L’angoisse gagne les Minbar de France. Le Minbar est le trône d’où l’imam tient son prône du vendredi. Les imams de la région Rhône-Alpes se sont réunis ce dimanche 4 juillet à la grande mosquée de Lyon. Malgré le retour en France de M. Abdelkader Bouziane, imam de Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, l’inquiétude reste de mise dans les rangs de ces dignitaires religieux.
Le syndrome de l’imam de Vénissieux
Hâtivement et abusivement privé de son droit de résider en France pendant un mois, l’Imam Bouziane est revenu auprès de sa famille à Vénissieux le 22 mai dernier. Il aura fallu une suspension de son arrêté d’expulsion par décision de justice : ' les faits qui motivent (l’expulsion) ne sont pas établis ', écrivent les juges. Mais le Cheikh Bouziane reste sous le coup d’une accusation pour ' apologie de crime et provocation directe, non suivi d'effets, à porter atteinte à l'intégrité d'une personne '. En clair, on lui reproche d’avoir donné son interprétation ' dangereuse ' de versets coraniques à un journaliste venu recueillir ses opinions.
Les propos de l’Imam Bouziane publiés dans ce journal régional relèvent du refrain classique de la communauté des musulmans Salafites. Chacun peut lire de tels propos dans de très nombreux ouvrages amplement distribués et en vente libre en France. Mais il a fallu un article de journal pour qu’ils paraissent dangereux à la fois à certains Musulmans et surtout à nos responsables politiques. Dans le tourbillon médiatique qui présente les idées de l’imam comme une évolution nouvelle de l’Islam en France, M. Devillepin a cru devoir intervenir. Le nouveau ministre de l’Intérieur (en charge du culte musulman en France) a ainsi contribué à donner à cette banale question d’opinion une tonalité particulière. Le ' syndrome de l’imam de Vénissieux ' a vu le jour. Sur sa lancée et devant le Parlement français, le ministre a poussé le bouchon au point d’envisager la révision de la constitution de la République afin de pouvoir expulser les imams à loisir dès lors qu’ils émettent des opinions non conformes à l’ordre convenu bien-pensant. La psychose n’a donc cessé de croître sur le rôle de ces milliers d’imams. Elle a fini par inquiéter les premiers concernés. Suivi à la trace par les agents des Renseignements Généraux, doublé sur le côté, dans son autorité sociale, par le Conseil Français du Culte Musulmans et généralement assujetti aux intérêts de l’association gestionnaire de son lieu de culte, l’imam de France n’a pas la part belle. Nombre d’entre eux ont été expulsés vers leur pays d’origine dans l’indifférence générale. Victimes résignées, sans voix, sans recourt, il y a des raisons de croire que ' la chasse aux imams est ouverte '.
La psychose a bridé la parole de l’imam
Ce dimanche, en plus de cette agitation subite autour de leur rôle, les imams ont abordé la loi antifoulard qui trône au centre de leurs soucis. Comment en parler sans courir le risque de se voir privé de son prône et reconduit aux frontières ?
La grande majorité des imams professionnels de France ne sont pas Français et ont besoin d’apprendre la France. Nombre d’entre eux prêchent en langue arabe y compris dans les mosquées les plus grandes. Pour M. Kamel Kabten, Recteur de la Grande mosquée de Lyon à l’origine de ce rassemblement, les imams ' sont très inquiets sur la présentation de leur métier. L'image qu'on a donné de l'imam les a beaucoup choqués. Ils ont l'impression de passer pour des anti-Occident, pour des ferments de la violence. Beaucoup veulent maintenant apprendre le français, voir leurs prêches en arabe accompagnés de prêches en français, suivre des formations. Ils ont peur d'être expulsés. Ils ne savent plus ce qu'ils ont le droit de dire ou pas. Ils disent eux-mêmes vouloir changer leurs comportements '. Une attitude qui tranche avec celle des Fédérations d’associations islamiques en France.
L’Union des organisations islamiques en France (Uoif) n’a pas changé son discours depuis le lancement de ' l’affaire du voile de Creil ' en 1989. Cette puissante fédération, très proche du terrain, sait qu’il est non seulement indécent mais sans résultat de demander à une Musulmane d’ôter son Hijab. Elle a toujours soutenu et continue de soutenir les Musulmanes qui ont fait le choix de revêtir le Hijab. Son siège de vice-président du Conseil français du culte musulman (Cfcm), l’adoption de la loi antifoulard n’ont fait que lui permettre d’affiner sa rhétorique sur le sujet. ' Si les jeunes filles veulent porter leur voile, on leur apportera tout le soutien pour qu'elles puissent continuer leurs études ' rappelle Nazir Hakim, trésorier national de l’Uoif et vice-président du Conseil régional du culte musulman de la région Rhône-Alpes.
Nouvelle guerre de clans au sein du CFCM
Sur un plan politique, il faut reconnaître que l’Uoif peut retirer de gros avantages dans un raidissement de la question du Hijab. Poids lourd du Cfcm, elle est la seule fédération actuellement capable de créer et gérer des écoles musulmanes. L’application stricte de la loi antifoulard entraînera une recrudescence du nombre de lycéennes exclues du système scolaire public. D’où un afflux massif et une clientèle assurée pour les instituts et établissements scolaires musulmans en France que les musulmans de France ne voient pas toujours d’un bon œil. Cette analyse plutôt machiavélique à laquelle les dirigeants du mouvement ne s’aventurent pas, du moins officiellement, n’en demeure pas moins une des réalités possibles dans le proche futur de l’Islam en France.
De son côté, la Grande Mosquée de Paris, plutôt éloignée de la réalité du terrain, s’est associée à deux fédérations de taille modeste et d’influence secondaire : la fédération des Musulmans turcs -CCMTF- et à celle des Africains et Comoriens –FFAICA- . Toutes trois sont membres du Cfcm comme l’Uoif dont elles entendent se démarquer. Ainsi leur communiqué met l’accent sur la nécessité de se conformer à la loi et d'éviter les ' provocations '. Les trois fédérations encouragent les élèves et leurs familles ' à adopter une attitude conciliante et du juste milieu '.
Ce communiqué repris en chœur par les médias reste sans le moindre effet sur la réalité sociale des lycéennes musulmanes. Les Musulmanes de France ne portent pas le Hijab sous contrainte. Ce n’est pas par contrainte qu’elles accepteront de s’en détacher. L’entrée en vigueur de la loi antifoulard à la rentrée scolaire prochaine les met dans une situation cornélienne où elles doivent choisir entre leur instruction scolaire et leurs convictions spirituelles. La Grande mosquée de Paris et ses deux nouveaux associés viennent de découvrir et annoncent, en français dans le texte, que ' l'épanouissement de l'homme et de la femme et, en particulier, de nos jeunes filles passe par l'instruction '. Un bon sujet de philosophie pour les lycéennes de terminale qui commencent à prendre d’assaut le CNED et le lycée Avérroes de Lille. Ce dernier établissement, premier lycée musulman de France attend déjà plus d’élèves qu’initialement prévu. La rentrée scolaire s’annonce chaude pour les Musulmans de l’Hexagone.