Religions

Les Taliban danois

Rédigé par Yahya Michot | Dimanche 5 Février 2006 à 06:16

Dans la Cordoue musulmane du IXe siècle, de jeunes chrétiens candidats au martyre se firent une spécialité de descendre au centre ville et d’insulter publiquement le Prophète. Un concile eut le bon sens de condamner ces fous de Dieu et leurs opérations de suicide assisté. Rome canonisa cependant un certain nombre d’entre eux.



Dans la Cordoue musulmane du IXe siècle, de jeunes chrétiens candidats au martyre se firent une spécialité de descendre au centre ville et d’insulter publiquement le Prophète. Un concile eut le bon sens de condamner ces fous de Dieu et leurs opérations de suicide assisté. Rome canonisa cependant un certain nombre d’entre eux.

Du Moyen Age à l’époque moderne, injurier l’Islam et souiller la personne de son Messager, par le texte ou l’image, apparaît en fait comme un trait saillant – et particulièrement glorieux ? – de la « civilisation » européenne. Qu’on pense par exemple, pour les dernières années, aux sécrétions ordurières de la plume de Salman Rushdie ou d’Oriana Fallaci… Les immondes caricatures du Jyllands-Posten n’ont de ce point de vue rien d’original mais perpétuent une longue tradition. Techniquement parlant, qu’il s’agisse de l’esprit comme du dessin, force est par ailleurs d’avouer qu’aucune ne trahit un excès de talent…

La publication ou la reproduction de ces bas et médiocres torchons sont non seulement scandaleuses aux yeux de millions de croyants musulmans mais pour le moins maladroites et contre-indiquées dans la conjoncture politique actuelle, qu’il s’agisse des difficultés de la construction de l’Europe plurielle de demain ou de l’apaisement des tensions divisant le monde. Il est aberrant que certains médias ou certaines autorités politiques soient insensibles au point de ne pas s’en rendre compte. Il y a cependant plus grave encore.

« Il y va de la liberté d’expression ! », claironne-t-on en effet en invoquant Voltaire1 et nous assommant du catéchisme laïcard2 avec la ferveur absolutiste des gardes rouges brandissant le petit livre de Mao durant la révolution culturelle. Bref, une nouvelle farce tragique, un vaudeville de plus : les grands imaginaires modernes au service de la dévastation du patrimoine spirituel d’une importante communauté humaine…

Osons poser la question : quelle différence y a t-il en réalité entre la destruction d’une image et la destruction d’une absence d’image ? On se souvient du tollé soulevé par la destruction des deux Bouddhas de Bamyan par les Taliban en 2001. À la différence des Bouddhistes se re-présentant l’Illuminé en le statufiant, les Musulmans ont presque toujours exprimé la vénération qu’ils ont pour le Prophète dans la réserve et l’absence, en s’interdisant de lui donner une figure, que ce soit par le dessin ou, a fortiori, en trois dimensions. La violence avec laquelle les caricaturistes de Muhammad – sur lui la paix ! – s’en sont pris à cette absence n’a d’égale que celle des explosions de Bamyan. En toute logique, invoquer la sacro-sainte liberté d’expression pour justifier le fanatisme des casseurs danois devrait rétroactivement absoudre les Taliban. Comment se pourrait-il, inversement, que la condamnation générale de ces derniers ne s’étende pas à leurs homologues scandinaves ?

On objectera sans doute qu’à Bamyan il y eut destruction matérielle. Sophisme. Sont-ce en effet des roches qu’on blâma les Taliban d’avoir détruites ou une image ? En soi, pourquoi une absence délibérée d’image mériterait-elle alors moins de respect qu’une image ? Le minimalisme d’un certain art moderne ne nous a-t-il pas ouvert à une autre esthétique ? En leur contrariété même, absence et présence ne sont-elles pas, l’une autant que l’autre, des produits de la culture, sinon de l’art des hommes ? Et en quoi l’inscription de l’une dans la pierre lui vaudrait-elle plus de droits – au respect notamment, et à la protection – que l’inscription de l’autre dans des millions de coeurs ?

Les beaux esprits ayant condamné la destruction des Bouddhas de Bamyan mais défendant la liberté des barbares danois se contredisent eux-mêmes dans leurs idéaux, empêtrés, bloqués qu’ils sont en leur incapacité de dépasser leur particularisme post-chrétien au profit du seul véritable universalisme : celui de la diversité. D’une part, ils ne se rendent pas compte que leur viol de l’absence de la figure prophétique chère à l’Islam procède de cette même volonté qui, pour beaucoup, leur fait également exiger des Musulmanes qu’elles enlèvent leur voile3. D’autre part, ils n’imaginent même pas que cette propension à l’une et l’autre profanations de l’altérité puisse procéder de ce même incarnationnisme qui les pousse aujourd’hui à envahir et à ravager le champs mystérieux de la Transcendance en réclamant Sa manifestation dans l’apothéose auto-proclamée de leur ego démesuré.

« Liberté d’expression »… Une telle errance serait une valeur universelle ? Elle rappelle plutôt le refus d’Iblîs de se prosterner devant Adam. Qu’il me soit dès lors permis de conclure par : A‘oudhou bi-Llâhi mina sh-shaytân ar-rajîm…



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