« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots. »
Cette citation de Jean Jaurès, que je reprends d’un commentaire publié en marge de l’article du journal Le Monde intitulé : « Eric Laurent et le roi du Maroc : “C’est une tentation, pas un chantage” » à propos de l’affaire qui oppose les deux journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet au palais royal, me semble bien résumer cette histoire et ses développements rocambolesques.
En tant que lambda non rompu aux interprétations diverses et variées qu’un esprit retors puisse exhiber chaque fois qu’un intérêt quelconque stimule son esprit, j’en ai conçu l’opinion suivante : deux journalistes d’expérience, et qui plus est d’investigation, rompus à fouiner pour faire apparaître les choses telles qu’elles existent selon un ordre d’idées ou une conception de la vérité auquel ils adhèrent, se seraient emparés d’un trésor de renseignements qui, toujours selon leur conception des choses, augmenterait leur patrimoine financier de gloire, de notoriété et d’autorité dans le domaine du journalisme d’investigation. Une palme de plus pour les justes.
Mais les justes, nonobstant leur sagesse, ne sont pas parfaits et, en toute logique humaine, on ne peut les exonérer de la tentation de tirer profit de leur sagesse. Un accident dans le parcours le plus glorieux est vite arrivé. Il ne fallut à Satan ‒ à l’origine ange céleste ‒ qu’un acte de désobéissance pour qu’il soit déchu éternellement et indéfiniment.
Cette logique que certains qualifieraient de simpliste, mais qui me paraît plus conforme à la réalité humaine qu’une réflexion de coupeurs de cheveux en quatre, se justifie par les considérations suivantes :
• J’ai comme habitude, qui frôle le tic, de dire que l’homme est capable de tout depuis l’extrême du meilleur jusqu’à l’extrême du pire. Et qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine je ne boirai pas de ton eau. » Cela pour dire que personne n’est à l’abri de la tentation. Dire cela ne signifie pas que la tentation est excusable ni pardonnable moyennant l’aveu et l’expression de remords.
La tentation est, me semble-t-il, comme les virages très étroits qui jalonnent la route : si on ne les négocie pas de façon serrée, on dévie peu ou prou de celle-ci. Pour bien aborder un virage, il est absolument nécessaire d’avoir constamment en vue l’objectif final du trajet. Quand on est résolu d’atteindre le but que l’on s’est assigné, on prend toutes les mesures et toutes les précautions qui permettent d’y parvenir, d’autant que l’on sait d’expérience, et aussi d’intelligence, que le trajet qui mène à la vérité est par définition semé d’embûches et d’obstacles.
• Quand on veut atteindre le sommet d’une montagne, on ne peut compter sur l’existence d’un escalator ou d’un ascenseur qui y mène par une ligne droite. Par conséquent et en toute logique, on ne peut croire à l’aide et à l’assistance de l’institution que l’on veut défier pour qu’elle nous fournisse l’outil qui nous fait défaut. Y croire, c’est tout simplement manquer de fermeté dans son projet, c’est en d’autres termes, prêter le flanc au doute, et donc à la tentation d’y renoncer tout en se prévalant de succès moindres ou de la prééminence d’autres intérêts, fussent-ils contraires à l’objectif que l’on voulait atteindre.
Lorsqu’on croit fermement à la justesse de l’objectif visé, on fait le vide tout autour pour éviter tout élément susceptible de le parasiter ou de faiblir dans la constance. Tout fléchissement dans la constance est susceptible de permettre à la tentation de survenir ou de prendre les commandes du parcours.
• La différence entre un maître chanteur et la faiblesse devant la tentation est, me semble-t-il, la même dans son épaisseur qu’une feuille de papier. Il n’y a que l’ordre et la chronologie dans l’acte qui sépare les deux. Un maître chanteur est saisi, en amont, par la tentation et définit ensuite les moyens. Céder à la tentation, sans l’avoir conçue préalablement, c’est s’y soumettre librement. C’est un changement de direction qui n’en est pas moins réfléchi que l’acte prémédité.
Tous les mots et circonlocutions auxquels on recourt ne changent rien à la vérité qui fonde l’acte. Que l’on réussisse ou que l’on échoue, le « coup » est le même, comme le résultat escompté d’ailleurs. Dans le parcours de recherche de la vérité, le bien est à notre portée et le mal nous guette. Il n’y a que la volonté et le sens de la responsabilité qui puissent constituer un rempart infranchissable entre les deux.
****
Ahmed Abdouni, ancien diplomate marocain.
Cette citation de Jean Jaurès, que je reprends d’un commentaire publié en marge de l’article du journal Le Monde intitulé : « Eric Laurent et le roi du Maroc : “C’est une tentation, pas un chantage” » à propos de l’affaire qui oppose les deux journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet au palais royal, me semble bien résumer cette histoire et ses développements rocambolesques.
En tant que lambda non rompu aux interprétations diverses et variées qu’un esprit retors puisse exhiber chaque fois qu’un intérêt quelconque stimule son esprit, j’en ai conçu l’opinion suivante : deux journalistes d’expérience, et qui plus est d’investigation, rompus à fouiner pour faire apparaître les choses telles qu’elles existent selon un ordre d’idées ou une conception de la vérité auquel ils adhèrent, se seraient emparés d’un trésor de renseignements qui, toujours selon leur conception des choses, augmenterait leur patrimoine financier de gloire, de notoriété et d’autorité dans le domaine du journalisme d’investigation. Une palme de plus pour les justes.
Mais les justes, nonobstant leur sagesse, ne sont pas parfaits et, en toute logique humaine, on ne peut les exonérer de la tentation de tirer profit de leur sagesse. Un accident dans le parcours le plus glorieux est vite arrivé. Il ne fallut à Satan ‒ à l’origine ange céleste ‒ qu’un acte de désobéissance pour qu’il soit déchu éternellement et indéfiniment.
Cette logique que certains qualifieraient de simpliste, mais qui me paraît plus conforme à la réalité humaine qu’une réflexion de coupeurs de cheveux en quatre, se justifie par les considérations suivantes :
• J’ai comme habitude, qui frôle le tic, de dire que l’homme est capable de tout depuis l’extrême du meilleur jusqu’à l’extrême du pire. Et qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine je ne boirai pas de ton eau. » Cela pour dire que personne n’est à l’abri de la tentation. Dire cela ne signifie pas que la tentation est excusable ni pardonnable moyennant l’aveu et l’expression de remords.
La tentation est, me semble-t-il, comme les virages très étroits qui jalonnent la route : si on ne les négocie pas de façon serrée, on dévie peu ou prou de celle-ci. Pour bien aborder un virage, il est absolument nécessaire d’avoir constamment en vue l’objectif final du trajet. Quand on est résolu d’atteindre le but que l’on s’est assigné, on prend toutes les mesures et toutes les précautions qui permettent d’y parvenir, d’autant que l’on sait d’expérience, et aussi d’intelligence, que le trajet qui mène à la vérité est par définition semé d’embûches et d’obstacles.
• Quand on veut atteindre le sommet d’une montagne, on ne peut compter sur l’existence d’un escalator ou d’un ascenseur qui y mène par une ligne droite. Par conséquent et en toute logique, on ne peut croire à l’aide et à l’assistance de l’institution que l’on veut défier pour qu’elle nous fournisse l’outil qui nous fait défaut. Y croire, c’est tout simplement manquer de fermeté dans son projet, c’est en d’autres termes, prêter le flanc au doute, et donc à la tentation d’y renoncer tout en se prévalant de succès moindres ou de la prééminence d’autres intérêts, fussent-ils contraires à l’objectif que l’on voulait atteindre.
Lorsqu’on croit fermement à la justesse de l’objectif visé, on fait le vide tout autour pour éviter tout élément susceptible de le parasiter ou de faiblir dans la constance. Tout fléchissement dans la constance est susceptible de permettre à la tentation de survenir ou de prendre les commandes du parcours.
• La différence entre un maître chanteur et la faiblesse devant la tentation est, me semble-t-il, la même dans son épaisseur qu’une feuille de papier. Il n’y a que l’ordre et la chronologie dans l’acte qui sépare les deux. Un maître chanteur est saisi, en amont, par la tentation et définit ensuite les moyens. Céder à la tentation, sans l’avoir conçue préalablement, c’est s’y soumettre librement. C’est un changement de direction qui n’en est pas moins réfléchi que l’acte prémédité.
Tous les mots et circonlocutions auxquels on recourt ne changent rien à la vérité qui fonde l’acte. Que l’on réussisse ou que l’on échoue, le « coup » est le même, comme le résultat escompté d’ailleurs. Dans le parcours de recherche de la vérité, le bien est à notre portée et le mal nous guette. Il n’y a que la volonté et le sens de la responsabilité qui puissent constituer un rempart infranchissable entre les deux.
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Ahmed Abdouni, ancien diplomate marocain.
Du même auteur :
La fable de Si Soughane, des loups, des chèvres et du justicier
Et si nous changions l’esprit dans lequel nous lisons le Coran ?
Du sacré… et de la liberté d’expression
Islam : conjuguer la foi et la raison
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