Mlle Salah déclarait l’avoir trouvée dans le numéro 105 d’une revue française intitulée La Vérité et avoir pris l’initiative de la porter à la connaissance des lecteurs arabes à cause de « l’importance des idées qui y étaient exprimées ». Cette interview aurait été recueillie pour le compte de la revue La Vérité par un journaliste du nom de « David Sardinan ».
Sous ma photo et sous le titre : « Pour François Burgat, l’Occident veut détruire toutes les autres cultures humaines », les propos qui me sont prêtés, dans la forme comme dans le fond, donnent une tonalité « militante » à « mes » analyses (partiellement reprises ou parfaitement inventées) : aux yeux de tiers qui ignoreraient qu’il s’agit d’un faux, ils ne peuvent que porter gravement atteinte à ma crédibilité scientifique et à ma réputation professionnelle. Comportant des éléments exacts de ma biographie, ce texte est agrémenté d’ajouts fantaisistes. Il y est notamment indiqué que je serais sur le point de publier (en 2006) un ouvrage intitulé La Société islamique nouvelle.
Dès que j’ai été informé de la publication de ce faux, le 14 janvier 2005, j’ai immédiatement adressé un courrier de protestation au rédacteur en chef d’Al-Mujtamaa dont j’ai regretté le manque de vigilance. La revue a retiré l’article de son site et s’est engagée à publier un démenti dans le numéro à paraître le samedi 28 janvier. J’ai parallèlement reçu une « lettre d’excuses et d’estime » de Mlle Yasmina Salah, « femme de lettre et traductrice algérienne » ; celle-ci s’est révélée être une ancienne collaboratrice du journal gouvernemental El-Moudjahid, présentée dans de nombreux forums étrangers comme une « militante féministe » et auteur de fréquentes traductions adressées à la presse du Golfe arabe depuis Alger.
Dans un premier temps, Mlle Yasmina Salah m’a dit avoir personnellement confondu mon nom et celui d’un certain « François Bourgeois », « journaliste écrivain » qui aurait « dirigé des Centres culturels français dans plusieurs pays du Maghreb ». Elle s’est répandue en commentaires louangeurs sur mon travail, me proposant en ces termes de nouvelles collaborations :
A monsieur François Burgat
« Objet : Lettre d’excuse et de grand estime..
Cher monsieur, laissez moi d’abord vous exprimer mes sincères sentiments de respect, vous êtes parmi ceux qu’on considère les plus courageux dans leurs idées et leurs pensées. J’ai reçu une lettre de la revue Al-mugtama, m’indiquant qu’il y avait une erreur lorsque j’ai traduit du français à l’Arabe. Je vous prie monsieur d’accepter mes excuses. J’ai traduit l’article d’une revue électronique qui s’intitule « vérité ». J’ai envoyé hier une lettre électronique sur ce sujet et en me répondant j’ai pu constaté qu’il y avait une erreur que j’ai commise moi personnellement, car c’était François Bourgois, et non votre cher personne. Je vais faire une correction de cet entretien que j’ai traduit, car vous mérité tout le respect qu’in a pour vous, et je suis heureuse de vous écrire aujourd’hui. Je suis Algérienne, femme de lettre et traductrice aussi, je lis toujours vos articles que je trouve grandiose, et votre position vis-à-vis de l’islam vous rend plus grand à nos yeux.
Cher monsieur François Burgat
J’aimerai que vous acceptiez notre désire de publier vos articles dans la revus « Al-Mugtama » qui vous porte un très estime, je serai heureuse si vous acceptez d’être la traductrice, je vous demande si vous ne trouvez aucun inconvenant de nous écrire des articles sur la problématique de l’islam tel qu’elle posé en Europe, et en France. Et j’aimerai aussi que vous acceptiez de me donner une interview exclusive pour notre revue. Des articles payants. Une fois de plus je vous dise qu’on vous porte beaucoup d’estime et de respect, comme je vous le porte personnellement. Vous êtes toujours à nos yeux l’un des intellectuels qu’on se sente fier d’être avec eux, et si j’ai fait une erreur de nom, c’est-à-dire entre François Burgat, et François bourgeois, je vous prie de m’excuser, et je vais faire une correction et un mot d’excuse pour vous à travers le biais de la revue.
Dans l’attente favorable de votre part, veuillez agréer très cher monsieur François Burgat mes salutations les plus profonde.
Yasmina Salah
Femme de lettre, journaliste, et traductrice Algérienne.
Tel/…)
Dans un second temps, Mlle Salah m’a proposé toutefois une autre explication : l’erreur avait été en fait commise par la revue La Vérité. Cette erreur avait été corrigée dès la parution « du numéro 106 ». Le rédacteur en chef de la revue Al-Mujtamaa m’a alors transmis la copie d’une lettre au style étonnant qui lui avait été adressée par un certain « Bernard Leucate », qui s’est présenté comme le directeur de la revue La Vérité.
La lettre de Monsieur Bernard Leucate :
Permettez moi de vous remercier d’être une de nos lecteurs, et de nous avoir encourager, je vous remercie du fond du cœur. Laisser moi toutefois vous corriger une faute commise dans notre No105 de la revue électronique, car l’interview publiée était en effet avec Monsieur François Bourgois et non pas avec Monsieur François Burgat, et nous avons rectifié cette erreur dans notre rubrique du No106. Je vous présente personnellement mes excuses, comme nous l’avons présenté à Monsieur F.Bourgoie ; et Monsieur F.Burgat par le biais de notre revue électronique.
Je vous remercie une nouvelle fois de nous avoir écris, restons en contact.
Amicalement
Bernard Leucate
Paris — France
A ce jour, malgré mes demandes réitérées, au terme de diverses tergiversations et réponses d’attente, ni Mlle Yasmina Salah ni personne n’a toutefois été en mesure de me fournir une preuve crédible de l’existence de la revue La Vérité (censée avoir tout de même publié 106 numéros), ni de son supposé directeur « Monsieur Bernard Leucate », ni de son hypothétique collaborateur « Monsieur David Sardinan », ni encore moins de mon quasi homonyme « Monsieur François Bourgeois », ex-directeur de Centres culturels pour le compte du ministère français des Affaires étrangères. Le fait qu’aucun moteur de recherche sur Internet ne donne la moindre occurrence de ces trois derniers noms en rapport avec la question concernée, pas plus d’ailleurs que de la prétendue revue La Vérité, m’incite à penser qu’il s’agit là de pures inventions. Et que c’est très volontairement que des propos mensongers m’ont été attribués.
J’ignore pour l’heure qui est à l’origine de cette opération de désinformation, qui aurait pu me causer un très grave préjudice si je ne l’avais pas éventée à temps. Je constate qu’elle vise à discréditer des travaux qui s’efforcent de réfuter les thèses essentialistes et réductrices qui dominent malheureusement l’espace médiatique et politique occidental dès lors qu’il s’agit de comprendre les tensions qui traversent le monde musulman.