Points de vue

Médine et La Mecque : deux lieux saints sous le regard d’un pèlerin français (1/2)

Rédigé par Eliˈel Sulaymân | Mercredi 15 Mars 2023 à 11:00



© Eliˈel Sulaymân
Si La Mecque (Al-Haram) est un territoire rendu sacré par Allah dans le Coran, Médine est rendue sacrée par le Prophète, paix et salut sur lui. Dans ma visite en terre sacrée, je suis d’abord passé par Médine. En arrivant dans ce lieu saint, je fus d’abord surpris par l’accueil des Saoudiens. Bien que, de manière personnelle, je pourrais critiquer leur politique, on ne peut pas nier qu’ils portent un grand soin aux lieux saints, et permettent aux visiteurs et aux pèlerins de bien s’y sentir.

Médine est l’un des lieux les plus fréquentés au monde, et seule La Mecque la dépasse. Des millions de visiteurs y sont, et ce de manière permanente, jour et nuit, pendant toute l’année. Jamais il n’y a personne ; toujours, il y a des milliers de personnes. Et ce qui est surprenant, c’est que tout le monde est heureux. D’une certaine manière, Médine est la ville la plus heureuse du monde. Tous frères et sœurs. Et chacun sait pourquoi l’autre est là : pour les mêmes raisons que lui. J’y ai gouté un respect jamais égalé.

L’amour n’a pas de frontière ni de langage

Malgré le nombre faramineux de « cultures » différentes se retrouvant dans un et même lieu, le langage est le même, le regard est le même et l’intention est le même. Par conséquent, toute communication est compréhensible. Que cela soit un Anglais, un Pakistanais, un Chinois ou un Saoudien, notre cœur exalte le même amour. Et c’est cela qui m’a surpris le plus : l’amour n’a pas de frontière ni de langage. Et à Médine, on le vit !

Médine tient dans son sein le tombeau du Prophète, paix et salut sur lui, et surtout sa présence. En ce sens, Médine est un lieu de paix. Malgré le monde fou, l’une des masses les plus importantes du monde, malgré le bruit sans fin, les mouvements et les bousculades innombrables, la paix règne.

La temporalité à Médine n’a pas d’emprise sur nous. Quand on est dans la mosquée Ennabawi à Médine, qu’il soit 3h du matin ou midi, c’est pareil. Ce qui donne une temporalité à un lieu, c’est son cycle, mais à Médine, il n’y a pas de cycle temporel, car tout est en perpétuelle constance. C’est toujours le même temps. En ce sens, on peut se retrouver ou se perdre dans le temps. En revanche, notre amour ne se perd jamais. On retrouve cela également à La Mecque, et en plus fort. Non seulement nous pouvons nous perdre dans le sillage d’une temporalité journalière, mais on peut également se perdre dans le sillage d’une temporalité historique. Car, aujourd’hui ou il y a 1000 ans, ce qui se passe à Médine est le même. On n’est pas de « nouveaux » arrivants, on est seulement une continuité naturelle d’un mouvement sincère.

Lire aussi : A l'heure hégirienne - De l'exode physique à l'exode symbolique, un voyage perpétuel

Nous pouvons également retrouver cet aspect temporel dans l’architecture. Car la modernité et la tradition se mêlent en dévoilant à la fois le demain et le hier tout en étant maintenant. Il n’y a pas de tradition au sens strict, ni même de modernité au sens strict, il y a seulement la vie, son devenir, et ses causes. Je parlerai de cela plus précisément pour La Mecque, car c’est bien là qu’on peut comprendre pleinement le sens de la modernité dans notre monde. Et comme Allah ne crée rien en vain, la modernité prend son sens à la Kaaba.

Le Prophète, un Mystère dont une partie se dévoile à nous

Pour ce qui est de l’humanité à Médine, les gens s’y retrouvent avec un cœur apaisé. Seulement dans la Rawda qui renferme le tombeau du Prophète, il y a une véritable manifestation bestiale des gens. Mais il y a une raison à ces agissements et ses débords humains dans ces lieux saints sur laquelle je reviendrai. Partout ailleurs, c’est un lieu où la prospérité est reine. On s’y sent bien. On s’installe où l’on veut, on fait des prières où l’on veut, à haute ou à basse voix, rien n’est plus normal que cela. Les gens témoignent d’une grande générosité de manière spontanée et naturelle. Ils sont là pour exalter leur amour à travers la bonne action. Et on se sent en sécurité, car le Prophète est toujours là.

C’est là que j’ai compris une chose essentielle sur lui. Je comprends à quel point il est inaccessible. Je ne parle pas d’une accessibilité physique, mais plutôt spirituelle. Le Prophète est vraiment mystérieux, dans le sens où il est un Mystère divin. Quand on le salut, on peut sentir sa présence nous saluer à son tour. Et c’est là qu’on sent à quel point il est un Mystère. Une partie de son Mystère se dévoile à nous et il n’est plus une imagination, une pensée, une idée : il devient un homme qu’on a croisé, avec toute sa profondeur. Bien que théoriquement on sache qu’il est Prophète, c’est bien à cet instant qu’on pèse véritablement son statut. Ce n’est donc plus une théorie, mais un véritable dévoilement. Quelque chose se passe à cet instant, et selon notre degré spirituel, on peut déceler des choses à différents niveaux.

De toute évidence, Médine est une ville incroyable par son histoire, mais surtout par la présence qu’on y retrouve. C’est une ville qui nous change.

La suite du témoignage entièrement dédié à La Mecque est ici.

*****
Eliˈel Sulaymân est écrivain, poète et penseur soufi.

Du même auteur :
L’importance de l’esthétique dans la spiritualité islamique (1/2)
Pourquoi l’esthétique fait fondamentalement partie de la voie spirituelle (2/2)
Quand la musique classique devient une alliée de la spiritualité
L’égotisme, ce mal qui ronge la valeur de la responsabilité chez l’Homme