Points de vue

Les oulémas du pouvoir vs les oulémas de la dignité

Par Nabil Ennasri*

Rédigé par Nabil Ennasri | Mardi 19 Janvier 2010 à 17:38



L'université Al-Azhar, en Egypte. (Photo : Flickr / Travel Aficionado)
La controverse qui secoue actuellement le monde arabe au sujet de la fatwa scélérate émise par le cheikh d’Al-Azhar légitimant, d’un point de vue islamique, la construction de la barrière métallique anti-tunnels entre l’Égypte et la bande de Gaza, révèle au grand jour le visage douteux de ces oulémas du pouvoir qui, par leur compromission, jettent un trouble sur la catégorie des savants de la législation islamique (oulémas as-shar’). L’assujettissement de l’institution Al-Azhar au raïs égyptien et à sa politique machiavélique d’étranglement du peuple de Gaza pose en effet la question des relations, en islam, entre le détenteur de l’autorité politique et la catégorie des savants religieux, plus connus sous le vocable d'« oulémas ».

Pour saisir l’enjeu crucial qui tourne autour de cette relation, rappelons les faits. Il y a quelques semaines, la presse israélienne révélait que les autorités égyptiennes s’apprêtaient à construire un mur d’acier souterrain s’enfonçant jusqu’à 30 mètres de profondeur, l’objectif avoué étant de contrer la « contrebande » due à la présence de centaines de tunnels entre le territoire palestinien et son voisin égyptien. Très vite, l’annonce de ce nouveau « mur de la honte » allait déclencher une vive polémique et de nombreuses voix se sont élevées dans le monde arabe pour dénoncer cette ultime provocation émanant du gouvernement de Hosni Moubarak.

Parmi celles-ci, on trouve le cheikh al-Qardawi qui représente à l’heure actuelle l’ouléma le plus connu et certainement le plus influent du monde musulman. Ce dernier s’est fermement prononcé contre l’édification de cette barrière qui finira par étouffer complètement la bande de Gaza. Qualifiant ce projet de « crime », celui qui est également le président de l’Union mondiale des oulémas a dans le même temps considéré le mur égyptien comme étant « illégal au regard de la loi islamique ». Rejoint par de très nombreuses personnalités religieuses du monde musulman, il a émis cette fatwa qui a provoqué l’ire des responsables égyptiens, lesquels ont immédiatement répondu en passant commande auprès de leurs fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses d’une contre-fatwa légitimant l’opération égyptienne…

Ainsi va la vie auprès des sultans, rois, présidents et autres despotes du monde arabe. Leur forfaiture n’ayant plus de limites, ils s’essayent dorénavant à instrumentaliser les tenants de l’autorité religieuse pour mieux légitimer leur trahison. Le plus désolant est que, malgré le cynisme et l’incurie qui les caractérisent, ces derniers trouveront toujours de prétendus docteurs de la loi prompts à leur signer des fatwas de circonstance qui les couvriront et justifieront leur politique au regard des préceptes de l’islam. Le lendemain de la parution de la fatwa du cheikh al-Qardawi, le journal égyptien Al Masri Alyoum annonçait en une que l’Académie des sciences d’Al-Azhar avait édicté une fatwa soutenant la démarche du gouvernement égyptien et qualifiait tous ceux qui la contestaient comme « des opposants à la shari’a islamique » !

Mais qu’ils se rassurent : l’auteur de ces lignes a pu récemment constater, à la faveur de la Gaza Freedom March qui, a malheureusement été bloquée au Caire pendant une semaine, combien ces petites manœuvres n’avaient plus aucun effet auprès des masses qui n’attendent plus rien de politiciens corrompus et d’un certain personnel religieux qui, pour le coup, a sombré dans le déshonneur.



* Nabil Ennasri est diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Il est également membre du Collectif des musulmans de France (CMF).