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Points de vue

Le sens et l'influence du Nom divin Al-‘Afuww à travers l’invocation de la Nuit du Destin, laylat al-Qadr

Rédigé par Abd-al-Wadoud Gouraud | Jeudi 13 Avril 2023 à 18:00

           


© Shafique Farooqi
© Shafique Farooqi
La fin du mois de Ramadan est imminente. Bientôt, une nouvelle lune, un nouveau mois, une nouvelle saison spirituelle. Après la première décade, placée sous l’égide de la rahma, puis la deuxième, sous l’égide de la maghfira, nous voici entrés dans la dernière décade de Ramadan, celle qui conduit à la délivrance du feu, celle qui renferme en son sein la Nuit de la valeur, de la puissance, du destin, laylat al-Qadr.

Le Prophète (sur lui la grâce unificatrice et la paix élévatrice) annonce que Dieu « a fixé dans le mois de Ramadan une nuit qui est meilleure que mille mois, celui qui a été privé de ses bienfaits a été privé de tout bien ».

On rapporte à ce sujet qu’Aïcha (que Dieu l’agrée), l’épouse bien-aimée de notre Prophète bien-aimé, lui avait demandé : « Ô Messager de Dieu, si jamais je sais quelle nuit est laylat al-Qadr, que devrais-je dire ? » Il répondit : « Dis : "Allâhumma innaka ‘afuwwun tuhibbu al-‘afwa fa-‘fu ‘annî. Allâh, Tu es Celui qui efface (les fautes), Tu aimes le pardon, efface de moi (mes fautes) ". » (Hadith rapporté par l’imam al-Tirmidhî)

Aïcha se demande et demande ce qu’elle devrait dire, elle demande comment et quoi invoquer, quelle prière spécifique elle devrait adresser à Dieu, dans quelle condition spirituelle elle devrait se disposer pour espérer recevoir le Bien escompté en cette nuit bénie.

Elle cherche la disposition du cœur et les mots les plus justes possibles qui puissent exprimer l’état de pauvreté vis-à-vis de l’Absolu, le Riche qui Se suffit à Lui-même, Celui qui Se passe de tout et dont rien ni personne ne peut se passer, ne serait-ce que le temps d’un clin d’œil.

Ce faisant, Aïcha nous montre l’exemple et nous permet, par son intermédiaire, d’être bien-guidés et orientés par le Prophète de la miséricorde, qui transmet selon l’inspiration divine ce qui est le plus utile et le plus bénéfique pour le serviteur.

L’invocation prophétique renferme une part de la Révélation porteuse de trésors divins

L’invocation n’est pas une technique mécanique, c’est une méthode spirituelle, une éducation de l’âme, qui exige une sincérité totale de la part du croyant. Et lorsque la formule de prière est transmise par le Prophète lui-même, c’est un enseignement en soi, une inspiration divine, un dévoilement du message de Vérité. Elle a pour vertu de purifier la langue et le cœur, d’éclairer l’intelligence, de favoriser une transformation extérieure et intérieure, de soutenir et accompagner la réalisation de l’adoration sincère de Dieu, de la servitude spirituelle pure, spontanée et naturelle, qui se passe d’explications, de justifications ou de compensations.

L’invocation prophétique renferme une part de la Révélation porteuse de trésors divins et d’une baraka, une influence spirituelle qui opère dans le cœur, dans l’âme, dans le corps, dans la vie tout entière.

L’invocation que le Prophète transmet à Aïcha est synthétique et parfaitement suffisante :

« Allâhumma innaka ‘afuwwun tuhibbu al-‘afwa fa-‘fu ‘annî. »

Le Prophète oriente le sens et la portée de la supplique vers Dieu en tant que ‘Afuww. Il invite à L’invoquer par l’intermédiaire de Son Nom Al-‘Afuww, comme manifestation de l’Essence, de la Qualité et de l’Action divines. Cette triple dimension apparaît dans l’articulation de la racine ‘ayn-fa-waw sous trois formes distinctes : ‘afuww indique le Nom, ‘afw indique la Qualité, u‘fu indique l’Action. Et la relation qui lie ces trois aspects n’est autre que l’Amour, tuhibbu. Dieu aime être Grand-Pardonneur, Il aime le Pardon, et Il aime Pardonner.

Mais que signifie exactement le Nom divin Al-‘Afuww ?

La racine ‘ayn-fa-waw signifie effacer les traces, le superflu, éliminer, renoncer à, pardonner, passer outre. Les maîtres enseignent que c’est avec le Nom divin Al-‘Afuww que les fautes, péchés et transgressions de toutes sortes sont effacés du registre tenu par les anges scribes, sont pardonnés, et disparaissent à tout jamais du serviteur par pure miséricorde divine.

Le Nom Al-‘Afuww est proche du Nom Al-Ghafûr, mais le premier est plus intense que le second. Il y a une différence entre la maghfira d’Allah et Son ‘afw. La maghfira est synonyme de sitr, elle recouvre et cache les fautes, laideurs et imperfections individuelles, tandis que le ‘afw est synonyme de mahw, il les efface complètement.

Différentes déclinaisons de cette racine particulière apparaissent dans la langue sacrée de la Révélation. Par exemple : « Wa mâ asâbakum min musîbatin fa-bimâ kasabat aydîkum wa ya‘fû ‘an kathîr. » (42 : 30)

D’après les exégètes du Coran, ce verset peut s’interpréter de deux façons au moins par rapport au Pardon divin. Première interprétation : « Toute épreuve qui vous afflige est le fruit de ce que vos mains ont perpétré, et encore Il ne tient pas compte (ya‘fû) de beaucoup d’autres méfaits que vous faites », c’est-à-dire que vous auriez été affligé de beaucoup d’autres épreuves, en conséquence de vos nombreux autres méfaits, si Dieu ne les avait pas pardonnés et effacés.

Deuxième interprétation : « Toute épreuve qui vous afflige est le fruit de ce que vos mains ont perpétré, et nombreux sont les méfaits dont Il ne tient pas compte », c’est-à-dire que les épreuves qui vous affligent sont justement l’expression de Son Pardon, et c’est par celles-ci qu’Il vous purifie de vos nombreux méfaits.

Ces deux interprétations ne sont d’ailleurs pas contradictoires.

Dans son commentaire sur les plus beaux Noms divins, l’imam Al-Ghazâlî explique que les êtres humains participent au Nom divin Al-‘Afuww en se montrant indulgents et en pardonnant à ceux qui les offensent, bien plus en faisant preuve de bonté envers les méchants.

Encore une fois, en cela comme en toute chose, le Prophète est un modèle parfait !

© Radiant Guy/CC BY-SA 2.0
© Radiant Guy/CC BY-SA 2.0

Le Prophète, un témoignage du serviteur transfiguré par le miracle de la Révélation

D’après le cheikh Ahmad ibn Idrîs al-Fâsî al-Hasanî, lorsque fut révélé le verset : « Montre-toi indulgent (khudh al-‘afw), ordonne ce qui est conforme à la coutume, et détourne-toi des ignorants » (7 : 199). Le Prophète demanda à l’ange Gabriel (Jibril) ce que cela signifiait. Après avoir demandé à son Seigneur, Jibril lui répondit : « Dieu t’ordonne de pardonner à celui qui t’a offensé, de donner à celui qui t’a privé, et d’entretenir des relations avec celui qui a rompu avec toi. »

L’ampleur et l’intensité du Pardon de Dieu effacent et purifient l’âme du serviteur croyant au point qu’elle devient comme une « table rase », comme la tablette de cire vierge, sans aucune inscription, symbole de la pureté de l’âme à sa naissance ; mais c’est aussi la tablette en bois sur laquelle on inscrit à l’encre les versets du Coran, symbole de la « Table gardée » contenant l’archétype éternel et primordial de la Révélation, symbole du cœur du Prophète illettré accueillant la descente intégrale de la Parole divine révélée en la nuit mystérieuse de laylat al-Qadr.

Grâce à l’action d’Al-‘Afuww, l’être est pacifié, réintégré, réordonné et régénéré par et dans l’Amour du Sujet divin : « Tu aimes le pardon », au-delà de toute expression et de toute conception.

« Sache, enseigne l’imam Al-Qushayrî, que le pardon de Dieu envers Ses serviteurs est quelque chose dont la signification profonde ne peut être saisie complètement à l’aide des expressions du langage. »

Le Prophète nous enseigne, par ses paroles et par son exemple, la discipline du sacrifice de l’ego, la méthode de l’effacement de soi, la voie du détachement authentique. Il nous offre le modèle et le témoignage du serviteur illuminé et transfiguré par le miracle de la Révélation, celui chez qui son épouse Aïcha avait su reconnaître et décrire le caractère, comme ne faisant qu’un avec le Coran, al-Qur’ân.

Allâhumma innaka ‘afuwwun tuhibbu al-‘afwa fa-‘fu annâ.


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Abd-al-Wadoud Gouraud, traducteur et spécialiste d'Al-Ghazali, est enseignant à l'Institut des hautes études islamiques (IHEI).

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