Points de vue

Les salafismes : produits des crises du monde musulman

Par Seyfeddine Ben Mansour

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Samedi 14 Avril 2012 à 00:00



Dans une vidéo postée sur YouTube le 28 mars dernier, deux responsables salafistes français, Roumi Hossein Abou Daniel, président de l’association Nouvelle optique et Othman Abou Laith, membre de l’Institut Sunnah, publiaient un communiqué condamnant les tueries de Toulouse et Montauban, tueries qu’« aucune religion ne peut permettre ».

Entre le 11 et le 19 mars en effet, sept personnes — trois musulmans et quatre juifs âgés de 4 à 30 ans — ont été sauvagement abattus par Mohamed Merah, 23 ans, un salafiste français appartenant à la mouvance jihadiste.

En France, les salafistes seraient au nombre de 12 000 sur un total de 6 millions de musulmans, soit environ 0,2 %. Un quart à un tiers d’entre eux, soit entre 3 000 et 4 000 individus, sont des néoconvertis issus du catholicisme ou du protestantisme. Comme ailleurs dans le monde, l’écrasante majorité des salafistes appartiennent au courant quiétiste, qui refuse l’action armée et se désintéresse de la chose politique, se consacrant essentiellement à la prédication (da’wa).

Dans l’Hexagone, ce courant représente 95 % des ultra-orthodoxes. Les 5 % restant, soit 600 individus environ, se partagent entre salafistes politiques et salafistes jihadistes. Seuls les derniers prônent la lutte armée. Il n’existe pas de structure organisationnelle qui réunisse ces trois courants, qui, par ailleurs, n’hésitent pas à se rejeter les uns les autres.

S’ils divergent quant aux moyens de hâter l’avènement de l’Etat islamique, les unit néanmoins l’idée que l’islam, loin de se réduire à sa dimension religieuse, est un système global qui régit l’ensemble des domaines de la vie, qu’ils soient d’ordre sacré ou profane. En cela, ils sont proches des Frères musulmans, dont ils rejettent néanmoins la prétention à intégrer au patrimoine islamique des valeurs qui lui seraient étrangères : celles, conçues comme intrinsèquement occidentales, de la démocratie.

Ibn Hanbal et Ibn Taymiyya

Car les salafistes se veulent fidèles au modèle absolu que constituent les pieux prédécesseurs, les aslâf, les trois premières générations de musulmans : le Prophète et ses compagnons — dont les quatre premiers califes Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân et ‘Alî —, leurs successeurs (at-Tâbi‘ûn) et les successeurs de leurs successeurs (Tâbi‘û at-Tâbi‘în).

De par leur piété exemplaire et leur valeur militaire, ces aslâf ont été à l’origine d’un vaste empire s’étendant des rives de l’Atlantique à la vallée de l’Indus. Raisonnant par induction, les salafistes établissent une relation de cause à effet entre éthique de la piété et succès militaro-politiques à l’origine du rayonnement et de l’extension de l’islam.

Cette idée — qui balaie toutes les considérations d’ordre économique, politique ou social à même de rendre compte des processus historiques — n’est pas neuve. Elle est apparue une première fois au IXe siècle dans un contexte de crise. Elle réapparaîtra à chaque fois pour la même raison.

Le premier à avoir théorisé cette idée est le théologien Ahmad Ibn Hanbal (780-855). Son propos s’inscrit dans un contexte de crise politico-doctrinaire, qui voit le califat aux prises avec les hétérodoxies kharijites et chiites. La théorie sera reprise par le théologien hanbalite Ibn Taymiyya (1263-1328), à une époque où le califat abbasside a disparu sous les coups des Mongols, et où la Syrie subit les raids de leur branche ilkhanide (1300-1304).
Au XVIIIe siècle enfin, le fondateur du wahhabisme, Muhammad Ibn ‘Abd al-Wahhâb (1720-1792), adoptera la même lecture pour expliquer la décadence de l’Empire ottoman et la montée en puissance d’un Occident prédateur, conséquences directes de la trahison de la lettre du Coran…


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