Premiers signataires de ce manifeste, nous sommes tous de religion ou de culture musulmane. Athées, agnostiques, croyants ou pratiquants, cette appartenance que nous avons en commun constitue une facette de notre identité. Mais elle ne la résume pas.
Nous sommes aussi acteurs dans tous les secteurs du monde professionnel. Chaque jour, nous concevons les innovations qui offriront un avenir à notre industrie, nous assurons la sécurité de nos compatriotes, nous prenons soin de nos aînés et éduquons les futurs citoyens qui fréquentent nos classes. Nous sommes aussi des individus politisés, aux opinions extrêmement variées, à l’image de la population française ! Nous sommes enfin des citoyens français, respectueux des lois, attachés aux valeurs de la République, dépositaires de la culture française et garants de son rayonnement.
Longtemps, nous avons pensé que cette évidence ne méritait pas qu’on la rappelle. Longtemps, nous avons pensé que la tentative de fabrication d’un musulman mythifié – tantôt marginal et assisté, tantôt menaçant et redouté – ne parviendrait pas à abuser nos concitoyens. Longtemps, nous avons espéré que cette supercherie ne résisterait pas à la démonstration quotidienne de notre diversité et de notre «banalité».
Mais la teneur des débats durant la campagne présidentielle, les résultats du premier tour et plus encore la stratégie adoptée par Nicolas Sarkozy pour le second tour nous démontrent que longtemps, nous nous sommes trompés !
Un sondage récent indique que près de 65 % des électeurs de Nicolas Sarkozy au premier tour souhaitent des alliances avec le FN aux prochaines élections législatives. Ajoutés aux électeurs de Marine Le Pen, ce sont donc près de 35 % des Français qui cautionnent une entreprise visant à imposer aux musulmans une singularité qu’ils ne se reconnaissent pas.
Ainsi injuriés, nous aurions pu nous résigner et jouer le « jeu du communautarisme » que créent ceux-là mêmes qui prétendent le combattre. Ce choix, nous aurions pu le faire si nous n’étions pas si convaincus qu’il ne profiterait à personne et qu’il nuirait à tous. Nous l’aurions peut-être fait si nous n’étions pas si attachés à la valeur de fraternité. Aujourd’hui, malgré notre colère, nous refusons de haïr ceux qui approuvent des thèses qui nous offensent. Sans les exonérer de leur responsabilité, nous préférons comprendre les souffrances et les peurs qui ont pu les abuser. Chaque jour, nos concitoyens souffrent davantage d’une crise économique qui n’en finit plus. Une crise d’autant plus difficile à supporter qu’elle s’accompagne d’inégalités croissantes, d’une concurrence internationale féroce, et d’une impuissance totale de nos dirigeants parfois plus occupés à se maintenir au pouvoir qu’à gouverner.
Dans ces conditions, la recherche d’un ennemi intérieur est une réaction malheureusement peu surprenante si l’on s’accorde le recul historique nécessaire.
Au XVIe siècle, c’est dans un contexte d’affaiblissement de l’autorité royale et de querelles de pouvoir au sein de la noblesse que débute la persécution des protestants en France. Erigés comme une menace pour la concorde nationale, c’est d’abord leur visibilité et celle de leurs lieux de culte qui est mise en cause. Les protestants sont ensuite accusés de pactiser avec l’ennemi extérieur tandis que des titres et des métiers leur sont interdits. Une persécution systématique s’organise alors avec des points culminants d’atrocité comme la Saint-Barthélemy, contraignant près de 300 000 protestants à fuir leur pays. La France en est sortie affaiblie économiquement, appauvrie culturellement et meurtrie dans son âme.
Autre page sombre de l’Histoire européenne, la folie génocidaire de la seconde guerre mondiale est l’aboutissement tragique d’une politique odieuse rejetant la responsabilité de la crise économique des années 1930 sur les membres de la communauté juive. De nouveau, cette persécution aveugle et impitoyable a conduit à la mort de millions de juifs et à l’exode de centaines de milliers d'autres. Là encore, les pays européens ont subi une incommensurable perte morale, intellectuelle, culturelle et économique.
Au regard de cette histoire douloureuse, nous ne pouvons accepter l’aveuglement de nos dirigeants. Qu’est-ce qu’une élite sinon une autorité morale et intellectuelle, qui inspire le respect du peuple par sa poursuite de l’intérêt général et la clairvoyance de son jugement ? Que l’on soit ou non sensible à leur personnalité et à leur politique, le général De Gaulle et François Mitterrand se sont hissés à la hauteur de leur fonction lorsqu’ils ont amené les Français à élever leur jugement. Le premier en expliquant à des Français qui n’y étaient pas préparés qu’il était dans l’intérêt de la France de se désengager de son entreprise coloniale, et le second en abolissant la peine de mort lorsque cela n’était pas une évidence.
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy adopte le ton et le discours du Front national, arguant que cela répond aux attentes du peuple. Lorsqu’un dirigeant prend ainsi le risque de renouer avec des périodes sombres de notre histoire, tout démocrate doit dénoncer sans ambigüité ce qui menace l’unité nationale. Certains représentants de l’UMP ont exprimé leur désaccord avec l’extrême droitisation de leur candidat : nous les appelons à le faire de manière encore plus explicite afin d’en entraîner d’autres à leur suite. Quant aux adversaires de Nicolas Sarkozy, nous les appelons à davantage de fermeté dans leur condamnation des thèses qui isolent et clivent des pans entiers de notre société. Non pour capter un chimérique vote communautaire mais pour clamer haut et fort les valeurs républicaines.
Enfin, nous appelons nos concitoyens à faire preuve de recul et de sang froid. Combattre le chômage qui ne cesse de croître, redresser l’école républicaine, assainir nos finances publiques et redynamiser notre industrie, voilà les priorités que nous devons nous donner. Traverser une période aussi difficile que la nôtre suppose de regarder ensemble dans une même direction. Amin Maalouf, écrivain franco-libanais, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que « c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances ». Avant d’ajouter ce qui est peut-être le plus important : « C’est notre regard aussi qui peut les libérer. »
Nous invitons l’ensemble des humanistes à s’associer à ce manifeste.
Je signe le Manifeste des musulmans d'apparence ici
Premiers signataires
El Yamine Soum, auteur (Paris); Ali Soumaré, élu (Val-d’Oise); Kerredine Soltani, auteur, compositeur et interprète (Paris); Rokhaya Diallo, éditorialiste ; Elyamine Settoul, maître de conférence à Science Po (Paris); Habiba Bigdade, présidente de la fédération des Hauts-de-Seine de La ligue des droits de l'homme (Nanterre); Farid Ouhadj, entrepreneur (Paris); Ali Aissaoui, conseiller municipal (Reims); Leïla Touati, ingénieur informatique (Paris); Hacen Boukhelifa, avocat (Marseille); Mohamed Amiri, essayiste (Paris); Myriam Bounafaa, journaliste (Paris); Narjess Ghaoui, journaliste reporter (Avignon); Huê Trinh Nguyên, rédactrice en chef de Salamnews (Paris); Zohra Boutimah, élue (Laval); Zakia Razani, enseignante (Paris); Hacene Sayoud, entrepreneur (Argenteuil); Widad Kefti, journaliste (Bondy) ; Nouriati Djambae, assistante juridique (Marseille); Ouassila Soum-El Messaoudi, directrice des ressources humaines (Tours); Djibril Raphaël Koua, compositeur (Paris); Amira Souilem, journaliste (Paris); Fatiha Yamnaine, militante associative (Hénin-Beaumont); Hadjan Doucouré, juriste (Paris); Karim Derrouiche, étudiant (Lyon); Anas Jaballah, ingénieur (Paris); Mohamed El-Messaoudi, entrepreneur (Tours); Hallouma Benmoumene, chef de produit marketing assurances (Paris); Fatima Jenn, présidente du Centre culturel du monde arabe (Mulhouse); Said Chabane, militant (Paris); Sarah Morsi, cadre (Paris); Wafa Dahman, journaliste chercheur (Lyon); Foued Aouni, humoriste (Montpellier); Ayette Boudelaa, présidente de l'association Mixité de France en Action (Marseille); Zémorda Khelifi, cadre (Lyon); Adil El Ouadehe, militant associatif (Paris); Nabil Bouhajra, directeur de production (Paris); Kamel Saleh, réalisateur, (Marseille).
Voir la liste des signataires suivants : ici
Nous sommes aussi acteurs dans tous les secteurs du monde professionnel. Chaque jour, nous concevons les innovations qui offriront un avenir à notre industrie, nous assurons la sécurité de nos compatriotes, nous prenons soin de nos aînés et éduquons les futurs citoyens qui fréquentent nos classes. Nous sommes aussi des individus politisés, aux opinions extrêmement variées, à l’image de la population française ! Nous sommes enfin des citoyens français, respectueux des lois, attachés aux valeurs de la République, dépositaires de la culture française et garants de son rayonnement.
Longtemps, nous avons pensé que cette évidence ne méritait pas qu’on la rappelle. Longtemps, nous avons pensé que la tentative de fabrication d’un musulman mythifié – tantôt marginal et assisté, tantôt menaçant et redouté – ne parviendrait pas à abuser nos concitoyens. Longtemps, nous avons espéré que cette supercherie ne résisterait pas à la démonstration quotidienne de notre diversité et de notre «banalité».
Mais la teneur des débats durant la campagne présidentielle, les résultats du premier tour et plus encore la stratégie adoptée par Nicolas Sarkozy pour le second tour nous démontrent que longtemps, nous nous sommes trompés !
Un sondage récent indique que près de 65 % des électeurs de Nicolas Sarkozy au premier tour souhaitent des alliances avec le FN aux prochaines élections législatives. Ajoutés aux électeurs de Marine Le Pen, ce sont donc près de 35 % des Français qui cautionnent une entreprise visant à imposer aux musulmans une singularité qu’ils ne se reconnaissent pas.
Ainsi injuriés, nous aurions pu nous résigner et jouer le « jeu du communautarisme » que créent ceux-là mêmes qui prétendent le combattre. Ce choix, nous aurions pu le faire si nous n’étions pas si convaincus qu’il ne profiterait à personne et qu’il nuirait à tous. Nous l’aurions peut-être fait si nous n’étions pas si attachés à la valeur de fraternité. Aujourd’hui, malgré notre colère, nous refusons de haïr ceux qui approuvent des thèses qui nous offensent. Sans les exonérer de leur responsabilité, nous préférons comprendre les souffrances et les peurs qui ont pu les abuser. Chaque jour, nos concitoyens souffrent davantage d’une crise économique qui n’en finit plus. Une crise d’autant plus difficile à supporter qu’elle s’accompagne d’inégalités croissantes, d’une concurrence internationale féroce, et d’une impuissance totale de nos dirigeants parfois plus occupés à se maintenir au pouvoir qu’à gouverner.
Dans ces conditions, la recherche d’un ennemi intérieur est une réaction malheureusement peu surprenante si l’on s’accorde le recul historique nécessaire.
Au XVIe siècle, c’est dans un contexte d’affaiblissement de l’autorité royale et de querelles de pouvoir au sein de la noblesse que débute la persécution des protestants en France. Erigés comme une menace pour la concorde nationale, c’est d’abord leur visibilité et celle de leurs lieux de culte qui est mise en cause. Les protestants sont ensuite accusés de pactiser avec l’ennemi extérieur tandis que des titres et des métiers leur sont interdits. Une persécution systématique s’organise alors avec des points culminants d’atrocité comme la Saint-Barthélemy, contraignant près de 300 000 protestants à fuir leur pays. La France en est sortie affaiblie économiquement, appauvrie culturellement et meurtrie dans son âme.
Autre page sombre de l’Histoire européenne, la folie génocidaire de la seconde guerre mondiale est l’aboutissement tragique d’une politique odieuse rejetant la responsabilité de la crise économique des années 1930 sur les membres de la communauté juive. De nouveau, cette persécution aveugle et impitoyable a conduit à la mort de millions de juifs et à l’exode de centaines de milliers d'autres. Là encore, les pays européens ont subi une incommensurable perte morale, intellectuelle, culturelle et économique.
Au regard de cette histoire douloureuse, nous ne pouvons accepter l’aveuglement de nos dirigeants. Qu’est-ce qu’une élite sinon une autorité morale et intellectuelle, qui inspire le respect du peuple par sa poursuite de l’intérêt général et la clairvoyance de son jugement ? Que l’on soit ou non sensible à leur personnalité et à leur politique, le général De Gaulle et François Mitterrand se sont hissés à la hauteur de leur fonction lorsqu’ils ont amené les Français à élever leur jugement. Le premier en expliquant à des Français qui n’y étaient pas préparés qu’il était dans l’intérêt de la France de se désengager de son entreprise coloniale, et le second en abolissant la peine de mort lorsque cela n’était pas une évidence.
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy adopte le ton et le discours du Front national, arguant que cela répond aux attentes du peuple. Lorsqu’un dirigeant prend ainsi le risque de renouer avec des périodes sombres de notre histoire, tout démocrate doit dénoncer sans ambigüité ce qui menace l’unité nationale. Certains représentants de l’UMP ont exprimé leur désaccord avec l’extrême droitisation de leur candidat : nous les appelons à le faire de manière encore plus explicite afin d’en entraîner d’autres à leur suite. Quant aux adversaires de Nicolas Sarkozy, nous les appelons à davantage de fermeté dans leur condamnation des thèses qui isolent et clivent des pans entiers de notre société. Non pour capter un chimérique vote communautaire mais pour clamer haut et fort les valeurs républicaines.
Enfin, nous appelons nos concitoyens à faire preuve de recul et de sang froid. Combattre le chômage qui ne cesse de croître, redresser l’école républicaine, assainir nos finances publiques et redynamiser notre industrie, voilà les priorités que nous devons nous donner. Traverser une période aussi difficile que la nôtre suppose de regarder ensemble dans une même direction. Amin Maalouf, écrivain franco-libanais, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que « c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances ». Avant d’ajouter ce qui est peut-être le plus important : « C’est notre regard aussi qui peut les libérer. »
Nous invitons l’ensemble des humanistes à s’associer à ce manifeste.
Je signe le Manifeste des musulmans d'apparence ici
Premiers signataires
El Yamine Soum, auteur (Paris); Ali Soumaré, élu (Val-d’Oise); Kerredine Soltani, auteur, compositeur et interprète (Paris); Rokhaya Diallo, éditorialiste ; Elyamine Settoul, maître de conférence à Science Po (Paris); Habiba Bigdade, présidente de la fédération des Hauts-de-Seine de La ligue des droits de l'homme (Nanterre); Farid Ouhadj, entrepreneur (Paris); Ali Aissaoui, conseiller municipal (Reims); Leïla Touati, ingénieur informatique (Paris); Hacen Boukhelifa, avocat (Marseille); Mohamed Amiri, essayiste (Paris); Myriam Bounafaa, journaliste (Paris); Narjess Ghaoui, journaliste reporter (Avignon); Huê Trinh Nguyên, rédactrice en chef de Salamnews (Paris); Zohra Boutimah, élue (Laval); Zakia Razani, enseignante (Paris); Hacene Sayoud, entrepreneur (Argenteuil); Widad Kefti, journaliste (Bondy) ; Nouriati Djambae, assistante juridique (Marseille); Ouassila Soum-El Messaoudi, directrice des ressources humaines (Tours); Djibril Raphaël Koua, compositeur (Paris); Amira Souilem, journaliste (Paris); Fatiha Yamnaine, militante associative (Hénin-Beaumont); Hadjan Doucouré, juriste (Paris); Karim Derrouiche, étudiant (Lyon); Anas Jaballah, ingénieur (Paris); Mohamed El-Messaoudi, entrepreneur (Tours); Hallouma Benmoumene, chef de produit marketing assurances (Paris); Fatima Jenn, présidente du Centre culturel du monde arabe (Mulhouse); Said Chabane, militant (Paris); Sarah Morsi, cadre (Paris); Wafa Dahman, journaliste chercheur (Lyon); Foued Aouni, humoriste (Montpellier); Ayette Boudelaa, présidente de l'association Mixité de France en Action (Marseille); Zémorda Khelifi, cadre (Lyon); Adil El Ouadehe, militant associatif (Paris); Nabil Bouhajra, directeur de production (Paris); Kamel Saleh, réalisateur, (Marseille).
Voir la liste des signataires suivants : ici