Points de vue

Longue vie au modèle républicain de discrimination positive !

Rédigé par Mehdi Thomas Allal | Vendredi 3 Janvier 2020 à 11:40



Dès la fin des années 1980, après un rapport du Haut Conseil à l’intégration (HCI), les pouvoirs publics tiraient la sonnette d’alarme : les jeunes issus des banlieues constituaient des cohortes entières de potentiels salariés à intégrer et à accompagner sur le plan professionnel. Le constat était simple : la France n’aurait pas besoin de nouvelle vague d’immigration puisqu’elle disposerait déjà sur place des forces vives nécessaires au développement de son économie. La révolte des banlieues à l’automne 2005 n’a fait que renforcer ce constat.

Des études, telles que celle du Conseil d’analyse de la société (CAS), avaient indiqué des pistes. (1) Une politique de « discrimination positive républicaine » devait permettre d’identifier et de sélectionner ces jeunes de cité pour les amener à exercer des responsabilités dans le monde du travail et de la fonction publique. Ce constat n’a pas changé. L’élaboration d’une élite républicaine « métissée » doit constituer la feuille de route de notre gouvernement.

L’identité, plurielle, ne représente pas un facteur de division

Cette élite serait constituée par des Blanc-he-s, des Noir-e-s, des Arabo-Musulman-e-s, des Sud-américain-ne-s, des Asiatiques, sans distinction de religion, de genre, d'orientation sexuelle, de convictions politiques ou syndicales, ou de race. L’identité, plurielle, ne représente pas un facteur de division, si elle est utilisée à bon escient !

L’identité recouvre une réalité dans nos sociétés contemporaines qu’il serait vain de vouloir négliger, en dépit des Cassandre qui considèrent qu’elle nuirait à la reconstruction de la gauche. La gauche est-elle si mal en point pour désigner une entité comme susceptible de la menacer dans son existence ? La gauche a-t-elle besoin de se démarquer si ostensiblement de la réalité multiculturelle de nos sociétés occidentales ? La gauche serait-elle en voie ou en droit de refuser la complexité d’une notion déjà ancienne en sciences sociales dont elle se veut à l’avant-garde ?

La droite en France a su s’emparer du concept plus marketing de « diversité » pour garantir le bien-être de nos organisations. Il est reconnu que cette diversité constitue un gage de performance et de richesse dans la lutte impitoyable que se livrent nos entreprises dans la mondialisation. Et ces entreprises souhaitent à tout prix éviter les dommages collatéraux des politiques du « name & shame » qui sont susceptibles de s’abattre sur elles… Quelques années après la promulgation de la loi Égalité et Citoyenneté, certaines mesures s'appliquent aujourd'hui très concrètement, comme l'obligation pour les entreprises de plus de 300 salariés d'inscrire leurs recruteurs à des formations à la non-discrimination.

La réduction des inégalités constitue un objectif louable, à condition de toucher tous les publics

Les partis politiques conservent une grande part de responsabilité dans la diffusion de ces valeurs. Ils ne concourent pas simplement à l’expression du suffrage universel, en vertu de la Constitution. Ils ont pour objectif de concevoir et de promouvoir des modèles de réussite sociale susceptibles de jouer un effet d’entraînement pour l’ensemble des minorités. C’est à ce prix que les politiques de lutte contre les discriminations constitueront un facteur de réduction des inégalités pour le plus grand nombre.

La réduction des inégalités constitue un objectif louable, à condition de toucher tous les publics, quelle que soit leur origine. Le combat pour l’égalité ne se distingue pas de la recherche d’une plus grande justice sociale : cette même justice invoquée par les philosophes de l’ère anglo-saxonne tels que John Rawls, Amartya Sen ou Will Kymlicka, pour justifier un ciblage des politiques publiques sur les publics les plus faibles.

Il n’en reste pas moins nécessaire de remettre en cause le modèle actuel, en prenant en compte les origines dans l’accès aux ressources. Une élite métissée pourra voir le jour à condition de modifier le préambule de la Constitution et l’article 1er de la Constitution, qui prohibe toute distinction fondée sur la race, l’origine ou la religion.

Lire aussi : La lutte contre les discriminations liées à l’origine passera-t-elle par une modification de l’article 1er de la Constitution ?

Le critère du sexe a déjà permis de prévoir des quotas dans l’accès aux responsabilités politiques et professionnelles… Il suffit d’introduire un concept de « diversité socio-culturelle » ou d'« identité plurielle » pour promouvoir les jeunes issus de l’immigration, comme cela se fait déjà en fonction de leur lieu de résidence pour les emplois francs ou l’éducation prioritaire. Cette visibilité nouvelle et cette quête de respectabilité sont une condition nécessaire, mais non suffisante, de leur meilleure acceptation par le corps social. Ce rôle de locomotive est essentiel pour tisser, et non pour briser, des liens de solidarité avec leurs communautés d’origine. La communauté constitue un socle pour mettre un pied à l’étrier des jeunes des quartiers. Pourquoi ne pas en tenir compte ? Au nom de quels principes républicains doit-on négliger une économie, parfois souterraine et dommageable pour la sécurité de nos concitoyens. La laïcité ? Le principe d’égalité ? L’indivisibilité du peuple français ?

Le principe d’égalité doit se muer en un principe d’équité

La contradiction est à prendre au sérieux. Le principe d’égalité doit néanmoins se muer en un principe d’équité pour toucher les catégories de population les plus démunies.

Quant au principe de laïcité, il est déjà fort malmené par la prédominance des religions chrétiennes sur les minorités juives, bouddhiques et musulmanes.

Enfin, le principe d’indivisibilité doit être concilié avec la résidence sur le territoire français de peuples tels que les Corses, les Antillais ou les Bretons, distincts par leur histoire ou leur langue, et ce malgré la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le modèle républicain de discrimination positive est un modèle qui a prouvé ses mérites. Il est nécessaire cependant de l’adapter pour en faire un modèle de nouveau efficace. Le risque de radicalisation d’une partie de notre population passe par un aménagement de nos grands principes du vivre-ensemble. C’est à cette condition que la France retrouvera ses couleurs, notamment sur la scène internationale.

(1) Conseil d’analyse de la société, « Pour une société de la nouvelle chance ». Une approche républicaine de la discrimination positive, La documentation française, Paris, 2005.

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Mehdi Thomas Allal est maître de conférences à Sciences Po et responsable du pôle « vivre ensemble » du think tank le Jour d’après (JDA).

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