(Photo D.R.)
Le système international des droits de l’homme a été mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec la proclamation à Paris de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 10 décembre 1948, dont nous fêterons le 70e anniversaire cette année. Il a vocation à s’appliquer universellement à tous les êtres humains, dans toutes les sociétés, et quel que puisse être le système politique choisi par les États.
A l’époque de sa rédaction, la question du fondement religieux de ces droits universels de l’être humain s’est inévitablement posée à ses rédacteurs. A la suite d’une large consultation faite auprès des différents pays impliqués, la diversité des réponses a obligé ses promoteurs à renoncer à inscrire ces droits sous l’égide d’une puissance divine transcendante. En proclamant leur foi dans les droits fondamentaux de l’être humain, l’Assemblée des Nations unies s’est contentée de proclamer un idéal commun à tous : l’égale dignité en droits de tous les êtres humains et leur liberté inaliénable dans tous les domaines.
Toutes les déclarations historiques des droits de l’homme (de la déclaration d’indépendance américaine à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française de 1789) reflétaient pourtant, aux yeux de leurs rédacteurs, une loi naturelle préexistante à toutes lois humaines.
Pour les Églises chrétiennes, l’existence d’un droit naturel immanent est aussi une évidence théologique. Cependant, les différentes déclarations des droits, issues de la sphère politique, ont toujours questionné les chrétiens qui ne les ont pas acceptées au même rythme.
La petite minorité protestante française, longtemps opprimée par le pouvoir monarchique catholique, a accueilli avec joie et reconnaissance l’avènement des droits de l’homme, et ce, dès les premières semaines de la Révolution française. Ils ont été de fervents partisans de cette nouvelle philosophie, qui leur octroyait tout à la fois l’égalité politique et la liberté religieuse. La pensée théologique protestante a cependant évolué avec le temps. Sans renier leur attachement aux droits de l’homme, les protestants ont depuis voulu rappelé la supériorité nécessaire de Dieu, seule garantie efficace et légitime, selon eux, des droits et devoirs des êtres humains.
Les catholiques en revanche, traumatisés par la politique anticléricale puis antireligieuse de la Révolution française, ont d’abord refusé les conséquences politiques et morales de la philosophie des droits de l’homme. Ils jugeaient ces derniers excessivement individualistes et surtout oublieux des droits premiers de Dieu. Le magistère catholique a donc fermement condamné l’idéologie séculière des droits de l’homme, signe de l’orgueil démesuré de l’homme. Sa position a radicalement changé avec le Concile Vatican II et sa Déclaration sur la liberté religieuse, sans abandonner cependant complètement ses réserves vis-à-vis d’une conception exagérément individualiste des droits de l’homme. Il a par ailleurs assorti son ralliement à la limitation effective de certains des droits individuels qui lui semblaient relever d’un domaine religieux et moral réservé (morale familiale, droit à la vie, etc.).
L’orthodoxie, quant à elle, ne s’est intéressée que très récemment à la théologie des droits de l’homme. Cela a fait suite aux différents engagements œcuméniques des Églises orthodoxes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à l’occasion de sa liberté retrouvée, après la faillite du communisme soviétique. L’Église orthodoxe russe a ainsi proposé sa propre compréhension des droits de l’homme en rappelant solennellement la dignité de l’homme comme image de Dieu sur terre. D’autres Églises orthodoxes se sont exprimées depuis sur ce sujet, en particulier lors du grand Concile pan-orthodoxe tenu en Crète, du 16 au 27 juin 2016. Là aussi, leur compréhension des droits de l’homme insiste sur la primauté de Dieu et des devoirs de l’homme envers son Créateur. Elle met aussi en garde les États contre toute tentation autoritaire et contre toute volonté d’ingérence dans les affaires privées et la liberté religieuse des citoyens croyants.
Cet œcuménisme chrétien des droits de l’homme n’est donc pas tout à fait superposable à la compréhension laïque et juridique qui est actuellement défendue dans les instances internationales.
Reste toujours cette interrogation régulièrement posée depuis l’apparition des premiers textes déclaratifs sur les droits de l’homme jusqu’à aujourd’hui : l’idéologie séculière des droits de l’homme telle qu’elle s’est développée dans l’Histoire contemporaine est-elle l’héritière ou bien l’ennemie déclarée des propositions anthropologiques fournies par les diverses religions ? Les confessions chrétiennes, tout en maintenant certaines de leurs critiques, appuient et défendent cependant largement les principes libéraux des droits de l’homme de par le monde. En revanche, lorsque l’on lit les sévères réserves islamiques à propos de la liberté de religion et de conviction des musulmans dans les différentes déclarations des droits de l’homme en islam – Déclaration de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) de Dacca de 1983 et du Caire de 1990 –, l’adhésion à la philosophie libérale des droits de l’homme internationaux d’une certaine théologie musulmane reste un sujet toujours actuel de questionnement.
A l’époque de sa rédaction, la question du fondement religieux de ces droits universels de l’être humain s’est inévitablement posée à ses rédacteurs. A la suite d’une large consultation faite auprès des différents pays impliqués, la diversité des réponses a obligé ses promoteurs à renoncer à inscrire ces droits sous l’égide d’une puissance divine transcendante. En proclamant leur foi dans les droits fondamentaux de l’être humain, l’Assemblée des Nations unies s’est contentée de proclamer un idéal commun à tous : l’égale dignité en droits de tous les êtres humains et leur liberté inaliénable dans tous les domaines.
Toutes les déclarations historiques des droits de l’homme (de la déclaration d’indépendance américaine à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française de 1789) reflétaient pourtant, aux yeux de leurs rédacteurs, une loi naturelle préexistante à toutes lois humaines.
Pour les Églises chrétiennes, l’existence d’un droit naturel immanent est aussi une évidence théologique. Cependant, les différentes déclarations des droits, issues de la sphère politique, ont toujours questionné les chrétiens qui ne les ont pas acceptées au même rythme.
La petite minorité protestante française, longtemps opprimée par le pouvoir monarchique catholique, a accueilli avec joie et reconnaissance l’avènement des droits de l’homme, et ce, dès les premières semaines de la Révolution française. Ils ont été de fervents partisans de cette nouvelle philosophie, qui leur octroyait tout à la fois l’égalité politique et la liberté religieuse. La pensée théologique protestante a cependant évolué avec le temps. Sans renier leur attachement aux droits de l’homme, les protestants ont depuis voulu rappelé la supériorité nécessaire de Dieu, seule garantie efficace et légitime, selon eux, des droits et devoirs des êtres humains.
Les catholiques en revanche, traumatisés par la politique anticléricale puis antireligieuse de la Révolution française, ont d’abord refusé les conséquences politiques et morales de la philosophie des droits de l’homme. Ils jugeaient ces derniers excessivement individualistes et surtout oublieux des droits premiers de Dieu. Le magistère catholique a donc fermement condamné l’idéologie séculière des droits de l’homme, signe de l’orgueil démesuré de l’homme. Sa position a radicalement changé avec le Concile Vatican II et sa Déclaration sur la liberté religieuse, sans abandonner cependant complètement ses réserves vis-à-vis d’une conception exagérément individualiste des droits de l’homme. Il a par ailleurs assorti son ralliement à la limitation effective de certains des droits individuels qui lui semblaient relever d’un domaine religieux et moral réservé (morale familiale, droit à la vie, etc.).
L’orthodoxie, quant à elle, ne s’est intéressée que très récemment à la théologie des droits de l’homme. Cela a fait suite aux différents engagements œcuméniques des Églises orthodoxes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à l’occasion de sa liberté retrouvée, après la faillite du communisme soviétique. L’Église orthodoxe russe a ainsi proposé sa propre compréhension des droits de l’homme en rappelant solennellement la dignité de l’homme comme image de Dieu sur terre. D’autres Églises orthodoxes se sont exprimées depuis sur ce sujet, en particulier lors du grand Concile pan-orthodoxe tenu en Crète, du 16 au 27 juin 2016. Là aussi, leur compréhension des droits de l’homme insiste sur la primauté de Dieu et des devoirs de l’homme envers son Créateur. Elle met aussi en garde les États contre toute tentation autoritaire et contre toute volonté d’ingérence dans les affaires privées et la liberté religieuse des citoyens croyants.
Cet œcuménisme chrétien des droits de l’homme n’est donc pas tout à fait superposable à la compréhension laïque et juridique qui est actuellement défendue dans les instances internationales.
Reste toujours cette interrogation régulièrement posée depuis l’apparition des premiers textes déclaratifs sur les droits de l’homme jusqu’à aujourd’hui : l’idéologie séculière des droits de l’homme telle qu’elle s’est développée dans l’Histoire contemporaine est-elle l’héritière ou bien l’ennemie déclarée des propositions anthropologiques fournies par les diverses religions ? Les confessions chrétiennes, tout en maintenant certaines de leurs critiques, appuient et défendent cependant largement les principes libéraux des droits de l’homme de par le monde. En revanche, lorsque l’on lit les sévères réserves islamiques à propos de la liberté de religion et de conviction des musulmans dans les différentes déclarations des droits de l’homme en islam – Déclaration de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) de Dacca de 1983 et du Caire de 1990 –, l’adhésion à la philosophie libérale des droits de l’homme internationaux d’une certaine théologie musulmane reste un sujet toujours actuel de questionnement.
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En partenariat avec le collège des Bernardins
Valentine Zuber, est directrice de recherche au Collège des Bernardins, responsable du séminaire « Liberté de religion et de conviction en Méditerranée : les nouveaux défis » qui y est organisé, et directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, PSL). Dernier ouvrage paru : L’Origine religieuse des droits de l’homme. Le Christianisme face aux liberté modernes (Labor et Fides, 2017).
Lire aussi :
Palestine : la religion, objet de consensus
Liberté religieuse au Maroc, un processus inachevé
Volonté divine et choix des hommes en islam sunnite
L’islam et la liberté de conscience
Faut-il au nom du « vivre-ensemble » interdire les signes religieux dans l’espace public ?
Et aussi :
Déclaration de Marrakech sur les droits des minorités religieuses dans le monde islamique
Les droits des minorités religieuses en terre d'islam réaffirmés au Maroc
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Valentine Zuber, est directrice de recherche au Collège des Bernardins, responsable du séminaire « Liberté de religion et de conviction en Méditerranée : les nouveaux défis » qui y est organisé, et directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, PSL). Dernier ouvrage paru : L’Origine religieuse des droits de l’homme. Le Christianisme face aux liberté modernes (Labor et Fides, 2017).
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