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Société

Les femmes musulmanes, « angles morts » de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en France

Rédigé par | Vendredi 28 Mars 2025

           

La nouvelle édition de la Journée internationale des femmes musulmanes (Muslim Women’s Day), célébrée chaque année le 27 mars, a été placée en 2025 par l'association feministe Lallab sous le signe du combat contre les violences sexistes et sexuelles. Son rapport sur ce fléau qui impacte les musulmanes avec des spécificités qui leur sont propres se présente comme une ressource pour accompagner les victimes dans leur chemin de guérison.



© Yasmine Mrida et Dalal Tamri
© Yasmine Mrida et Dalal Tamri
« Pendant 10 mois, j’ai été victime de violences conjugales, psychologiques et sexuelles. La religion était au cœur du rapport de domination. Selon les termes de mon mari, "Je connais mieux la religion que toi" (...) L’islamophobie a contribué à m’enfermer dans le silence. (...) Vous avez peur lorsque vous racontez votre histoire à des non musulmans, de recevoir des "ah mais de toute façon cette religion est sexiste par nature, tu n’as qu’à changer de religion". »*

Pour la Journée internationale des femmes musulmanes, aussi connue sous le nom de Muslim Women’s Day (MWD), qui a lieu tous les ans le 27 mars, Lallab apporte sa pierre à l'édifice de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), plus particulièrement à celles dont les femmes musulmanes sont victimes en France. Pour la 8e édition du MWD, l’association féministe et antiraciste a publié, jeudi 27 mars, un rapport inédit sur le sujet, dans lequel les VSS sont explorées « de manière holistique à travers des référentiels décoloniaux, féministes et religieux » de sorte à « déconstruire ce rapport aliénant aux savoirs ».

L'iceberg des VSS. © Lallab
L'iceberg des VSS. © Lallab
« Les femmes musulmanes demeurent un des angles morts des enquêtes, ressources et outils existants sur les violences sexistes et sexuelles en France. Il y a donc urgence à placer les récits des femmes musulmanes au cœur des politiques de lutte » contre ces violences, plaide-t-elle. Et ceci d’autant plus que cette catégorie de personnes interagit « avec l’islamophobie, la négrophobie, le racisme, le validisme, la queerphobie et d’autres formes de discriminations systémiques ».

Dans les VSS, Lallab intègre autant les violences physiques et sexuelles que les violences psychologiques et verbales ou encore législatives et islamophobes (voir encadré). Les violences spirituelles ou encore économiques en font partie. Ces VSS représentent « la partie immergée de l’iceberg » (image à droite), qui révèle qu’il est insuffisant de lutter seulement « à la surface ». « Il faut déstabiliser et ébranler tous les éléments qui nourrissent ce cycle de violences. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles est indissociable des luttes contre les autres oppressions qui touchent les femmes musulmanes et dont le schéma ci-dessus ne capture qu’une partie », lit-on dans le rapport.

De sérieux obstacles empêchent encore les victimes d’avancer dans leur chemin de guérison. Et, fait aggravant au sein des communautés musulmanes, « la loi du silence leur demande d’étouffer leur douleur » au nom de la culture de la honte (hchouma) ou de discours culpabilisants incitant à éviter d’alimenter l’islamophobie. Or « se battre contre les VSS ne signifie pas fragiliser notre communauté, mais au contraire la renforcer en mettant fin à l'impunité et en construisant des espaces sûrs et bienveillants », martèle Lallab.

« Nos enseignements religieux ne sont pas un obstacle, mais au contraire le moteur de nos luttes contre les violences sexistes, sexuelles et islamophobes »

Son message est clair : « Lutter contre les violences sexistes et sexuelles est un devoir religieux. » « Nous avons une responsabilité collective: écouter, soutenir et protéger celles et ceux qui subissent ces violences, femmes comme enfants. »

A cette fin, ce rapport, fruit d’une campagne autour des violences intercommunautaires lancée en 2023, met l'accent sur « des notions fondamentales religieuses afin d'accompagner et guider les fidèles vers davantage de justice ». Il appelle à « faire de notre communauté ou de notre famille un refuge (sakan), agir avec compassion, le soutien mutuel entre croyant-es (awliya' ba'd) ». « Comment peut-on accepter que nos textes sacrés soient manipulés pour justifier ou excuser des violences sexistes et sexuelles, alors que le Coran et notre Prophète condamnent de maintes manières ces violences ? », s’interroge à juste titre Lallab.

« Le dossier se veut aussi et surtout comme outil pour les survivantes, afin de les accompagner dans le démantèlement des obstacles à leur chemin de guérison et donne des pistes pour reconnaître des VSS, les démarches pour les signaler, et les différentes manières de trouver de l'aide et de faire valoir leurs droits », fait part l’association, qui offre des pistes de réflexion pour faire de la famille, de la mosquée et des espaces communautaires « des lieux dans lesquels nous devrions pouvoir trouver refuge, et prévenir contre les violences et notamment les "abus spirituels" ».

Et de préciser que « les leaders religieux, imams et prédicateurs ou prédicatrices sont dans une position de confiance. Si on leur confie la tâche de nous guider dans nos cheminements spirituels, cela implique une responsabilité envers Allah et envers nous. Leur position n'est pas un acquis ni un privilège, c'est une amana », un dépôt synonyme de responsabilité en islam.

Du devoir de briser le silence

Lallab appelle, en ce sens, à la mise en œuvre de mesures concrètes visant notamment à « sensibiliser et former les responsables religieux sur la prévention, la reconnaissance et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles » et « sensibiliser l'ensemble des membres de la communauté sur le continuum des violences et les outils et concepts mis à disposition par nos enseignements religieux pour lutter contre ces violences, à travers les khutbas (prêches du vendredi), la tenue d'assises et la mise à disposition de documentations ».

Elle souhaite voir se développer dans les lieux de culte « un protocole et des procédures pour pouvoir signaler les violences sexistes et sexuelles, mettre en sécurité les victimes, engager la responsabilité des agresseur-ses et de la communauté pour penser les réparations » et « des référent-es formé-es qui puissent accueillir les questions, les plaintes et les craintes des fidèles, en partenariat avec un réseaux d'expert-es ».

« Il est temps de briser le silence et de nous organiser pour que nos mosquées, nos associations et nos familles deviennent des lieux sûrs pour toutes et tous. »

*Extrait d'un témoignage parvenu à Lallab en 2023.

L’islamophobie genrée, une violence sexiste

Dans le champ des VSS, Lallab intègre les violences islamophobes car elles sont « majoritairement des violences sexistes, commises à l’encontre des femmes musulmanes en raison de leur genre, de leur appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane et sur la base de stéréotypes racistes et coloniaux ». Citant le rapport 2023 du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), 81,5 % des violences islamophobes sont commises contre les femmes.

Celles qui portent le voile en sont les premières cibles, et leur deshumanisation va croissante avec les débats publics sur le voile en France, dernièrement dans le milieu sportif.

« L’iceberg des violences sexistes islamophobes prend sa source dans l’histoire coloniale française et le contrôle des corps des femmes musulmanes indigènes », écrit Lallab, qui dénonce « l’expansion du fémonationalisme » à presque l’ensemble du spectre politique français. Ce phénomène politique et idéologique voit notamment les luttes et discours féministes « cooptés par les courants politiques nationalistes et islamophobes ». Dans ce cadre, la lutte contre les VSS dans ce cadre se fait « aux dépens des femmes musulmanes françaises dont on extorque l’agentivité et qu’on abandonne aux ambitions politiques xénophobes et islamophobes ». La laïcité n’est qu’un prétexte parmi d’autres pour combattre en réalité « des expressions de la féminité et de l’islam, des formes hérétiques qui dérangent et qui, selon (des responsables politiques), ne concorderaient pas avec les "valeurs de la République" », assène Lallab.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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