Mohamed El Baradei, ex-directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), a reçu le prix Nobel pour la paix en 2005.
Le Caire - Les Egyptiens n'en peuvent plus : depuis des dizaines d'années, la corruption et la prévarication paralysent la police et le pouvoir judiciaire ; la pauvreté endémique frappe 20 % de la population ; le chômage ne décolle pas des 10 % ; et un système scolaire déficient produit 27 % d'illettrés.
Oui, la plupart des Egyptiens désirent sans doute un changement, mais sont-ils prêts pour la rupture démocratique et concrète que promet Mohamed El Baradeï, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et candidat probable à l'élection présidentielle de 2011 ?
La popularité de ce lauréat du prix Nobel 2005 a explosé il y a quelques mois à peine, surtout chez les jeunes. Sur Facebook, son principal groupe de soutien, « El Baradeï Président de l'Egypte en 2011 », compte plus de 240 000 partisans, soit 7 % des 3,4 millions d'utilisateurs que compte le pays. Il bénéficie également du soutien du Mouvement des jeunes du 6 avril, groupe de militants de Facebook fondé en 2008 pour soutenir une grève d'ouvriers dans le nord du pays. Ce mouvement se compose essentiellement de jeunes activistes, bloggeurs et journalistes citoyens qui se mobilisent sur le Net et dans les rues au profit de causes politiques diverses.
El Baradeï est également respecté par la génération plus ancienne, comme en témoigne le vaste ralliement à son Association nationale pour le changement, qui milite pour un système politique fondé sur une démocratie authentique et la justice sociale. Parmi les partisans de cette organisation figurent les Frères musulmans, le mouvement d'opposition le plus important du pays.
Ces groupes d'influence soutiennent le plan de réforme en sept points de M. El Baradeï pour une Egypte meilleure. Parmi les reformes envisagées : mettre un terme à l'état d'urgence en place depuis 1981 ; permettre au pouvoir judiciaire de contrôler le déroulement des élections ; simplifier les formalités d'inscription sur les listes électorales ; et limiter à deux les mandats présidentiels.
Pour atteindre ces objectifs, il faudra remanier plusieurs articles de la Constitution. Or, si les Egyptiens dans leur ensemble comprennent que certaines modifications seront indispensables dans l'immédiat, M. El Baradeï − que les médias et le peuple considèrent généralement comme un progressiste ouvert − a déchaîné la polémique autour de l'article II de la Constitution, qui déclare l'islam religion d'Etat et la loi islamique source principale des lois.
Sans affirmer ouvertement son intention de réformer cette disposition, M. El Baradeï a fait savoir que, malgré tout son respect pour la majorité musulmane du pays, il a également le devoir de protéger les droits de la minorité copte, les droits de tous les Egyptiens, sans distinction de croyance, puisque la Constitution leur garantit l'égalité des droits.
De ce fait, certaines chaînes de télévision islamiques, ainsi que la branche jeunesse des Frères musulmans, ont publié et mis en ligne des articles et des vidéos hostiles à M. El Baradeï, annonçant qu'ils n'avaient plus l'intention de voter pour lui parce qu'il veut imposer la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Quant aux Frères, s'ils se déclarent toujours en faveur de la candidature d'El Baradeï, ils contestent ses vœux de mutation démocratique vers un Etat laïc.
Ces vives réactions commencent à susciter des inquiétudes parmi certains Egyptiens qui pensent que la majorité n'est pas prête à intégrer des changements si catégoriques que les minorités religieuses se verraient automatiquement octroyer l'égalité des droits et que les principes islamiques ne seraient plus la source première des lois.
De nombreux Egyptiens sont aussi convaincus que si les réformes de M. El Baradeï voyaient le jour, la mention de la religion disparaîtrait des cartes d'identité, le droit islamique de la famille cesserait de s'appliquer aux actes de mariage et de divorce pour les non-musulmans, les obstacles qui empêchent les minorités religieuses de construire leurs lieux de culte seraient levés et les lois interdisant le prosélytisme seraient abolies.
Pour tout dire, l'opinion la plus répandue est que, en cas d'élections libres et justes, le parti des Frères musulmans, qui excluent toute candidature d'un chrétien ou d'une femme à la présidence, passerait haut la main, fort du soutien d'une majorité religieuse traditionnelle.
Les chances de M. El Baradeï d'accéder à la présidence sont encore grevées par la sensibilité religieuse de la population. Par exemple, si le débat qui entoure la religiosité de M. El Baradeï s'éteint et qu'il devienne un candidat officiel qui gagne ensuite les élections de 2011, certains Egyptiens craignent qu'il ne soit contraint de choisir soit entre mettre en œuvre son plan de vaste changement démocratique, au risque d'être qualifié d'« Américanisant » ou d'« ennemi de l'islam », soit de trouver un accommodement avec l'actuelle élite sociale et politique et de ne pas s'acquitter de certaines de ses promesses, comme de donner l'égalité des droits aux minorités.
Pour pouvoir instaurer un avenir dans lequel les Egyptiens connaîtront la véritable réforme démocratique promise par M. El Baradeï dans son plan en sept points, les dirigeants religieux respectés, tant musulmans que chrétiens, doivent l'aider à apaiser la querelle actuelle et le soutenir plus fermement dans sa campagne pour une Egypte plus égalitaire et plus tolérante.
Les Egyptiens doivent unir leurs efforts et se déclarer en faveur de M. El Baradeï au sein de leur communauté, en contribuant à créer un climat de tolérance qui permettra au peuple entier d'accepter l'égalité des droits pour tous, sans distinction religieuse. Certes, il n'est pas facile de changer les mentalités, mais le soutien de personnalités éminentes dans le pays pourrait aider M. El Baradeï à reconquérir le terrain perdu et à le remettre sur les rails de la campagne électorale de 2011.
* Yasser Khalil est un journaliste égyptien.
Oui, la plupart des Egyptiens désirent sans doute un changement, mais sont-ils prêts pour la rupture démocratique et concrète que promet Mohamed El Baradeï, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et candidat probable à l'élection présidentielle de 2011 ?
La popularité de ce lauréat du prix Nobel 2005 a explosé il y a quelques mois à peine, surtout chez les jeunes. Sur Facebook, son principal groupe de soutien, « El Baradeï Président de l'Egypte en 2011 », compte plus de 240 000 partisans, soit 7 % des 3,4 millions d'utilisateurs que compte le pays. Il bénéficie également du soutien du Mouvement des jeunes du 6 avril, groupe de militants de Facebook fondé en 2008 pour soutenir une grève d'ouvriers dans le nord du pays. Ce mouvement se compose essentiellement de jeunes activistes, bloggeurs et journalistes citoyens qui se mobilisent sur le Net et dans les rues au profit de causes politiques diverses.
El Baradeï est également respecté par la génération plus ancienne, comme en témoigne le vaste ralliement à son Association nationale pour le changement, qui milite pour un système politique fondé sur une démocratie authentique et la justice sociale. Parmi les partisans de cette organisation figurent les Frères musulmans, le mouvement d'opposition le plus important du pays.
Ces groupes d'influence soutiennent le plan de réforme en sept points de M. El Baradeï pour une Egypte meilleure. Parmi les reformes envisagées : mettre un terme à l'état d'urgence en place depuis 1981 ; permettre au pouvoir judiciaire de contrôler le déroulement des élections ; simplifier les formalités d'inscription sur les listes électorales ; et limiter à deux les mandats présidentiels.
Pour atteindre ces objectifs, il faudra remanier plusieurs articles de la Constitution. Or, si les Egyptiens dans leur ensemble comprennent que certaines modifications seront indispensables dans l'immédiat, M. El Baradeï − que les médias et le peuple considèrent généralement comme un progressiste ouvert − a déchaîné la polémique autour de l'article II de la Constitution, qui déclare l'islam religion d'Etat et la loi islamique source principale des lois.
Sans affirmer ouvertement son intention de réformer cette disposition, M. El Baradeï a fait savoir que, malgré tout son respect pour la majorité musulmane du pays, il a également le devoir de protéger les droits de la minorité copte, les droits de tous les Egyptiens, sans distinction de croyance, puisque la Constitution leur garantit l'égalité des droits.
De ce fait, certaines chaînes de télévision islamiques, ainsi que la branche jeunesse des Frères musulmans, ont publié et mis en ligne des articles et des vidéos hostiles à M. El Baradeï, annonçant qu'ils n'avaient plus l'intention de voter pour lui parce qu'il veut imposer la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Quant aux Frères, s'ils se déclarent toujours en faveur de la candidature d'El Baradeï, ils contestent ses vœux de mutation démocratique vers un Etat laïc.
Ces vives réactions commencent à susciter des inquiétudes parmi certains Egyptiens qui pensent que la majorité n'est pas prête à intégrer des changements si catégoriques que les minorités religieuses se verraient automatiquement octroyer l'égalité des droits et que les principes islamiques ne seraient plus la source première des lois.
De nombreux Egyptiens sont aussi convaincus que si les réformes de M. El Baradeï voyaient le jour, la mention de la religion disparaîtrait des cartes d'identité, le droit islamique de la famille cesserait de s'appliquer aux actes de mariage et de divorce pour les non-musulmans, les obstacles qui empêchent les minorités religieuses de construire leurs lieux de culte seraient levés et les lois interdisant le prosélytisme seraient abolies.
Pour tout dire, l'opinion la plus répandue est que, en cas d'élections libres et justes, le parti des Frères musulmans, qui excluent toute candidature d'un chrétien ou d'une femme à la présidence, passerait haut la main, fort du soutien d'une majorité religieuse traditionnelle.
Les chances de M. El Baradeï d'accéder à la présidence sont encore grevées par la sensibilité religieuse de la population. Par exemple, si le débat qui entoure la religiosité de M. El Baradeï s'éteint et qu'il devienne un candidat officiel qui gagne ensuite les élections de 2011, certains Egyptiens craignent qu'il ne soit contraint de choisir soit entre mettre en œuvre son plan de vaste changement démocratique, au risque d'être qualifié d'« Américanisant » ou d'« ennemi de l'islam », soit de trouver un accommodement avec l'actuelle élite sociale et politique et de ne pas s'acquitter de certaines de ses promesses, comme de donner l'égalité des droits aux minorités.
Pour pouvoir instaurer un avenir dans lequel les Egyptiens connaîtront la véritable réforme démocratique promise par M. El Baradeï dans son plan en sept points, les dirigeants religieux respectés, tant musulmans que chrétiens, doivent l'aider à apaiser la querelle actuelle et le soutenir plus fermement dans sa campagne pour une Egypte plus égalitaire et plus tolérante.
Les Egyptiens doivent unir leurs efforts et se déclarer en faveur de M. El Baradeï au sein de leur communauté, en contribuant à créer un climat de tolérance qui permettra au peuple entier d'accepter l'égalité des droits pour tous, sans distinction religieuse. Certes, il n'est pas facile de changer les mentalités, mais le soutien de personnalités éminentes dans le pays pourrait aider M. El Baradeï à reconquérir le terrain perdu et à le remettre sur les rails de la campagne électorale de 2011.
* Yasser Khalil est un journaliste égyptien.