Société

Louis-Georges Tin : « Commémorer l'esclavage, c’est bien ; réparer, c’est mieux »

Rédigé par | Samedi 13 Mai 2017 à 13:15

Alors qu'un groupement d'intérêt public (GIP), présidé par Jean-Marc Ayrault, a été lancé début mai afin de créer une Fondation pour la mémoire de l’esclavage, le président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) Louis-Georges Tin revient pour Saphirnews, à l'occasion de la semaine du 10 mai, sur l’intérêt des propositions de loi sur les réparations consécutives à l'esclavage, portées par la députée écologiste Cécile Duflot.



François Hollande et Emmanuel Macron à la commémoration de l'abolition de l'esclavage dans le jardin du Luxembourg. © Présidence de la République.

Saphirnews : Quelle est votre réaction après l’annonce du lancement d'une Fondation pour la mémoire de l’esclavage ?

Louis-Georges Tin : François Hollande avait dit que les réparations étaient impossibles ; l’impossible est pourtant devenu possible. La Fondation sera fonctionnelle l’année prochaine (en 2018) mais l’argent est là. Il provient de plusieurs ministères et aussi de la Banque de France et de la Caisse des dépôts (dont les activités étaient liées au commerce colonial et à la traite négrière selon le CRAN, ndlr). L’existence de cette fondation est actée et irréversible. Les montants ne sont pas très précis, l’Elysée parle de plusieurs centaines de milliers d’euros mais nous estimons que c’est très insuffisant pour l’instant. Par rapport aux énormes bénéfices engrangés pendant des années, le compte n’y est pas. Il faut bien entendu aller plus loin.

Qu’est-ce qui a convaincu l’Etat de changer de position ?

Louis-Georges Tin : La pression associative. 120 associations, ça pèse lourd quand même. En plus, nous avons ratissé large. Nous avons rassemblé toutes les sensibilités, aussi bien des associations telles que SOS Racisme que la Brigade anti-négrophobie. François Hollande s’est rendu compte que la grande majorité du tissu associatif est favorable aux réparations. Il pensait que nous étions isolés, mais c’est lui qui l’était en réalité.

Le Mouvement international pour les réparations milite depuis longtemps sur cette question. Dans quelle mesure a-t-il été associé ?

Louis-Georges Tin : Le MIR fait partie des 120 associations signataires. Après, il existe plusieurs modalités de réparations. Elie Domota (syndicaliste guadeloupéen, ndlr) demande une réforme agraire (pour la redistribution des terres acquises dans le cadre de l’esclavage et de la colonisation, ndlr) et c’est normal. Mais, pour nous, la fondation ne peut pas résoudre tous les problèmes. Face à l’État postcolonial ou néocolonial français, la création de la fondation est déjà une avancée historique parce que, aujourd’hui, on est entré dans l’âge des réparations.

Commémorer, c’est bien ; réparer, c’est mieux. Or le problème, c’est qu’on était entré dans une sorte de routine. On commémorait pour commémorer, alors que cela doit être le préalable à de nouvelles actions. La commémoration de l'esclavage était devenu un substitut aux réparations. On a acté le fait qu’il y a eu un crime puis on donnait rendez-vous à l’année prochaine. On ne peut pas constater le crime et ne pas le réparer.

Qui va diriger la fondation ?

Louis-Georges Tin : Lionel Zinsou (haut fonctionnaire franco-béninois, ancien candidat à la présidence du Bénin, ndlr) a présidé la commission de préfiguration et la fondation sera dirigée par Jean-Marc Ayrault. Ce n’est pas vraiment notre tasse de thé. Premièrement, il n’est pas un afro-descendant. Deuxièmement, Jean-Marc Ayrault a tout récemment refusé de restituer au peuple béninois les trésors qui ont été volés. En tant que ministre des Affaires étrangères, il n’a pas défendu les droits de l’homme (...). Dans quelle mesure est-il bien placé pour présider à la réparation ? C’est comme pour la Fondation de l’islam de France, avec Jean-Pierre Chevènement (...) chargé de diriger les activités des musulmans, c’est un peu étrange.

Cécile Duflot a annoncé le dépôt de deux projets de loi pour les réparations. N’est-ce pas trop tard ?

Louis-Georges Tin : Cécile Duflot a rédigé ces deux propositions de loi avec nous. L’une porte sur l’esclavage et l’autre sur le travail forcé. Nous avons communiqué la veille du 10 mai pour des raisons symboliques. Après les élections législatives (en juin, ndlr), il va falloir porter ces propositions avec elle si elle est réélue comme on l’espère, mais aussi trouver une majorité pour faire adopter ces textes. Ce sera difficile, nous le savons, mais nous allons nous battre comme d’habitude.

Sur l’esclavage, nous demandons le remboursement de la dette, notamment au peuple haïtien qui a été rançonné par la France. Nous disons aussi que le travail forcé a remplacé l’esclavage. Après l’abolition de l’esclavage, on l’a ainsi réinstauré. Il y a eu plus d’esclaves après l’abolition (en 1848, ndlr) qu’avant. Cette Histoire, qui est plus récente mais méconnue, doit être reconnue comme un crime contre l’humanité qui appelle, lui aussi, une réparation. Il y a eu deux époque coloniales, l’une en Amérique, l’autre en Afrique (après les colonisations du XIXe siècle, ndlr) et les deux méritent réparations.

Comment déterminer la réparation ?

Louis-Georges Tin : Nous avons repris les termes de l’article 5 de la loi Taubira votée en 2001. Nous demandons la mise en place d’un comité d’experts chargés d’évaluer les préjudices et les réparations dues. Cela se passe comme cela dans tous les tribunaux. Si quelqu’un vous attaque dans la rue, il va y avoir des experts médicaux, psychologiques qui vont être chargés d’évaluer le préjudice et, en fonction de cela, le juge décide. La réparation peut être financière, mais elle peut aussi être en infrastructures, en aide au développement ou autre.

De manière générale, quand on parle de réparations en France, on pense à la première époque coloniale. Or nous disons que cela concerne aussi le Sénégal, le Congo ou l’Indochine (après leur colonisation, ndlr). Ce sont des peuples colonisés qui ont connu des tragédies tout à fait comparables. Leur sort n’était pas plus enviable que celui que les esclaves de la première époque ont connu.