Morale et argent
Nul doute qu’en France – le fait a été inlassablement diagnostiqué (1) -, il existe une tradition d’hostilité à l’égard de l’argent. Les causes en sont multiples et cumulatives : le christianisme, d’abord, qui fait plus difficilement passer « le riche dans le royaume de Dieu » que « le chameau par le chas d’une aiguille »; une longue tradition culturelle ensuite, dans ce pays si littéraire, allant de la satire de l’Avare, de Plaute à Molière… satire grinçante, chez Balzac, jusqu’à la tragédie : l’argent ravage l’humain dans Eugénie Grandet ou le Père Goriot… Une longue tradition politique enfin, dans ce pays si politique.
La condamnation rousseauiste de l’intérêt privé, la vertu guillotineuse de l‘Incorruptible colorent la culture républicaine, dès l’origine, d’une forte suspicion à l’égard de la réussite matérielle. A quoi s’ajoute la durable influence du marxisme, bien sûr : les écrits du jeune Marx dénoncent la transformation de l’argent en une nouvelle divinité remplaçant le dieu judéo-chrétien. La société capitaliste a pour dogme même « l’égoïsme ».
Dans le droit fil, lors du Congrès d’Epinay en 1971, François Mitterrand dénonce à la tribune « des puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, qui achète et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes » ; et François Hollande de s’en prendre en 2012 encore à son « seul ennemi », « la finance », « cet adversaire sans visage ». Mais la gauche n’a pas l’exclusivité du thème : car, par l’un de ces étranges mélanges dont l’histoire des idées a le secret, une double tradition politique converge ici, où le mépris aristocratique pour « l’argent bourgeois » rejoint la condamnation socialiste de « l’argent-roi ». Le sociologue Pierre Birnbaum a ainsi souligné que la méfiance de l’argent anime la rhétorique gaullienne. N’est-ce pas le Général de Gaulle qui déclare que son seul adversaire n’a jamais cessé d’être l’argent ? En bon disciple de Charles Péguy, pour qui « l’argent est le maître mot de l’homme d’affaires. Et il est le maître du magistrat comme il est le maître du simple citoyen ».
Avec une telle tradition religieuse, littéraire et politique, dont Péguy justement incarne la parfaite confluence, comment s’étonner des résultats d’une récente enquête montrant qu’une large majorité de Français estime qu’être riche est « mal perçu » (78%), voire « très mal perçu » (22%) en France. Décidément, « la richesse et l’honnêteté ne seront jamais tout à fait réconciliées dans la conscience des Français », souligne François de Closets (Toujours plus)
La condamnation rousseauiste de l’intérêt privé, la vertu guillotineuse de l‘Incorruptible colorent la culture républicaine, dès l’origine, d’une forte suspicion à l’égard de la réussite matérielle. A quoi s’ajoute la durable influence du marxisme, bien sûr : les écrits du jeune Marx dénoncent la transformation de l’argent en une nouvelle divinité remplaçant le dieu judéo-chrétien. La société capitaliste a pour dogme même « l’égoïsme ».
Dans le droit fil, lors du Congrès d’Epinay en 1971, François Mitterrand dénonce à la tribune « des puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, qui achète et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes » ; et François Hollande de s’en prendre en 2012 encore à son « seul ennemi », « la finance », « cet adversaire sans visage ». Mais la gauche n’a pas l’exclusivité du thème : car, par l’un de ces étranges mélanges dont l’histoire des idées a le secret, une double tradition politique converge ici, où le mépris aristocratique pour « l’argent bourgeois » rejoint la condamnation socialiste de « l’argent-roi ». Le sociologue Pierre Birnbaum a ainsi souligné que la méfiance de l’argent anime la rhétorique gaullienne. N’est-ce pas le Général de Gaulle qui déclare que son seul adversaire n’a jamais cessé d’être l’argent ? En bon disciple de Charles Péguy, pour qui « l’argent est le maître mot de l’homme d’affaires. Et il est le maître du magistrat comme il est le maître du simple citoyen ».
Avec une telle tradition religieuse, littéraire et politique, dont Péguy justement incarne la parfaite confluence, comment s’étonner des résultats d’une récente enquête montrant qu’une large majorité de Français estime qu’être riche est « mal perçu » (78%), voire « très mal perçu » (22%) en France. Décidément, « la richesse et l’honnêteté ne seront jamais tout à fait réconciliées dans la conscience des Français », souligne François de Closets (Toujours plus)
L’ambiguïté traditionnelle des Français à l’égard de l’argent.
Il n’en reste pas moins que, tout aussi traditionnellement, les Français éprouvent également du respect pour la fortune. Vieux réflexe d’un peuple de paysans propriétaires et économes qui, à la fois, jalouse et considère celui qui « a du bien » ; et qui, politiquement, conduit, après de violentes bouffées d’égalitarisme, à de tout aussi violents retours à « l’ordre » : l’ordre des possédants ; en 1799, 1851… ou 1968 ! Avis aux maximalistes de l’impôt qui, certes, peuvent exciter un temps la « passion égalitaire de l’âge démocratique » (Tocqueville) avec la promesse de taux confiscatoires, mais qui s’exposent à de rudes réactions dès que le « Français moyen » craindra pour son « livret A »…
Des attitudes nouvelles ?
Voilà pour la tradition : mais il semble bien que des évolutions soient en cours. La détention de richesses ne semble plus avoir mauvaise presse, en tout cas beaucoup moins qu’auparavant, si l’on se réfère aux différents sondages effectués auprès des Français ces dernières années. Selon une enquête IFOP réalisée en octobre 2012, 76% des Français estiment que « c’est une bonne chose de vouloir gagner de l’argent et de devenir riche ». Néanmoins, le désir d’enrichissement n’apparaît pas comme une valeur suffisamment promue dans la société française : à peine un tiers des sondés pense que « la société encourage les Français à gagner de l’argent et à devenir riches ». Une part importante de la population estime que les possédants ne mettent pas assez à la disposition de leurs concitoyens le produit de leur richesse. Ce qu’ils réclament des plus fortunés, c’est une prise de conscience de leurs responsabilités, au profit de la création et du maintien de l’emploi en France (70%).
Quant à la figure entrepreneuriale, elle fait aussi l’objet d’un double sentiment. D’un côté les entrepreneurs sont perçus comme des contributeurs essentiels à la croissance économique. D’autre part, les opinions négatives selon lesquelles les entrepreneurs ne pensent qu’à leur portefeuille sont beaucoup plus nombreuses en France que dans les autres pays. Mais en dépit de ces critiques, la majorité de la population plébiscite la profession d’entrepreneur : 65% estiment que c’est un bon choix de carrière, soit autant qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’existe pas en France une hostilité de principe à l’égard des entrepreneurs qui s’enrichissent ; cela relève du cliché… Les citoyens français attendent avant tout un comportement exemplaire…
Quant à la figure entrepreneuriale, elle fait aussi l’objet d’un double sentiment. D’un côté les entrepreneurs sont perçus comme des contributeurs essentiels à la croissance économique. D’autre part, les opinions négatives selon lesquelles les entrepreneurs ne pensent qu’à leur portefeuille sont beaucoup plus nombreuses en France que dans les autres pays. Mais en dépit de ces critiques, la majorité de la population plébiscite la profession d’entrepreneur : 65% estiment que c’est un bon choix de carrière, soit autant qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’existe pas en France une hostilité de principe à l’égard des entrepreneurs qui s’enrichissent ; cela relève du cliché… Les citoyens français attendent avant tout un comportement exemplaire…
La société française : une société injuste ?
Demeure la question de la perception des inégalités. Paradoxe tocquevillien bien connu : plus les inégalités diminuent objectivement, plus le désir d’égalité est virulent. Alors même que les inégalités en France se sont fortement réduites sur le long terme, alors même que la France est l’un des pays les moins inégalitaires de l’OCDE, le sentiment majoritaire est inverse. Selon une étude menée par l’IFOP, à la question « Diriez-vous que notre société est injuste ? », les Français arrivent en tête du classement : près des trois quarts d’entre eux estiment vivre dans une société injuste, un score comparable à celui de la Chine ! Ne faut-il pas pointer ici la responsabilité particulière des médias et de la classe politique qui dressent toujours un tableau noir – et inexact – de la situation réelle des inégalités ?
Etat pauvre, peuple riche !
Comme ils ne s’appesantissent guère sur la formidable richesse globale des Français, dont le niveau de vie a doublé en 40 ans, et qui sont l’un des peuples les plus épargnants du monde : le patrimoine de nos concitoyens donne le vertige : plus de 10 000 milliards d’euros dont un quart en actifs financiers (nets), soit bien plus que la dette nationale : nul besoin de chercher ailleurs le secret du crédit de la France, qui se maintient envers et contre tout …Qui le dit ?
(1) Notamment très récemment par le regard acéré de Sophie Peder dans son ouvrage Déni français.
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