Le premier colloque international sur la thématique des afroféminismes et féminismes musulmans a été organisé à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) les 20 et 21 avril. © Amal El Gharbi
Comment les catégories de genre, de race, de classe et de religion s’imbriquent-elles dans les mécanismes d’oppression des femmes? Et surtout comment un féminisme divers, dynamique et renouvelé peut-il y répondre ? Pendant quelques heures intenses, des féministes musulmanes, des afroféministes et des féministes mainstream ont croisé leurs points de vue et expériences, leurs retours critiques, leurs pratiques et propositions lors d’un premier colloque international sur la thématique des afroféminismes et féminismes musulmans organisé par le collectif féministe Kahina à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) vendredi 20 et samedi 21 avril. A la tribune, Françoise Vergès, Malika Hamidi, Fabienne Brion, Rokhaya Diallo, Emilia Roig, Julie Pascoët et bien d'autres.
Lire aussi : De Bruxelles à Paris, citoyennes, féministes et musulmanes
« Effectivement, les féministes "blanches" sont féministes. Les autres, elles, ont besoin d’être qualifiées, d’afro ou de musulmanes par exemple. Pour avancer ensemble, il est donc nécessaire de commencer par se décentrer de soi-même. Même si les portes étaient ouvertes, il faut reconnaître qu’à l’époque, nous restions entre nous. C’est la raison pour laquelle le féminisme mainstream peut être désigné comme dominant. » Avec cette déclaration que ne renierait sans doute pas Christine Delphy, la féministe belge Irène Kaufer a posé un constat souvent peu accepté par les féministes françaises historiques.
C’est pourtant contre cette hégémonie que le féminisme de demain commence à s’élaborer : une idée qui brasse la diversité de chacune sans segmenter les identités multiples, une utopie qui s’alimente d’intersectionnalité, d’antiracisme et encore de décolonialisme.
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« Effectivement, les féministes "blanches" sont féministes. Les autres, elles, ont besoin d’être qualifiées, d’afro ou de musulmanes par exemple. Pour avancer ensemble, il est donc nécessaire de commencer par se décentrer de soi-même. Même si les portes étaient ouvertes, il faut reconnaître qu’à l’époque, nous restions entre nous. C’est la raison pour laquelle le féminisme mainstream peut être désigné comme dominant. » Avec cette déclaration que ne renierait sans doute pas Christine Delphy, la féministe belge Irène Kaufer a posé un constat souvent peu accepté par les féministes françaises historiques.
C’est pourtant contre cette hégémonie que le féminisme de demain commence à s’élaborer : une idée qui brasse la diversité de chacune sans segmenter les identités multiples, une utopie qui s’alimente d’intersectionnalité, d’antiracisme et encore de décolonialisme.
« Acceptons de dénoncer toutes les formes d’oppression, y compris dans nos propres communautés »
Les conditions de la constitution, du développement et du travail effectif de ce féminisme renouvelé ont été interrogées à Bruxelles, souvent à partir d’expériences en cours. Comment ne pas reproduire les processus de domination à l’intérieur même d’une organisation féministe ? En s’accrochant, par exemple, aux principes basiques qui fonde l’existence de l’association Lallab (« La parole aux concernées ») ou à celui du collectif ReSisters (« Toute expérience de vie se vaut, apprenons les unes des autres sans juger »).
Elles ne sont pas toutes révolutionnaires, anticapitalistes ou anti-impérialistes ; elles se distinguent par des priorités de lutte et des moyens d’actions différents mais les féministes afro et les féministes musulmanes - pour respecter la binarité du colloque - sont d’accord pour ne plus céder aux voix en interne qui les exhortent à tempérer leur combat sous prétexte d’affaiblissement de la cause générale ou de trahison d’appartenance. « Acceptons de dénoncer toutes les formes d’oppression, y compris dans nos propres communautés », assenait d’une de ces féministes devant un auditoire convaincu.
Elles ne sont pas toutes révolutionnaires, anticapitalistes ou anti-impérialistes ; elles se distinguent par des priorités de lutte et des moyens d’actions différents mais les féministes afro et les féministes musulmanes - pour respecter la binarité du colloque - sont d’accord pour ne plus céder aux voix en interne qui les exhortent à tempérer leur combat sous prétexte d’affaiblissement de la cause générale ou de trahison d’appartenance. « Acceptons de dénoncer toutes les formes d’oppression, y compris dans nos propres communautés », assenait d’une de ces féministes devant un auditoire convaincu.
Identifier les divisions, lever des tabous, ouvrir la parole
© Amal El Gharbi
Comme plusieurs l’ont fait après elle, Mireille-Tsheusi Robert, chercheuse associative belge et auteure en 2016 du livre Racisme anti-Noirs, entre méconnaissance et mépris, a pointé la nécessité de ne pas aller trop vite : « Pour mettre en place des alliances pérennes entre des groupes aux histoires et priorités différentes, il faut d’abord prendre le temps de se connaître, de savoir d’où on parle et quels sont les "privilèges" des unes par rapport aux autres. »
Ensuite seulement, celle qui est aussi présidente de l’association Bamko s’est lancée : « Si nous voulons travailler ensemble, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un travail en profondeur sur le passé commun des arabo-musulmans et des noirs : treize siècles d’esclavage. Nous ne pouvons pas non plus taire le phénomène de négrophobie. »
Le sujet est repris d’une autre manière par Aichatou Ouattara, auteure du blog Afrofemista : « Puisque nous sommes ici à parler des alliances possibles, nous devons admettre que les mouvements féministes ne sont épargnés ni l’islamophobie ni par le racisme et la négrophobie en particulier. Il nous faut parler de l’imaginaire collectif dans lequel la femme musulmane est arabe mais jamais noire ni même asiatique. »
Et d’autres de témoigner sur l’islam noir systématiquement considéré comme « moins conforme ». Faudra-t-il donc aller jusqu’à la création d’un « afro-féminisme musulman » ? D’un « féminisme métisse » comme s’interrogeait dans le public la fille d’un africain noir et d’une européenne blanche ? Jusqu’où aller dans la singularité de chacune ? Est-il indispensable de catégoriser les identités, récits et oppressions pour que l’ensemble des féministes puissent ensuite se retrouver sur des combats communs ? La question est lancée.
Ensuite seulement, celle qui est aussi présidente de l’association Bamko s’est lancée : « Si nous voulons travailler ensemble, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un travail en profondeur sur le passé commun des arabo-musulmans et des noirs : treize siècles d’esclavage. Nous ne pouvons pas non plus taire le phénomène de négrophobie. »
Le sujet est repris d’une autre manière par Aichatou Ouattara, auteure du blog Afrofemista : « Puisque nous sommes ici à parler des alliances possibles, nous devons admettre que les mouvements féministes ne sont épargnés ni l’islamophobie ni par le racisme et la négrophobie en particulier. Il nous faut parler de l’imaginaire collectif dans lequel la femme musulmane est arabe mais jamais noire ni même asiatique. »
Et d’autres de témoigner sur l’islam noir systématiquement considéré comme « moins conforme ». Faudra-t-il donc aller jusqu’à la création d’un « afro-féminisme musulman » ? D’un « féminisme métisse » comme s’interrogeait dans le public la fille d’un africain noir et d’une européenne blanche ? Jusqu’où aller dans la singularité de chacune ? Est-il indispensable de catégoriser les identités, récits et oppressions pour que l’ensemble des féministes puissent ensuite se retrouver sur des combats communs ? La question est lancée.
Vers un postféminisme musulman ?
En tous cas, la multiplicité des féminismes – ou au moins des récits de femmes blessées – illustre le besoin de combats prenant en compte chaque femme à la croisée des discriminations qu’elle subit afin de l’inscrire comme le résultat d’un processus systémique.
Quel chemin parcouru depuis la naissance, dans les années 2000, d’un féminisme musulman, français et contemporain. A l’époque, rien que le mot de « féminisme » posait question. Les pionnières se le sont progressivement approprié, jusqu’à le revendiquer. Aujourd’hui, constate la sociologue Malika Hamidi, une génération montante se sent même assez forte pour dénoncer un label clivant : « Elles se disent : je suis féministe mais pas seulement musulmane. A partir de mes références religieuses, je peux m’associer aux luttes de toutes les femmes. »
Quel chemin parcouru depuis la naissance, dans les années 2000, d’un féminisme musulman, français et contemporain. A l’époque, rien que le mot de « féminisme » posait question. Les pionnières se le sont progressivement approprié, jusqu’à le revendiquer. Aujourd’hui, constate la sociologue Malika Hamidi, une génération montante se sent même assez forte pour dénoncer un label clivant : « Elles se disent : je suis féministe mais pas seulement musulmane. A partir de mes références religieuses, je peux m’associer aux luttes de toutes les femmes. »
Françoise Vergès. © Amal El Gharbi
Sommes-nous entrées dans le postféminisme musulman ? Tout en sachant que pour rester fidèle à l’esprit des journées de Bruxelles, il est inconcevable d’évoquer « le » féminisme musulman quand celui-ci est constitué de si nombreuses variations. Lui aussi devra traiter la question de l’action concertée dans la diversité.
Une étincelle a jailli à Bruxelles. Des féministes afro et musulmanes ont échangé des arguments scientifiques, des considérations stratégiques, des témoignages, des expériences, des propositions. Plus que croisées, elles se sont rencontrées. Alors comme l’exposait en substance et avec chaleur la politilogue et historienne Françoise Vergès : « Utilisons tous les outils d’analyse possibles, travaillons sur les stratégies, repolitisons le féminisme… mais n’oublions pas que la solidarité est inconditionnelle et que la sororité se construit tous les jours sur le terrain des luttes. »
*****
Nathalie Dollé est journaliste indépendante, auteure de Un humanitaire musulman dans la République. Entretiens avec Rachid Lahlou, président fondateur du Secours Islamique France (Ateliers Henri Dougier, mai 2018).
Lire aussi :
Asma Lamrabet, féministe musulmane de la troisième voie
Les féminismes islamiques analysés par Stéphanie Latte Abdallah
Les Françaises musulmanes : les grandes oubliées des luttes féministes occidentales ?
Nacira Guénif-Souilamas : « Féminisme et islam : ne pas confondre religion et patriarcat »
Une étincelle a jailli à Bruxelles. Des féministes afro et musulmanes ont échangé des arguments scientifiques, des considérations stratégiques, des témoignages, des expériences, des propositions. Plus que croisées, elles se sont rencontrées. Alors comme l’exposait en substance et avec chaleur la politilogue et historienne Françoise Vergès : « Utilisons tous les outils d’analyse possibles, travaillons sur les stratégies, repolitisons le féminisme… mais n’oublions pas que la solidarité est inconditionnelle et que la sororité se construit tous les jours sur le terrain des luttes. »
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Nathalie Dollé est journaliste indépendante, auteure de Un humanitaire musulman dans la République. Entretiens avec Rachid Lahlou, président fondateur du Secours Islamique France (Ateliers Henri Dougier, mai 2018).
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