A quelques jours des fêtes de fin d’année, et de Noël en particulier, émergent – comme à chaque fois – d’étranges histoires. Ainsi celle d’une princesse qui, souhaitant profiter de cette occasion festive pour fraterniser avec ses collègues autour d’un pot (avec ou sans alcool au choix), se heurta à un mur d’intolérance de la part de ses collègues musulmans et finit par siphonner seule sa bouteille pour oublier sa solitude et son chagrin.
De ces histoires dans lesquelles les musulmans endossent, volens nolens, le rôle du Grinch et parviennent à ruiner l’esprit de Noël. Le pire, c’est qu’ils ont toujours d’excellentes raisons pour se donner bonne conscience et fermer les yeux sur les coups de canif qu’ils ne cessent de donner ainsi dans le « faire-ensemble » : l’interdiction de se trouver dans la même pièce qu’une goutte d’alcool ; ou encore l’interdiction de participer aux fêtes des « mécréants » (kuffar).
J’ai travaillé pendant plus de 15 ans à la reconnaissance de l’islamophobie comme une forme spécifique de racisme antimusulman dont on retrouve des expressions dans tous les aspects de la vie, et en particulier dans le milieu du travail. En effet, de nombreuses personnes – des femmes en majorité – se voient discriminées en fonction de leurs convictions religieuses réelles ou supposées à toutes les étapes de leur carrière, du recrutement à la pension en passant par le plafond de verre. Une partie non négligeable de la problématique concerne la visibilité et la prise en compte des pratiques culturelles et/ou religieuses musulmanes sur le lieu de travail, au sein de sociétés qui se diversifient et qui doivent faire une place égale au plus large spectre possible de façons de vivre.
Je voudrais renverser la perspective et m’intéresser pour une fois – pour analyser ce que cela nous dit des pratiques et discours intracommunautaires musulmans – sur la façon dont des employeurs qui appliquent un éthos musulman au sein de leur organisation (entreprise ou association) accommodent les pratiques et les convictions de leurs employé-e-s non-musulman-e-s.
De ces histoires dans lesquelles les musulmans endossent, volens nolens, le rôle du Grinch et parviennent à ruiner l’esprit de Noël. Le pire, c’est qu’ils ont toujours d’excellentes raisons pour se donner bonne conscience et fermer les yeux sur les coups de canif qu’ils ne cessent de donner ainsi dans le « faire-ensemble » : l’interdiction de se trouver dans la même pièce qu’une goutte d’alcool ; ou encore l’interdiction de participer aux fêtes des « mécréants » (kuffar).
J’ai travaillé pendant plus de 15 ans à la reconnaissance de l’islamophobie comme une forme spécifique de racisme antimusulman dont on retrouve des expressions dans tous les aspects de la vie, et en particulier dans le milieu du travail. En effet, de nombreuses personnes – des femmes en majorité – se voient discriminées en fonction de leurs convictions religieuses réelles ou supposées à toutes les étapes de leur carrière, du recrutement à la pension en passant par le plafond de verre. Une partie non négligeable de la problématique concerne la visibilité et la prise en compte des pratiques culturelles et/ou religieuses musulmanes sur le lieu de travail, au sein de sociétés qui se diversifient et qui doivent faire une place égale au plus large spectre possible de façons de vivre.
Je voudrais renverser la perspective et m’intéresser pour une fois – pour analyser ce que cela nous dit des pratiques et discours intracommunautaires musulmans – sur la façon dont des employeurs qui appliquent un éthos musulman au sein de leur organisation (entreprise ou association) accommodent les pratiques et les convictions de leurs employé-e-s non-musulman-e-s.
La gestion de la diversité convictionnelle à repenser
Avec sept ans de pratique et de recherche en matière de management de la diversité au compteur, je peux vous affirmer que ce n’est souvent pas mieux du tout – parfois même pire – que les employeurs non musulmans « mainstream » : on rencontre une totale incompréhension de la diversité, un refus d’accommoder la différence, un refus d’accepter la visibilité d’autres convictions, l’imposition de normes à caractère religieux dans l’organisation, un refus de flexibilité dans l’organisation du travail, un manque d’anticipation quant à la gestion de comportements conservateurs dans les rapports de genres ou encore quant aux réactions du staff musulman par rapport aux demandes de leurs collègues non musulmans.
Le pire venant du fait que certains justifient leur intolérance à coup de versets coraniques, ou plus souvent de hadiths – car on en trouvera toujours bien un qui soutiendra l’opinion que l’on veut imposer – et cherchent à verrouiller « religieusement » toute possibilité de débat alors qu’il s’agit de problématiques organisationnelles.
Le sapin de Noël et la bouteille d’alcool sont des « marronniers » en la matière. On constate – avec une immense tristesse en ce qui me concerne – qu’une fois en position de pouvoir et de domination majoritaire (fût-ce au sein d’une unité organisationnelle entrepreneuriale, donc privée), « les » musulmans n’échappent pas au tropisme du rapport de force. Cela se reflète, notamment, au travers de la construction de l’autre (le mécréant, kâfir) comme une espèce différente, avec laquelle il serait interdit de se mélanger, de sympathiser, de s’identifier – en particulier en respectant et en faisant une place à la célébration de ses fêtes. Nous retrouvons ainsi les mêmes mécanismes organisationnels discriminants, ceux-là mêmes qui sont légitimement combattus avec ferveur lorsqu’il s’agit des minorités musulmanes.
Le pire venant du fait que certains justifient leur intolérance à coup de versets coraniques, ou plus souvent de hadiths – car on en trouvera toujours bien un qui soutiendra l’opinion que l’on veut imposer – et cherchent à verrouiller « religieusement » toute possibilité de débat alors qu’il s’agit de problématiques organisationnelles.
Le sapin de Noël et la bouteille d’alcool sont des « marronniers » en la matière. On constate – avec une immense tristesse en ce qui me concerne – qu’une fois en position de pouvoir et de domination majoritaire (fût-ce au sein d’une unité organisationnelle entrepreneuriale, donc privée), « les » musulmans n’échappent pas au tropisme du rapport de force. Cela se reflète, notamment, au travers de la construction de l’autre (le mécréant, kâfir) comme une espèce différente, avec laquelle il serait interdit de se mélanger, de sympathiser, de s’identifier – en particulier en respectant et en faisant une place à la célébration de ses fêtes. Nous retrouvons ainsi les mêmes mécanismes organisationnels discriminants, ceux-là mêmes qui sont légitimement combattus avec ferveur lorsqu’il s’agit des minorités musulmanes.
De quoi la « mécréanophobie » est-elle le nom ?
La « mécréanophobie » serait ainsi le pendant musulman de l’islamophobie au sein de la communauté majoritaire. Je suis d’autant plus interpellé par ce phénomène que ce dernier se développe au sein d’organisations avec un éthos musulman dont les employé-e-s et les dirigeant-e-s ont quasi tou-te-s évolué, avant de rejoindre ces dernières, en milieu professionnel non musulman et donc ont eu l’occasion d’être confronté-e-s aux difficultés d’être inclus-e-s avec leurs particularismes revendiqués ou supposés. Une fois passé-e-s de l’autre côté de la force, ils/elles adoptent des comportements hégémoniques similaires et agissent en fonction d’un racisme systémique, mais inversé. Leurs pratiques s’articulent sur des perceptions et des représentations très négatives des « mécréants » circulant très largement au sein des communautés musulmanes.
Au sein de nos sociétés occidentales, dont nous – les musulman-e-s dans notre diversité – faisons désormais partie intégrante –Noël est par excellence la période du pardon et de la réflexion sur soi, entrecoupée de moments festifs et de partage familiaux et entre amis. Qui plus est en cette année 2015 où Noël coïncide avec la naissance du Prophète Muhammad (Mawlid ennabawi).
Profitons donc de cette occasion pour réfléchir de manière critique à la façon dont les discours intracommunautaires ont construit le « mécréant » comme l’autre absolu. Sachons reconnaître que des processus de mise à distance et de réification de l’autre (otherisation), similaires à ceux qui sont activés au sein des discours de droite raciste, ont librement cours au sein de nos communautés à propos de toutes sortes de groupes sur des bases culturelles et convictionnelles (les « mécréants ») mais aussi sur des bases raciales (vis-à-vis des Noirs, des Roms, des Juifs…).
A ce titre, la « mécréanophobie » est d’ailleurs un « racisme » intéressant, car aussi complexe que l’islamophobie, à savoir qu’il s’agit d’un racisme composé autour de catégories ethniques, culturelles, religieuses/convictionnelles et sociales, mais aussi de genre.
Je mets « racisme » entre guillemets car, techniquement, ce n’est pas du racisme tant que cette forme de rejet, voire de haine, ne s’inscrit pas dans un rapport de domination. Il n’y a racisme que des dominants envers des dominés. Mais cela ne veut pas dire que ce rejet/haine n’existe pas chez les dominés : il attend d’être potentialisé en racisme dès qu’il trouvera une structure de domination au sein de laquelle il pourra s’exprimer. Or, à titre d’ébauche, les entreprises revendiquant un éthos musulman constituent autant de fenêtres sur des mises en œuvre potentielles de structures de domination à coloration musulmane.
Et le résultat n’est pas très encourageant. La « mécréanophobie » s’invite très rapidement à table. Bref, c’est, sur ce sujet également, le temps d’une autocritique salutaire.
A celles et à ceux qui ne cessent de s’interroger sur le fait que les victimes d’hier puissent devenir les bourreaux d’aujourd’hui, une analyse critique et sans concession de la « mécréanophobie » au sein de nos communautés pourra fournir des éléments de réponse très intéressants.
Joyeux Noël à tou-te-s ! Et excellent Mawlid ennabawwi !
*****
Michael Privot est islamologue.
Au sein de nos sociétés occidentales, dont nous – les musulman-e-s dans notre diversité – faisons désormais partie intégrante –Noël est par excellence la période du pardon et de la réflexion sur soi, entrecoupée de moments festifs et de partage familiaux et entre amis. Qui plus est en cette année 2015 où Noël coïncide avec la naissance du Prophète Muhammad (Mawlid ennabawi).
Profitons donc de cette occasion pour réfléchir de manière critique à la façon dont les discours intracommunautaires ont construit le « mécréant » comme l’autre absolu. Sachons reconnaître que des processus de mise à distance et de réification de l’autre (otherisation), similaires à ceux qui sont activés au sein des discours de droite raciste, ont librement cours au sein de nos communautés à propos de toutes sortes de groupes sur des bases culturelles et convictionnelles (les « mécréants ») mais aussi sur des bases raciales (vis-à-vis des Noirs, des Roms, des Juifs…).
A ce titre, la « mécréanophobie » est d’ailleurs un « racisme » intéressant, car aussi complexe que l’islamophobie, à savoir qu’il s’agit d’un racisme composé autour de catégories ethniques, culturelles, religieuses/convictionnelles et sociales, mais aussi de genre.
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