Economie

« Les quartiers pauvres ont un avenir » : haro sur les idées reçues avec l'Institut Montaigne

Rédigé par Myriam Attaf et Hanan Ben Rhouma | Mercredi 28 Octobre 2020 à 08:30

« Les quartiers pauvres se retrouvent partout en France, créent des richesses, mais reçoivent bien moins que ce que l’on peut imaginer de la part de l’État. En un sens, ces quartiers sont les vrais territoires désavantagés dans le jeu de la solidarité nationale. » C’est ce que démontre un nouveau rapport réalisé par l’essayiste Hakim El Karoui pour l’institut Montaigne, qui appelle les pouvoirs publics à investir sur les habitants plutôt que sur les bâtiments.



© Guillaume Cattiaux / CC BY-SA 2.0
Le rapport, intitulé « Les quartiers pauvres ont un avenir », s’attache à déconstruire les idées reçues associées aux quartiers les plus précaires de France pour mettre en lumière leur contribution indispensable au dynamisme économique national. Pour cette étude réalisée par l'essayiste Hakim El Karaoui et parue dimanche 25 octobre, le think tank libéral s’est appuyé sur 300 tableaux de statistiques, 40 cartes et 35 entretiens individuels afin de « comprendre les enjeux économiques de ces quartiers, lutter contre les idées reçues et proposer des pistes d’action utiles au débat public ».

Le rapport, dans lequel les quartiers pauvres font référence aux 1 296 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) de France métropolitaine, situés dans plus de 800 communes et regroupant 5 millions de personnes, soit 8 % de la population, s’attaque à huit idées fausses. Et pour cause, « dans l’imaginaire collectif, ce sont souvent les clichés des "banlieues" des grandes villes, des "cités" et autres "grands ensembles" qui viennent à l’esprit quand on pense aux quartiers pauvres. On imagine aussi des territoires bénéficiant plus que la moyenne d’argent public ».

Il n’en est rien, signale l'institut : « Les quartiers pauvres se retrouvent partout en France, créent des richesses, mais reçoivent bien moins que ce que l’on peut imaginer de la part de l’État. En un sens, ces quartiers sont les vrais territoires désavantagés dans le jeu de la solidarité nationale. » Citons, à ce titre, deux chiffres : ces territoires rassemblent les habitants aux conditions socio-économiques les plus fragiles. 42 % des habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté contre 14,9 % en France métropolitaine.

Des territoires plus dynamiques qu'on ne le croit

La première idée reçue : l’Ile-de-France absorberait la majeure partie des richesses du territoire. En réalité, la région produit plus de richesses qu’elle n’en reçoit. Elle est en réalité la seule région où la proportion de richesses créée dépasse la part de richesse disponible. De fait, les franciliens contribuent à 31 % du produit intérieur brut (PIB) alors que les foyers ne détiennent que 22 % du capital disponible.

La Seine-Saint-Denis serait-elle peu dynamique économiquement ? Pour illustrer le poids de cet apriori et de son inexactitude, Hakim El Karoui a analysé l’évolution des masses salariales entre 2007 et 2018. A la lumière des données recueillies, l’essayiste prouve que ce territoire est aussi créateur d’emploi et n'est pas « tombée dans une trappe à pauvreté dont on ne saurait aujourd’hui la faire sortir ».

Entre 2007 et 2018, 29 % de l’augmentation de la masse salariale nationale s’est faite dans ce département. C'est aussi en Seine-Saint-Denis où l’évolution est « la plus spectaculaire » : si, en 2007, le montant des masses salariales était d’environ 13,5 milliards d’euros, il est de près de 16,7 milliards d’euros en 2018, soit près de 25 % de plus en 11 ans.

Autre préjugé très largement répandu : les habitants des quartiers pauvres sont ceux qui touchent le plus d’aides sociales sans participer au financement de celles-ci. Dans son rapport, Hakim El Karoui démontre là aussi qu'ils reçoivent en réalité moins de revenus issus des transferts sociaux (retraites et minima sociaux) que les autres. En moyenne, les habitants des QPV touchent 6 110 euros de revenus de transferts par an et par habitant, contre 6 800 euros de revenus perçus dans le reste du pays.

« En montants absolus, les revenus issus des transferts des habitants des quartiers pauvres restent donc en dessous de la moyenne nationale, bien que leur part dans le revenu disponible soit plus importante », signale-t-on.

Ces allocations, on les doit aussi largement au capital produit par les plus précaires : la Seine-Saint-Denis, qui est le département le plus pauvre de France métropolitaine, est, dans le même temps, le 8e plus gros contributeur au financement de la protection sociale alors qu’il est paradoxalement, celui qui en profite le moins. Entre 74 à 88 % des personnes habitant en Ile-de-France vivent majoritairement de leur salaire, contre 58 à 63 % des habitants du Finistère qui vivent presque autant de leurs activités professionnelles que des minimas sociaux.

Des territoires largement sous-investis par l'Etat

Non seulement les quartiers les plus défavorisés concourent à la croissance économique du pays, mais ils ne coûtent pas plus chers à l’Etat que d'autres territoires. Rapportées aux 5,5 millions de personnes habitant les QPV, les dépenses des bailleurs sociaux pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et celles de l’Etat pour les quartiers pauvres sont de 1 000 euros par habitant, souligne le rapport.

Par ailleurs, l'État y sous-investit dans les domaines de l’Éducation, de l’Intérieur et la Justice à hauteur d'un milliard d'euros, soit 180 euros par an par habitant. La Seine-Saint-Denis compte ainsi 20 fois plus de vols avec armes mais deux fois moins de policiers que l’Indre.

Lire aussi : Des maires de Seine-Saint-Denis attaquent l'Etat pour « rupture d’égalité »

Le business de la drogue dans les quartiers pauvres est également source de fantasmes dans l’esprit de nombreux Français. Là aussi, l’étude met à mal l’un des plus gros clichés véhiculés sur les quartiers pauvres. Le trafic de drogue serait une manne de richesses indispensable dans les quartiers les plus défavorisés. En réalité, la grande distribution génère 110 milliards d’euros par an à l’échelle du territoire contre 2,7 milliards pour la drogue.

Investir sur les habitants plutôt que dans les bâtiments

Face à ces constats, les pistes de solutions formulées visent à favoriser la mixité sociale pour ne pas concentrer la pauvreté au même endroit. Pour Hakim El Karoui, il est « nécessaire d’adopter une vraie stratégie de la promotion sociale et de la lutte contre la pauvreté, dont l’exécution serait interministérielle, reposant sur un "Anru des habitants", à côté de l’Anru des bâtiments »

« Il est temps de changer de stratégie, d’investir dans les flux plutôt que dans les stocks, dans les habitants plutôt que dans les bâtiments. Il est possible d’éduquer, de soigner, d’intégrer mieux et d’exclure moins », signifie-t-on dans le rapport. « Notre rapport montre que la République fonctionne malgré tout, mais que l’on doit collectivement faire mieux. Nous parviendrons ainsi à lutter plus efficacement contre l’islamisme, qui prospère quand la République ne tient pas toutes ses promesses. »

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