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Monde

Les Palestiniens de Gaza sont « victimes d'un génocide » : les conclusions accablantes d'Amnesty International

Rédigé par | Jeudi 5 Décembre 2024 à 17:00

           

Amnesty International qualifie la guerre en cours à Gaza comme relevant d'un « génocide » commis par les autorités qui doit cesser immédiatement. L'ONG s'en explique dans un rapport aux conclusions sans appel qui met Israël et l'ensemble de la communauté internationale face à leurs responsabilités.



Douleur et recueillement de proches de victimes d'une attaque israélienne contre la maison Faram après que leurs corps ont été amenés à l'hôpital Al Awda à Jabalia, Gaza, le 20 septembre 2024. © Collection privée/Amnesty International
Douleur et recueillement de proches de victimes d'une attaque israélienne contre la maison Faram après que leurs corps ont été amenés à l'hôpital Al Awda à Jabalia, Gaza, le 20 septembre 2024. © Collection privée/Amnesty International
Depuis des mois, le terme « génocide » appliqué à la tragédie à laquelle fait face la bande de Gaza depuis octobre 2023 fait débat en France et dans la plupart des pays occidentaux. Mais faut-il que le génocide dans l’enclave palestinienne soit avéré pour que des sanctions soient enfin prises contre Israël et ne pas prolonger plus avant son impunité ? Car l’opération israélienne, disproportionnée, continue de faire chaque jour des dizaines de victimes civiles et plonge le territoire sous blocus dans un abîme sans précédent, s’indignent au quotidien les ONG humanitaires. Sous les yeux d’une communauté internationale encore bien sourde à la détresse des Palestiniens.

C’est aujourd’hui au tour d’Amnesty International d’ajouter sa pierre à l’édifice du débat. Pour l’ONG de défense des droits humains, qui avait accusé en 2022 Israël de commettre un crime d’apartheid à l’encontre des Palestiniens, « un génocide est commis par l’État d'Israël contre les Palestinien·nes à Gaza » et « tous les États qui continuent d’apporter un soutien militaire à Israël risquent de s'en rendre complice » car « les États ont pour obligation de prévenir et punir le génocide ».

« “On a l’impression d’être des sous-humains” - Le génocide des Palestiniens et Palestiniennes commis par Israël à Gaza », s’intitule son dernier rapport rendu public jeudi 5 décembre (plus bas). « Après des mois d’enquêtes, de collecte de preuves et d’analyses juridiques », Amnesty International a publié un document de 300 pages « appelé à faire date », avec des conclusions sans appel et accablantes pour Israël. Ce dernier fait subir « un déchaînement de violence et de destruction permanent aux Palestiniens de Gaza » depuis les attaques du 7 octobre 2023, « et ce en toute impunité ».

Des meurtres et des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale à la pelle

Les autorités israéliennes « ont commis et commettent toujours des actes interdits par la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans l’intention spécifique de détruire physiquement la population palestinienne de Gaza », « que ce soit parallèlement à son objectif militaire d’élimination du Hamas ou comme moyen d’y parvenir », affirme Amnesty. En se fondant sur des critères définis par la Convention des Nations unies sur le génocide, Amnesty explique que ces dernières « se sont notamment rendues coupables de meurtres, d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des personnes, et de soumission délibérée des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza à des conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique. Depuis plus d’un an, la population palestinienne de Gaza a été déshumanisée et traitée comme un groupe de sous-humains ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux, ni de sa dignité ».

Plus de 44 000 personnes ont été tuées en une année, selon le ministère de la Santé à Gaza, un chiffre qui « sous-estime le nombre de victimes réelles » car il ne prend pas en compte les personnes disparues, celles qui se trouvent encore parmi les décombres et les celles décédées à cause de la famine, de l’eau insalubre ou par faute d’accès aux soins de santé, indique Amnesty. 60 % des victimes sont des femmes, des enfants et des personnes âgées. « De tous les conflits du XXIe siècle, l’offensive de l’État d’Israël sur Gaza est celle qui a causé le nombre le plus élevé de morts de journalistes, de personnels de santé et d’humanitaires en un temps aussi court », dénonce également l’ONG.

Après les meurtres et les actions causant la mort, les « atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe » sont un deuxième acte constitutif d’un génocide. Pas moins de 98 000 blessés ont été recensés. Pour nombre d’entre eux, ces blessures sont « irréversibles ». « L’ampleur des attaques israéliennes n’a pas seulement contribué à blesser irrémédiablement les corps. Les esprits sont aussi durablement meurtris. Derrière chaque vie décimée, il y a des familles endeuillées et traumatisées », fait-on savoir.

Une enclave devenue « inhabitable »

Sur la base d’une étude minutieuse menée sur 15 cas de frappes aériennes – « une fraction de l’ensemble des attaques » – survenues entre le 7 octobre 2023 et le 20 avril 2024 dans le nord, le centre et le sud de Gaza, Amnesty met en évidence « une pratique généralisée d’attaques directes contre des civils et des biens civils ou d’attaques délibérément aveugles, en raison de l’absence d’objectifs militaires particuliers ».

De nombreuses frappes, « aveugles », ont eu lieu « la nuit, pendant le sommeil des victimes ». « Au vu du nombre élevé de familles, souvent déplacées, regroupées à chaque adresse, et de l’absence d’objectif militaire identifié, les pertes civiles massives étaient prévisibles, et donc évitables. Ces attaques indiscriminées concourent donc à révéler l’intention de détruire », constate l’ONG.

Quant à la « soumission intentionnelle d’un groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », troisième acte constitutif d’un génocide, Amnesty accable encore davantage Israël. D’une part, « la bande de Gaza est devenue un champ de ruines. Les destructions sont d’une ampleur jamais égalée dans aucun autre conflit du XXIe siècle », entraînant les civils dans un exode sans fin qui les plonge dans une grave précarité.

En juillet 2024, 1,9 millions de Palestiniens ont été déplacés de façon arbitraire, soit 90 % de la population de Gaza, se retrouvant dans des zones « parfois insalubres, indignes et dangereuses, dépourvues des conditions les plus élémentaires pour survivre ». Les autorités israéliennes ont aussi utilisé « à plusieurs reprises les "ordres d'évacuation" massive comme un outil de déplacement forcé plutôt que pour protéger la vie des civils. De nombreux civil·es déplacé·es ont été victimes de frappes alors que les autorités israéliennes leur avaient indiqué se déplacer dans “un lieu sûr.” »

D’autre part, du fait du blocus total de Gaza, l’aide humanitaire est gravement entravée, créant aussi « les conditions propices à une mort lente et calculée des Palestiniens de Gaza ». « La population assiégée est confrontée à la famine. Les enfants et les femmes enceintes sont parmi les premières victimes de la faim qui aura de graves effets sur le long terme », assure Amnesty. « Aujourd'hui à Gaza, la malnutrition aiguë est 10 fois plus élevée qu’avant le début de l’offensive israélienne. » En outre, « deux tiers des terres agricoles de l’enclave palestinienne ont été endommagés depuis le 7 octobre 2023, compromettant durablement les capacités de production » et « aggravant la catastrophe alimentaire sur le territoire ». Les autorités israéliennes ont « la possibilité d’améliorer la situation humanitaire à Gaza » mais les solutions sont « délibérément ignorées ».

Les systèmes de santé et d’éducation anéantis

La privation de nourriture, d’eau, de logement, de vêtements adéquats ou d’installations sanitaires est doublée d’une réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum. Amnesty mentionne « les destructions ou graves dégâts infligés aux infrastructures médicales telles que les hôpitaux », « les raids ciblés sur ces établissements conduisant à l’arrestation, à des blessures ou à la mort du personnel soignant », « les "ordres d’évacuation" massifs des hôpitaux » ainsi que « le refus des autorités israéliennes de permettre l'entrée de médicaments » et de fournitures médicales essentielles comme des bouteilles d'oxygène. Autant d’éléments qui ont contribué à « l’effondrement du système de santé de Gaza ».

De même, « le système éducatif à Gaza a été anéanti. L’ampleur sans précédent des destructions aura des conséquences indéniables sur la viabilité de l’éducation à Gaza dans les années à venir ».

Bien que la destruction des biens historiques, culturels et religieux ne soit pas considérée comme un acte prohibé par la Convention sur le génocide, « la Cour internationale de justice (CIJ) a établi qu'une telle destruction peut constituer une preuve de l'intention de détruire physiquement le groupe lorsqu'elle est effectuée délibérément ». Or « des sites d’une importance capitale pour l'identité nationale palestinienne, la mémoire collective et le tissu social de Gaza ont été endommagés ou détruits ». Citons, sur la centaine de mosquées détruites ou endommagées, la grande mosquée al-Omari, la plus ancienne de Gaza, construite au VIIIe siècle.

Une infographie listant une série d'exactions israéliennes à Gaza, par Amnesty (cliquez dessus)
Une infographie listant une série d'exactions israéliennes à Gaza, par Amnesty (cliquez dessus)

Une « impunité totale » qui dure depuis trop longtemps en l’absence de sanctions

L’intention génocidaire se mesure aussi aux propos et aux actes des dirigeants israéliens, indique Amnesty, qui a identifié « au moins 102 déclarations de dirigeants israéliens, notamment des membres de la Knesset ou du cabinet de guerre, qui déshumanisent les Palestinien·nes, légitiment le génocide, voire appellent à commettre des actes génocidaires ou d’autres crimes relevant du droit international » sans pour autant avoir été l’objet de mesures disciplinaires.

Sur le terrain, « des soldats israéliens se sont emparés du message et ont à leur tour lancé des appels à "anéantir" la bande de Gaza ». En témoignent des vidéos les montrant en train de « célébrer les destructions qu'ils viennent de commettre sans aucune justification militaire apparente ». Si des enquêtes sont ouvertes par les autorités militaires sur ce qu’ils appellent des « incidents graves isolés », Amnesty juge que « la réponse minimale de la justice militaire israélienne, qui contraste avec l’ampleur des violations documentées, révèlent l'incapacité du système judiciaire de rendre justice aux Palestiniens ».

« Un système d’oppression, de domination et d'apartheid, ainsi que l’occupation militaire illégale et le blocus imposé à Gaza depuis 17 ans par les autorités israéliennes ont préparé le terrain des actes génocidaires qui ont suivi », martèle aussi l’ONG, pour qui « l’absence de sanction a renforcé un climat d’impunité qui légitime les violences massives contre la population palestinienne et permet aux violations les plus graves d’être commises ».

« Les autorités israéliennes invoquent le droit de se défendre après les attaques du 7 octobre 2023 » mais « ceci ne l’autorise pas pour autant à conduire des actions qui violent délibérément le droit international des droits humains ou le droit international humanitaire ». « Les menaces qui pèsent sur la sécurité d’Israël ne peuvent en aucun cas justifier la commission d’un génocide à Gaza », assure Amnesty.

Si Israël rejette la responsabilité des victimes civiles palestiniennes sur le Hamas qui utiliserait les civils comme boucliers humains, la présence de combattants parmi la population civile, dénoncée par Amnesty, « n’absout pas Israël de son obligation, en vertu du droit international humanitaire, à prendre toutes les précautions possibles pour épargner la vie des civils ».

De la nécessité d’arrêter et de livrer les dirigeants israéliens à la CPI

« Pendant des mois, les autorités israéliennes ont persisté à commettre des actes génocidaires, en ayant pleinement conscience des préjudices irréparables qu’elles infligeaient aux Palestiniens de Gaza », lit-on dans le rapport. « Le fait qu’elles considèrent la destruction de la population palestinienne comme nécessaire pour détruire le Hamas ou comme une conséquence acceptable de cet objectif, le fait qu’elles voient les Palestiniens comme une population sacrifiable ne méritant aucune considération attestent de leur intention génocidaire. »

De telles conclusions « doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », fait savoir Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, qui réitère un appel au cessez-le-feu immédiat et durable dans la bande de Gaza ainsi qu’à faire cesser le blocus, l’occupation et le système d’apartheid dont sont victimes les Palestiniens de Gaza et d’ailleurs. « L'impunité totale qui règne envers le génocide en cours commis par l’Etat d’Israël à Gaza doit immédiatement cesser. Nous appelons toutes les parties à coordonner leurs efforts pour stopper le génocide », en cessant notamment « tout transfert d’armes vers Israël » et en prenant les mesures nécessaires « pour traduire en justice les auteurs des crimes relevant du droit international ».

« Tous les États membres de la Cour pénale internationale (CPI) doivent montrer qu'ils respectent les décisions de la Cour en arrêtant et en livrant les responsables israéliens et palestiniens contre lesquelles un mandat d’arrêt a été émis », signifie Amnesty, qui appelle les citoyens à faire pression sur Emmanuel Macron « pour qu’il agisse ». Une allusion à peine voilée à la France qui a indiqué, quelques jours plus tôt, que le Premier ministre israélien et les membres de son gouvernement bénéficient d’une « immunité », sapant ainsi l’autorité de la CPI. « Les yeux du monde sont rivés sur Gaza. Tous les Etats, dont la France, ont un rôle majeur à jouer : ils ont l’obligation de prévenir et de punir le génocide. »



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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