une reconnaissance académique, sont confrontés tout d'abord au recrutement d'enseignants ayant le grade de docteur dans leurs disciplines respectives, puis à la mise en cohérence d'un cursus intégrant religion et sciences humaines. De ce point, mon expérience personnelle, doublée d'un tour d'horizon des formations proposées, me conduit à parler d'échec pour la plupart des instituts, qui ne dispensent presque aucun module en sciences humaines.
Mais, au-delà de ces considérations, il existe un point autrement plus sensible, sur lequel je pense qu'il est absolument salutaire de s'attarder. Il s'agit du décalage entre la volonté de créer des instituts diffusant des cursus supérieurs d'enseignement et des étudiants, dont une bonne partie sont réfractaires à une approche décentrée de la religion.
J'ai eu personnellement l'occasion de détailler des aspects de cette approche décentrée dans plusieurs de mes articles. Et concernant ces musulmans réfractaires, je vise précisément des personnes qui fréquentent les lieux d'apprentissage de l'islam dans une logique de « vérité » univoque. Évoluant souvent dans un réseau de sociabilité musulmane hypernormé, elles cherchent à acquérir la « science » religieuse non pas dans une optique de compréhension du monde et de déconstruction de la production normative, mais plutôt de consolidation d'un univers de représentation où tout élément est renvoyé dans la sphère du divin.
Partant de là, il est difficile de les faire entrer dans une analyse historique de la naissance et du développement de l'islam, de les familiariser avec les modes de catégorisation sociologique ou encore de leur expliquer les fondements historiques et sociopolitiques des écoles de théologie et de droit musulman. En effet, ces personnes ont l'impression que ce type d'approche vient déstabiliser les certitudes qu'elles se sont forgées et la logique de conviction dans laquelle elles se situent.
Devant l'afflux de ces étudiants, les instituts musulmans sont alors tentés d'asseoir leur légitimité en axant l'essentiel ou la totalité de l'enseignement sur la reproduction du schéma traditionnel des cursus de théologie, de droit ou d'apprentissage du Coran, ce qui est bien dommage. À mon sens, cette situation mérite des débats approfondis et de nombreux échanges de points de vue, car, au-delà des questions de reconnaissance académique, les instituts supérieurs musulmans vont être amenés à jouer un rôle majeur dans l'organisation future de l'islam.
* Omero Marongiu-Perria est sociologue de l'ethnicité et des religions, expert en politiques publiques et en management de la diversité.
Mais, au-delà de ces considérations, il existe un point autrement plus sensible, sur lequel je pense qu'il est absolument salutaire de s'attarder. Il s'agit du décalage entre la volonté de créer des instituts diffusant des cursus supérieurs d'enseignement et des étudiants, dont une bonne partie sont réfractaires à une approche décentrée de la religion.
J'ai eu personnellement l'occasion de détailler des aspects de cette approche décentrée dans plusieurs de mes articles. Et concernant ces musulmans réfractaires, je vise précisément des personnes qui fréquentent les lieux d'apprentissage de l'islam dans une logique de « vérité » univoque. Évoluant souvent dans un réseau de sociabilité musulmane hypernormé, elles cherchent à acquérir la « science » religieuse non pas dans une optique de compréhension du monde et de déconstruction de la production normative, mais plutôt de consolidation d'un univers de représentation où tout élément est renvoyé dans la sphère du divin.
Partant de là, il est difficile de les faire entrer dans une analyse historique de la naissance et du développement de l'islam, de les familiariser avec les modes de catégorisation sociologique ou encore de leur expliquer les fondements historiques et sociopolitiques des écoles de théologie et de droit musulman. En effet, ces personnes ont l'impression que ce type d'approche vient déstabiliser les certitudes qu'elles se sont forgées et la logique de conviction dans laquelle elles se situent.
Devant l'afflux de ces étudiants, les instituts musulmans sont alors tentés d'asseoir leur légitimité en axant l'essentiel ou la totalité de l'enseignement sur la reproduction du schéma traditionnel des cursus de théologie, de droit ou d'apprentissage du Coran, ce qui est bien dommage. À mon sens, cette situation mérite des débats approfondis et de nombreux échanges de points de vue, car, au-delà des questions de reconnaissance académique, les instituts supérieurs musulmans vont être amenés à jouer un rôle majeur dans l'organisation future de l'islam.
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