Quel rôle jouent les médias dans la société en général ?
Alain Gresh : Les médias sont un élément important des sociétés démocratiques, Ce sont un élément de la formation du citoyen et du débat publique,on peux avoir beaucoup de critiques et on en a à l'égard de ce fonctionnement de ce système mais je crois qu' il faut être conscient qu'il n'y a pas de sociétés démocratiques sans médias libres et sans médias pluralistes et démocratiques qui permettent d'organiser les débats et d'avoir les différents points de vue , de permettre à la société de s'exprimer dans ses différentes composantes.
Comment les médias se représentent ils l'objet islam ?
Alain Gresh : Je crois qu'il faut faire une remarque préliminaire. En parlant de médias, on parle de choses extrêmement différentes. Le système médiatique est un système énorme, avec la presse écrite, la presse régionale comme nationale, les hebdomadaires comme les quotidiens ou les mensuels, la radio, la télévision, maintenant Internet. Je crois qu'il faut éviter de trop généraliser et de dire qu'il y a une seule vision de n'importe quel problème en général. Il y a, dans la presse occidentale, un certain pluralisme, il y a un certain débat.
En même temps, cela ne veut pas dire que la presse ou les médias sont en dehors des préjugés ou des problèmes que connaisse la société et je crois que dans la vision générale des médias - mais, encore une fois, ce ne sont pas tous les médias -, il y a une vision de l'islam qui est assez, je dirais, unilatérale et assez peu nuancé qui est le mélange d'un manque d'information. Ça, c'est un problème qu'on rencontre toujours si vous voulez avec la formation des journalistes. Dans le système médiatique, en particulier dans le système qui est le plus fort, celui de la télévision, on a des gens qui traitent de sujets sans les connaître vraiment donc il y a effectivement, quand l'on ne connaît pas un sujet spontanément, on est porteur de tous les préjugés qui a sur le thème et donc, évidemment dans l'islam, on est souvent dans ce cas de figure. Et puis il y a effectivement une vision de l'islam qui est assez schématique, c'est-à-dire qui voit l'islam comme une espèce d'entité homogène qu'on pourrait analyser.
Quand on dit islam, de mon point de vue, on ne dit rien. De quoi on parle ? Est-ce qu'on parle d'une religion ? Des différentes interprétations qu'il y a de cette religion ? Du milliard de gens qui sont musulmans et qui appliquent cette religion des différentes sociétés qui vont de l'Algérie à la Tunisie à l'Indonésie ? Or, malheureusement avec le terme même d'islam, quand il est prononcé par un journaliste, celui-ci a l'impression qu'il dit quelque chose, qu'il donne une définition, et le spectateur a l'impression qu'il comprend mais, en fait, on ne comprend pas, et en plus c'est souvent une vision complètement en dehors de l'Histoire. Personne ne dit plus le christianisme pour décrire à la fois les Etats-Unis, l'Europe occidentale et l'Europe de l'Est, on dirait le christianisme pour expliquer toutes ces sociétés. Tout le monde comprend que c'est complètement réducteur et que cela ne représente rien. Là, il y a avec l'islam une espèce de vision, je crois, réductrice et simplificatrice.
En même temps, cela ne veut pas dire que la presse ou les médias sont en dehors des préjugés ou des problèmes que connaisse la société et je crois que dans la vision générale des médias - mais, encore une fois, ce ne sont pas tous les médias -, il y a une vision de l'islam qui est assez, je dirais, unilatérale et assez peu nuancé qui est le mélange d'un manque d'information. Ça, c'est un problème qu'on rencontre toujours si vous voulez avec la formation des journalistes. Dans le système médiatique, en particulier dans le système qui est le plus fort, celui de la télévision, on a des gens qui traitent de sujets sans les connaître vraiment donc il y a effectivement, quand l'on ne connaît pas un sujet spontanément, on est porteur de tous les préjugés qui a sur le thème et donc, évidemment dans l'islam, on est souvent dans ce cas de figure. Et puis il y a effectivement une vision de l'islam qui est assez schématique, c'est-à-dire qui voit l'islam comme une espèce d'entité homogène qu'on pourrait analyser.
Quand on dit islam, de mon point de vue, on ne dit rien. De quoi on parle ? Est-ce qu'on parle d'une religion ? Des différentes interprétations qu'il y a de cette religion ? Du milliard de gens qui sont musulmans et qui appliquent cette religion des différentes sociétés qui vont de l'Algérie à la Tunisie à l'Indonésie ? Or, malheureusement avec le terme même d'islam, quand il est prononcé par un journaliste, celui-ci a l'impression qu'il dit quelque chose, qu'il donne une définition, et le spectateur a l'impression qu'il comprend mais, en fait, on ne comprend pas, et en plus c'est souvent une vision complètement en dehors de l'Histoire. Personne ne dit plus le christianisme pour décrire à la fois les Etats-Unis, l'Europe occidentale et l'Europe de l'Est, on dirait le christianisme pour expliquer toutes ces sociétés. Tout le monde comprend que c'est complètement réducteur et que cela ne représente rien. Là, il y a avec l'islam une espèce de vision, je crois, réductrice et simplificatrice.
Or, le journaliste n'est-il pas tenu de vérifier ses sources et d'avoir une rigueur par rapport à celle-ci ?
Alain Gresh : On peut vérifier les sources mais qu'est-ce-que cela veut dire? Le problème du journalisme, c'est qu'il est toujours porteur d'une vision du monde. Dans ce sens, je n'aime pas le concept d'objectivité parce que moi, je suis porteur d'une vision du monde. Quand j'explique des choses dans Le Monde Diplomatique, c'est à partir d'un certain nombres d'idées que j'ai et qui sont mes idées, dont j'ai conscience du moins et que le journal affiche. Je pense que tout journaliste est dans ce cas mais, souvent, le journaliste ne se rend pas compte lui-même de ce dont il est porteur. Ce n'est pas tellement la question qu'il déforme sciemment. Bien sûr, il y a des gens qui déforment, qui mentent... Mais globalement si on prend pour l'islam, je crois que l'essentiel est dû à des a priori. Ce n'est pas une question d'information ; ce n'est pas si on leur donnait de meilleures informations, il aurait une opinion différente ; c'est plutôt quel cadre d'analyse ils ont. Si vous pensez que l'islam permet d'expliquer la violence en Algérie et en Egypte, le fait qu'on tue des femmes en Jordanie pour des crimes d'honneur et que tout cela vous mettez sous le concept de l'islam... Vous pouvez ne donner que des vraies informations et, en même temps, donner une vision, à mon avis, complètement déformée.
Quels sont les conséquences sur la représentations mentale de l'islam qu'on se fait en France ?
Alain Gresh : En France, l'islam renvoie à deux réalités de type différents, une réalité qui, je dirais, est une réalité de type extérieur, qui a connu une renaissance avec la révolution iranienne avec l'idée d'une menace islamique, de l'islam comme un mouvement politique hostile à l'Occident qui utilise souvent le terrorisme, donc comme un ennemi et un ennemi extérieur. Et il y a une vision de l'islam qui est liée à la présence de l'immigration qui voit aussi l'islam comme un ennemi mais à partir de la présence en France de millions de citoyens maintenant français pour une part importante de musulmans. Pour un certain nombre de gens, je dirais que d'une certaine manière, l'islam a remplacé le communisme comme à la fois un ennemi extérieur et intérieur.
Mais encore une fois, si on voit par exemple la relation entre les médias et l'immigration, on peut dire que, globalement, les médias ont plutôt une vue qui n'est pas hostile à l'immigration. Quand il y a eu l'affaire des sans-papiers par exemple, les médias étaient globalement plutôt du côté des sans-papiers que du côté du pouvoir, donc il ne faut pas non plus en avoir une vision simple. Mais on a vu avec l'affaire du foulard, par exemple la première, celle de 1989 à Creil sur laquelle j'ai travaillé, à quel point là on était dans une espèce de fantasme collectif, à la fois des médias d'une partie de la gauche française sur l'idée d'une menace intérieure : "Ils mettent en cause la laïcité, la République unie, on va vers un communautarisme, etc." Lire ces textes dix ans après, je crois que c'est assez intéressant pour voir à quel point tous ces gens qui se sont mobilisés autour du foulard se sont trompés de cible.
Mais encore une fois, si on voit par exemple la relation entre les médias et l'immigration, on peut dire que, globalement, les médias ont plutôt une vue qui n'est pas hostile à l'immigration. Quand il y a eu l'affaire des sans-papiers par exemple, les médias étaient globalement plutôt du côté des sans-papiers que du côté du pouvoir, donc il ne faut pas non plus en avoir une vision simple. Mais on a vu avec l'affaire du foulard, par exemple la première, celle de 1989 à Creil sur laquelle j'ai travaillé, à quel point là on était dans une espèce de fantasme collectif, à la fois des médias d'une partie de la gauche française sur l'idée d'une menace intérieure : "Ils mettent en cause la laïcité, la République unie, on va vers un communautarisme, etc." Lire ces textes dix ans après, je crois que c'est assez intéressant pour voir à quel point tous ces gens qui se sont mobilisés autour du foulard se sont trompés de cible.
Finalement, ce n'est pas proprement l'islam qui fait peur, mais plutôt le phénomène religieux qui active le débat sur la laïcité du début du siècle…
Alain Gresh : Oui ! Si vous voulez la gauche française et en particulier la gauche dite républicaine qui a été très en pointe dans le combat contre le voile à l'école a une vision de l'islam qui est lié au combat de leurs aînés qui l'ont mené contre les hommes d'Eglise au début du XXe siècle. Ce qui est une lecture à mon avis complètement à côté de la plaque, parce que d'abord l'Eglise en 1905 est une vraie puissance en France, ce que n'est absolument pas l'islam et, deuxièmement, parce que le christianisme est la religion dominante, l'islam est la religion des dominés ici. C'est la religion d'une partie de la population qui vit de manière exclue, marginalisée, opprimée. Donc, la comparaison n'a à mon avis aucun sens. Mais c'est vraie qu'elle a mobilisé et donc à partir des menaces sur la laïcité et des déclarations de gens qui dans la communauté musulmane remettait en cause le principe laïque et qui était à mon avis complètement secondaire, il y a eu une mobilisation et il y a eu de mauvaises interprétations de qui se passait. Ceci étant, je crois que le débat a quand même évolué, même si on voit ici et là resurgir à propos de l'affaire des foulards une espèce de fantasme collectif… En 1989, il y a des gens qui ont écrit que, dans quelques années, non seulement toutes les filles musulmanes iront à l'école voilée mais aussi les enseignants... Aujourd'hui, quand on dit cela, ça fait plutôt sourire, mais ça montre tout de même une difficulté à comprendre tout ça. Alors c'est dû à une chose que je n'ai pas dite tout à l'heure, je crois qu'il a eu parallèlement la révolution iranienne et le début de ce qu'on a appelé le terrorisme islamique et la prise de conscience par la société française que les musulmans étaient là et pour rester, y compris les musulmans eux-mêmes.
Une des particularités de l'immigration maghrébine des années 1950 et 1960, c'est que la plupart vienne mais avec l'idée de repartir, ce qui n'est le cas des immigrations précédentes. Et là en 1974, avec l'arrêt de l'immigration, brusquement, on en prend conscience ! Les immigrés eux-mêmes prennent conscience qu'ils ne rentreront pas au pays, et la société française prend conscience que l'islam est devenue une religion française. Et ça, c'est un choc qui est très difficile. Ajouter à ça, ce choc commence au moment où commence la crise sociale, le chômage de masse qui touche les immigrés, les problèmes des cités, les problèmes des banlieues donc ça alimente un fantasme, des peurs mais souvent des peurs mal orientées. Le problème qu'a la société française avec l'islam, c'est un problème social. Il y a effectivement un problème d'une partie de la jeune génération française d'origine immigrée qui a un vrai problème de travail, qui a un vrai problème d'intégration sociale mais pas parce qu'ils sont musulmans mais parce qu'ils n'ont pas de travail, ce qui n'a absolument rien n'à voir.
Une des particularités de l'immigration maghrébine des années 1950 et 1960, c'est que la plupart vienne mais avec l'idée de repartir, ce qui n'est le cas des immigrations précédentes. Et là en 1974, avec l'arrêt de l'immigration, brusquement, on en prend conscience ! Les immigrés eux-mêmes prennent conscience qu'ils ne rentreront pas au pays, et la société française prend conscience que l'islam est devenue une religion française. Et ça, c'est un choc qui est très difficile. Ajouter à ça, ce choc commence au moment où commence la crise sociale, le chômage de masse qui touche les immigrés, les problèmes des cités, les problèmes des banlieues donc ça alimente un fantasme, des peurs mais souvent des peurs mal orientées. Le problème qu'a la société française avec l'islam, c'est un problème social. Il y a effectivement un problème d'une partie de la jeune génération française d'origine immigrée qui a un vrai problème de travail, qui a un vrai problème d'intégration sociale mais pas parce qu'ils sont musulmans mais parce qu'ils n'ont pas de travail, ce qui n'a absolument rien n'à voir.
Ces fantasmes collectifs dont vous avez parlé tout à l'heure n'ont-ils pas une source très ancienne que nous trouvons par exemple dans les chansons populaires du Moyen-Age ?
Alain Gresh : Ecoutez, il y a évidemment des deux côtés une tradition, je dirais, ancienne d'affrontement qu'on peut faire remonter aux croisades mais ne la surestimons pas. Elle existe, moi j'ai étudié la presse de cette période de 1989, il y a une partie de la droite extrême qui est tout à fait porteuse de ça. Ce qui m'a frappé dans l'affaire du foulard, c'est à quel point l'argument religieux est inexistant. A part pour cette frange d'extrême droite qui dit que nous devons défendre le christianisme, la France fille aînée de l'Eglise, c'est un argument qui ne prend pas. Je ne dis pas que cela n'existe pas. Et je pense que, du côté musulman c'est un argument qui existe aussi mais qui est relativement marginal.
Encore une fois, l'Histoire pèse évidemment mais je pense que, pour la France, ce qui pèse beaucoup plus, c'est l'histoire coloniale que l'Histoire des croisades. Oui, ce qui pèse dans les mémoires, c'est la guerre d'Algérie, de ce que cela a marqué dans les mémoires à la fois algériennes et françaises et, sans doute, de manière durable. Ce qui me semble importante, c'est l'histoire immédiate et, encore une fois, ce n'est pas le conflit religieux. J'ai été frappé réellement en France qu'il y a très peu de gens qui mène le combat "Défendons la fille aînée de l'Eglise".
Encore une fois, l'Histoire pèse évidemment mais je pense que, pour la France, ce qui pèse beaucoup plus, c'est l'histoire coloniale que l'Histoire des croisades. Oui, ce qui pèse dans les mémoires, c'est la guerre d'Algérie, de ce que cela a marqué dans les mémoires à la fois algériennes et françaises et, sans doute, de manière durable. Ce qui me semble importante, c'est l'histoire immédiate et, encore une fois, ce n'est pas le conflit religieux. J'ai été frappé réellement en France qu'il y a très peu de gens qui mène le combat "Défendons la fille aînée de l'Eglise".
Le temps…
Alain Gresh : Tout à fait ! Mais là aussi dans l'étude que j'ai faite aussi sur la presse écrite, mais ce n'est pas le cas de le télévision car la télévision est souvent plus simplificatrice, j'ai été frappé comment, dans les dernières années, il y a eu une volonté de donner de l'islam, en France en tous les cas, une vision plus positive. Effectivement, on n'est plus à l'époque des Mariannes voilées qui est la période de la fin des années 1980 et début 1990. Je crois que les médias comprennent un peu mieux que ce qu'il a été il y a dix ans ; il y a une volonté de donner une image encore une fois plus positive de l'islam. Je crois aussi que c'est en partie grâce à la responsabilité des musulmans de France eux-mêmes, qui sont plus actifs maintenant dans ce que font toutes les communautés religieuses organisées, c'est-à-dire le contact avec la presse, connaître les journalistes, les voir, etc., ce qui peut jouer un rôle. Cela ne veut pas dire que les choses soient simples. Récemment encore, je voyais sur M6 une espèce de journal de 5 minutes sur la révolution iranienne, c'était absolument affligeant ! Mais, je pense qu'il y a des évolutions, bien sûr, c'est la responsabilités des journalistes, mais souvent quand je fais des débats avec des jeunes musulmans, je leur dit aussi que c'est leur responsabilité. Il ne faut pas s'enfermer dans l'idée… Encore une fois, le système médiatique démocratique est un système très compliqué, il y a beaucoup de perversion que nous, en tant que journal, nous avons dénoncé, mais il offre aussi des zones d'interventions possibles. Il ne faut pas avoir l'impression que le système médiatique est hostile aux musulmans aujourd'hui, et qu'il n'y a rien de possible à faire. C'est un sentiment qu'avaient les gens qui défendaient la cause palestinienne à la fin des années 1960. Ils disaient : "Ah ! Les médias, ils sont tous avec les sionistes !" En fait, il y a eu une grande évolution des médias, ils ont plutôt de la sympathie à l'égard de la cause palestinienne. Donc, il y a une évolution des médias, des journalistes, elle dépend de chacun d'entre nous. Il ne faut pas présenter les choses d'une manière trop figée.
L'évolution des médias ne commence-t-elle pas par la presse locale avec laquelle les associations musulmanes devraient tisser des relations ?
Alain Gresh : Je pense que oui, parce que c'est là où le contact est le plus facile, et que la presse nationale est toujours plus difficile. Mais le travail doit se faire à tous les niveaux. Au lieu d'être un fantasme, les musulmans deviennent une réalité concrète pour les journalistes, cela change les rapports. C'est évident, avec un journal local avec des gens, à moins de tomber sur gens mal intentionnés, ce qui peut exister, il va découvrir qu'il tombe sur des êtres humains avec lesquels il peut être ou pas d'accord etc. mais il sera moins sensible à la propagande ou à la schématisation.
On remarque que les médias très souvent le raccourci entre la communauté musulmane de France et la scène internationale.
Alain Gresh : Oui mais ça, c'est une chose à laquelle la communauté musulmane ne peux pas y échapper. On peux le regretter. Moi, je pense par exemple, que j'ai toujours été très choqué par la manière dont les médias, au moment de la guerre du Golfe, ont sommé les musulmans français de se prononcer sur Saddam Hussein. Moi, j'ai un souvenir d'une équipe de télé allant demander à des jeunes en banlieue : "Est-ce-que vous êtes pour Saddam Hussein ?" Evidemment, les jeunes, ne sachant sans doute pas où se trouve l'Irak, disaient oui parce qu'ils avaient compris que Saddam Hussein était contre ces gens qui étaient le pouvoir. On peut dire que c'est injuste d'une certaine manière. En même temps, les responsables des communautés musulmanes ne peuvent pas échapper à ça ! Ils peuvent dire : "Cela ne nous concerne pas !" En fait, qu'on le veuille ou non, ça les concerne. Je dirais sans faire le parallèle tout à fait, c'est le même problème entre le PCF et le camps socialiste. Le PCF avait beau dire "Mais nous, nous ne sommes pas responsables de ce que fait l'Union soviétique", il se réclamait de quelque chose qui était perçu par l'opinion publique comme le communisme et donc le PCF était pour l'opinion publique comme comptable du communisme. Là, vous ne pouvez pas demander… que se soit sur l'affaire Salman Rushdie ou sur l'affaire d'un attentat terrible en Algérie ou en Egypte, les responsables, je ne parle pas des gens de la communauté musulmane de France, seront sommés de s'expliquer et on ne peut pas faire autrement. Il y aura à s'expliquer parce que c'est l'image de l'islam qui en pâtit. Forcément, cela rejaillit sur l'islam français. On peut regretter, si vous voulez, cette espèce de mise en demeure. Mais en même temps, compte tenu, aujourd'hui, des imbrications des scènes internationales et des scènes nationales et du fait qu'on vit comme on dit dans un village globale même si ce n'est pas tout à fait vrai, c'est quelque chose auquel personne ne peut y échapper.
Que pensez-vous de l'association beaucoup très fréquente par les médias des schémas "France/Algérie" et "Occident/islam' ?
Alain Gresh : Vous savez le problème de l'Algérie, c'est en partie un problème intérieur français. Quand je dis intérieur, c'est parce que nos relations avec l'Algérie sont tellement étroites que ce n'est pas ressentie en France comme un problème extérieur comme l'Egypte ou l'Iran et puis parce que nous avons des centaines de milliers de citoyens français qui sont d'origine algérienne. Sans parler des pieds noirs qui viennent d'Algérie.
Moi, je n'aime pas ce terme d'affrontement Occident/islam car, aujourd'hui, l'islam est en Occident. Et je pense que c'est une bonne chose, et cela peut être un enrichissement pour l'Occident, et que justement il faut essayer de ne pas réfléchir dans cette dichotomie soit Occident, soit islam. Moi, je pense que non seulement il y a une interpénétration, mais je pense que l'Occident peut être une chance pour l'islam. Pour les penseurs religieux musulmans, le seul endroit libre pour penser c'est l'Occident. Aujourd'hui, pour des raisons diverses, non pas parce que c'est l'islam mais parce qu'on a à faire à des dictatures en Algérie, en Egypte et ailleurs, il est très difficile d'avoir une pensée libre, de discuter de choses. L'Occident offre aujourd'hui à de millions de musulmans la possibilité de débattre librement de toute une série de thèmes. Je trouve que cela peut être une chance à la fois pour les musulmans et pour l'Occident.
Moi, je n'aime pas ce terme d'affrontement Occident/islam car, aujourd'hui, l'islam est en Occident. Et je pense que c'est une bonne chose, et cela peut être un enrichissement pour l'Occident, et que justement il faut essayer de ne pas réfléchir dans cette dichotomie soit Occident, soit islam. Moi, je pense que non seulement il y a une interpénétration, mais je pense que l'Occident peut être une chance pour l'islam. Pour les penseurs religieux musulmans, le seul endroit libre pour penser c'est l'Occident. Aujourd'hui, pour des raisons diverses, non pas parce que c'est l'islam mais parce qu'on a à faire à des dictatures en Algérie, en Egypte et ailleurs, il est très difficile d'avoir une pensée libre, de discuter de choses. L'Occident offre aujourd'hui à de millions de musulmans la possibilité de débattre librement de toute une série de thèmes. Je trouve que cela peut être une chance à la fois pour les musulmans et pour l'Occident.
La thèse du choc des civilisations de Samuel Hungtinthon n'aurait-elle pas déteint sur les médias ?
Alain Gresh : Oui, avant même la thèse… même si, en général, peu de médias soutiendraient à ma connaissance cette thèse. Il n'y a pas de journaux qui l'ont fait. Mais c'est ça qu'il y a dans les esprits, c'est ce que je dis ! C'est Occident/islam ! Ecoutez, l'Occident, ce n'est rien (est-ce-que le Japon, c'est l'Occident ?) et l'islam aussi. Encore une fois, pour moi, c'est une diversité historique. Quel rapport y'a t-il entre l'Algérie et l'Indonésie ? Il y a évidemment des réalités qui ont été forgées par l'Histoire mais elles ne sont pas immuables. Elles se transforment. Aujourd'hui l'islam est la deuxième religion française ! C'est tout de même un changement fondamental par rapport à la France chrétienne, fille aînée de l'Eglise.
Si l'on se tourne vers la télévision, on s'aperçoit que peu de temps est accordé à la deuxième religion de France, excepté les drames qui lui sont injustement attribuées. Qu'en dites-vous ?
Alain Gresh : En général, la télévision comme la presse a tendance à ne rapporter que ce qui est dramatique. Souvent, ce sont des catastrophes. Le problème est de quoi on parle quand l'on parle de l'islam. Notamment avec la seconde guerre d'Algérie puisqu'on l'appelle des fois comme ça, ce qui revenait à la télévision c'est : "On a assassiné, on a égorgé 50 personnes à tel endroit"… C'est compliqué car c'est aussi une partie de l'actualité. Ce n'était pas seulement une volonté de la presse de médire de l'islam. Mais on parle de ça. Le groupe qui fait ça s'appelle "Groupe islamique armée". Même si la presse, du moins la presse écrite, est extrêmement critique à l'égard du régime algérien. Elle ne fait pas du tout l'impasse sur le régime algérien. Elle a condamné le coup d'Etat. Elle a même mis en doute un certain nombre de massacres en disant que c'est le régime qui l'avait fait, etc. Mais, en même temps, il y a des groupes qui se réclament de l'islam qui peuvent revendiquer le massacre d'enfants… C'est évident que ça a des répercussions négatives sur l'islam de France.
Les médias ne sont-ils pas sous l'emprise des lois du marché ? Est-ce que l'islam est un sujet qui se vend bien ?
Alain Gresh : Oui, effectivement, c'est le sujet du fonctionnement du système médiatique qui est de plus en plus aux mains des puissances financières. On passe d'une presse que, je dirais, coopérative, possédée par elle-même, à une presse qui est possédée par les grands groupes. Le Monde devient une des rares exceptions d'un journal qui est propriété pour l'essentiel des journalistes. La question que vous avez posée est très importante, parce que là aussi, quand je parle dans des assemblées de jeunes musulmans français, je leurs dit deux choses : "D'abord, en tant que citoyen français, vous êtes concernés par le fonctionnement du système médiatique qui n'est pas le système qui convient à un pays démocratique et c'est votre responsabilité indépendamment de ce qu'ils disent de l'islam. Vous devez comprendre comment fonctionne ce système, y compris pour comprendre ce qu'ils disent de l'islam. Mais ce n’est pas le même problème. Vous comme chacun des citoyens de ce pays, nous avons une responsabilité à l'égard de ce système médiatique et de la lutte pour changer ce système médiatique." Encore une fois, la manière dont fonctionne le système a des conséquences sur l'islam sans pour autant qu'il soit directement lié à l'islam. Et puis il y a quelque chose qui est lié à l'islam, c'est la méconnaissance et les préjugés qu'on a sur lui. On n'obtiendra pas une vision positive ou différente ou objective ou nuancée de l'islam si en même temps on ne change pas le système médiatique parce que c'est la condition d'un vrai fonctionnement démocratique, de vrais débats dans cette société.
Comment faut-il envisager le changement du système médiatique, et ce sur le long terme ?
Alain Gresh : Pour l'instant, le changement s'opère vers le mauvais sens. On va au niveau international comme au niveau national vers la prise de contrôle par des grands groupes sur le système médiatique. Il y a un vrai débat à avoir et une véritable question. Moi, je n'ai pas de réponse facile sur "Comment on change ce système ?" Mais c'est lié au combat en France pour la démocratie. Il est important d'expliquer aux jeunes musulmans qui pratiquent l'islam comme aux jeunes qui pratiquent le christianisme, comme aux jeunes qui pratiquent le judaïsme qu'ils n'ont pas des responsabilités uniquement en tant que juif, chrétien ou musulman. Ils ont aussi des responsabilités en tant que citoyen à travers leurs convictions mais aussi en tant que citoyen. Ils vivent dans une société qui ne se positionne pas uniquement pour ou contre l'islam, elle se positionne sur beaucoup d'autres choses de valeurs générales et d'ailleurs il y a je pense, des terrains d'entente possibles aussi bien entre différentes religions que des laïcs et des croyants autour d'objectifs qui sont des objectifs de transformations démocratiques.