Culture & Médias

Médine : « Les rappeurs sont les poètes d’aujourd’hui »

Rédigé par | Vendredi 2 Janvier 2009 à 16:03

L’inspiration est attachée à la foi et le verbe puise tout autant dans les soubresauts de l’actualité que dans les tragédies de l’humanité. Artiste à la plume incisive et à la voix de granit, Médine s’impose sur la scène du rap français.



Les valeurs éthiques transparaissent-elles dans vos textes ?

Médine : Je ne fais pas de prosélytisme, du style « il faut prier, jeûner… ». Je fais référence à l’islam en tant qu’appartenance à une communauté. Or cette appartenance est devenue un facteur d’exclusion, je veux le dénoncer. Les médias délivrent leurs amalgames en toute impunité. Tout le monde pense qu’on a le droit d’être islamophobe. En réalisant mon premier album 11-Septembre j’ai voulu exprimer mon droit de réponse. La thématique a effrayé les médias qui n’ont que peu promu le CD, seuls quelques-uns ont donné un coup de pouce. Même le monde des rappeurs s’est interrogé : qu’est-ce que ce rappeur barbu ?...

Vous sortez ensuite votre deuxième album, Jihâd, s’agissant bien sûr du grand jihâd !

« Je veux que ceux qui écoutent le rap connaissent les grands moments de l’Histoire »
Médine : C’est le plus grand combat et contre soi-même. J’ai joué sur les symboles. Selon le sens commun, le jihâd est la guerre sainte, le combat armé contre les croisés. Je voulais redonner son sens étymologique. En rappelant que, en arabe, jihâd signifie « effort », j’avais envie de développer toutes les formes d’efforts que l’on peut déployer au quotidien. Pour moi, l’effort, c’est d’être le plus performant dans mon domaine qui est le rap français. Pour un autre, c’est d’être le plus performant dans ses études. Essayer de se changer soi-même avant de vouloir changer le monde.

Vous faites référence aussi à des figures emblématiques.

Médine : Dans le rap français et chez les jeunes en général, on constate qu’ils prennent pour références des personnages de fiction qui ont réussi illégalement. Plutôt que de dire : il ne faut pas s’identifier à eux, je dis qu’il existe d’autres références qui ont réellement vécu et sont morts pour leurs idées, pour faire évoluer les mentalités et changer le monde. Au contraire des personnages de fiction, il s’agit véritablement de héros. Ce sont des figures emblématiques telles que Malcolm X, Massoud…

Vous pensez que votre public fera par la suite ses propres recherches sur ces personnalités ?

Médine : C’est cela. Je fais même plus que les citer ; dans certains morceaux, je raconte leurs histoires. J’ai composé un morceau sur Malcolm X et Massoud, je trouvais qu’ils avaient un destin très croisé car ils se rejoignaient sur nombre de points, j’ai raconté leurs derniers moments de leur vie pour susciter la curiosité. Mais quels ont été leurs parcours ? Allez les découvrir par les livres, les documents ; je fournis dans mes albums une bibliographie, une filmographie. Je n’ai pas envie de mâcher le travail à 100 % pour dire qu’il y a une seule façon de penser.

Vous faites œuvre de pédagogie alors ?

Médine : Sincèrement, j’espère ! Mais sans prétention, je ne veux pas jouer les rappeurs soûlants, intellectuels, qui balancent des références à chaque morceau. Je veux seulement tenter de vulgariser les bouquins, vulgariser des pans de l’Histoire pour rendre celle-ci à la portée de tous les auditeurs.

Comment procédez-vous pour écrire vos textes ?

Médine : Je n’étais pas un étudiant assidu. Aussi, aujourd’hui, je me force à lire pour maîtriser les sujets que je veux évoquer dans mes albums futurs. Lorsque je parle, par exemple, du conflit des Amérindiens, j’ai lu sur la vie de Geronimo et ai rencontré des personnes très documentées, des rencontres de deux jours pour débriefer tout ce qu’il y a à dire sur le sujet. J’ai essayé de synthétiser toutes les informations en un seul morceau, c’est ce qui a donné Petit Cheval, de l’album Jihâd.

Vous mettez en lumière des événements historiques, par exemple 17 octobre.

Médine : On est en déficit de connaissances : on ne connaît pas les grands moments de notre Histoire. Première raison : mettre en lumière. Je veux que les gens qui écoutent le rap connaissent ces événements. Deuxième raison : pallier la crise identitaire. Il faut absolument se documenter, ce n’est pas forcément lire et regarder des reportages. Il faut aussi discuter, voyager…

Boulevard Vincent Auriol vous a fait connaître auprès du grand public, alors que ce drame allait passer aux oubliettes de l’Histoire.

« Il faut davantage se pencher sur l’organisation, les valeurs spirituelles et la moralité »
Médine : Je n’ai pas joué sur la fibre émotionnelle. De la même façon que je déterrais des anciens événements, j’ai voulu déterrer un événement d’actualité qui avait été mis quasi sous silence.
J’ai pris le temps de rencontrer un habitant de cet immeuble, on s’est entretenu plusieurs fois par téléphone, il m’a raconté sa vie : son arrivée en France, croyant que c’est le Paradis terrestre, il travaillait, était locataire de cet immeuble insalubre, qui part en fumée et lui perd la moitié de sa famille. À travers son récit, je racontais l’immigration en France : c’est le rêve qui tourne au cauchemar.

Vous délivrez donc des paroles fortes, qui mérite une écoute attentive, mais sur un rythme et avec une scansion de mots qui peuvent rendre votre message peu audible…

Médine : Les auditeurs de rap sont habitués au rap, à cette façon violente de recevoir les mots. Aujourd’hui, la société est violente. Je ne vais pas me contenter de raconter des choses sur une belle musique mélancolique, il faut marteler les phrases pour que les jeunes puissent les répéter et pourquoi pas les appliquer. C’est ce pour quoi je rappe : les messages. Ils sont tous symbolisés par une seule phrase qui est la marque de notre label : « Le savoir est une arme ».

Il me semble néanmoins qu’il y a un décalage entre le travail pointu d’écriture de vos textes et la musique rap…

Médine : Ce sont les a priori sur le rap ! « C’est une musique violente, il n’y a pas de confort d’écoute, ça gueule, etc. » En réalité, les rappeurs sont les poètes d’aujourd’hui. Il y a des rappeurs sur la scène française qui écrivent des choses qui sont dignes de la poésie française. Je le dis sans aucune prétention. Si les jeunes aiment cette musique, il est important que les parents s’intéressent à celle-ci et comprennent pourquoi il y a tant de révolte et tant de rage. Si les gens se tournaient davantage vers le rap, ils retrouveraient les influences littéraires de l’époque de Jacques Brel, de Georges Brassens et de Renaud.

Votre prochain album s’intitule Arabian Panthers. Une fois de plus, vous faites une plongée dans l’Histoire.

Médine : Je fais référence aux Black Panthers. Mais je m’inspire uniquement de leur philosophie. Lors de ma tournée, je présenterai un programme en dix points, qui sont non pas un programme politique mais les dix priorités qui me semblent devoir être poursuivies. Par exemple, premier point, nous voulons l’enseignement de l’histoire de la colonisation au sein du programme scolaire. Autre point, nous voulons l’amélioration des conditions carcérales. Nous avons un rôle à jouer pour la réinsertion. Ne serait-ce qu’un concert, pour rencontrer les jeunes, les conscientiser. Autre exemple : nous voulons enrayer le processus de diabolisation des musulmans et des personnes des quartiers populaires. On va essayer de mener une campagne de communication « I’m muslim. Don’t panik » : j’aimerais fédérer d’autres artistes, qui sont dans le rap français et de confession musulmane, pour qu’ils développent ce slogan en actions, afin qu’il ne reste pas seulement à l’état de tee-shirt ou d’album.

Source : salamnews


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur