Un an après son investiture à Matignon, au moment où l´opposition qualifie son action de « casse sociale » et d'« échec économique », le Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, défend, dans une tribune du jeudi 17 avril dans huit quotidiens régionaux français, le bilan de la première année de son gouvernement.
Que faut-il attendre de ce plaidoyer ? Un peu de sincérité ? De la compassion ? La vérité ? Non, elle est trop complexe pour l´homme « moyen » et amèrement perceptible en ce moment : la conjoncture économique et l´environnement politique se dégradent, le chômage ne cesse de croître, la réforme des retraites accouche dans la douleur et la contestation des fonctionnaires, de même pour celle de l'assurance maladie ou de la rénovation de l'Etat... Amusons-nous donc un moment à pratiquer une exégèse littéraire des propos de M. Raffarin.
Critiquer...
Tout homme politique au pouvoir, et de ce fait naturellement de mauvaise foi, se sent irrésistiblement obligé, en situation de « crise », d'associer l´ensemble de ses déboires au gouvernement précédent. M. Raffarin ne déroge pas de ce « bon » droit. Il octroie une accablante responsabilité du « séisme politique » suscité par l´élection présidentielle de 2002 à son prédécesseur, Lionel Jospin, sans jamais citer le nom de ce dernier.
Notre Premier ministre en fonction dresse un tableau sombre du bilan « jospinien » : « certitudes », « assurances », « arrogances », « isolement », « esprit partisan », « politisation des affaires », promesses 'non tenues', réformes 'sans cesse reportées' ou aux effets 'opposés à leurs espoirs' comme les 35 heures. Nous avons donc le gouvernement approprié à la situation.
...Pour mieux se démarquer
Délicat travail rhétorique et prévisible qu´est cette combinaison sémantique du « thèse » - « anti-thèse » pour valoriser le peu de chose fait. En effet, M. Raffarin, après avoir convenablement « chargé » le gouvernement précédent, se démarque de celui-ci.
A l'inverse, il estime avoir, depuis qu'il est domicilié à Matignon, privilégié « l'action », « la confiance » dans les Français, « l'écoute » et le « respect de l'autre », un traitement des dossiers majeurs comme les retraites « sans attendre et avec courage », une « expression gouvernementale franche et directe » et « le langage de la vérité ». « Les Français ne supportent plus les 'en haut je sais, en bas je me tais'. Mon gouvernement a fait le pari de la confiance des Français. Il a multiplié les présences sur le terrain », insiste-t-il. Ne sentez-vous pas, chers lecteurs, l´émotion vous saisir ? Allez, une petite larme face à tant d´authenticité, faites un effort !
Et sinon, il en est où M. Raffarin ?
Lors de son entretien télévisé du 3 avril dernier sur France3 et diffusé sur France Info, Jean-Pierre Raffarin s'était efforcé de rassurer. « Il y a un pilote dans l'avion », avait-il assuré, précisant qu'il entendait mener « une bonne gestion de bon père de famille ».
Suite aux mauvaises estimations de croissance, initialement prévue dans le budget 2003 à 2.5%, estimations ramenées pragmatiquement à 1.3%, M. Raffarin qui admet un « ralentissement économique très fort » prévoit des « économies à l´Etat », sans préciser ses intentions sur les économies à réaliser dans sa tribune. Il expose seulement qu'il faudra « réformer » l'Etat, « en recentrant ses missions, en simplifiant ses procédures, en anticipant mieux l'avenir et en gérant mieux ses ressources humaines ». M. Raffarin, soyez plus explicite dans vos formules. Vos mesures ont l´apparence de plan d´austérité : gel des crédits dans la recherche, report de décisions concernant des investissements publics, suppressions d´emplois... Recruter des policiers (qu´il faudrait former) tout en supprimant des emplois de chercheurs et d´enseignants n´est pas « gérer les difficultés ». De même, réformer l´Etat ne consiste pas uniquement, comme vous le faites, à s´abstenir de remplacer les fonctionnaires qui partent à la retraite. Cela passe par une réflexion sur les missions et par une redéfinition de la manière de les remplir. Et cela coûte de l´argent.
Une politique économique originale
Paradoxalement, au moment où il faut faire des économies pour respecter les critères européens du pacte de stabilité (la France a franchi le seuil des 3% autorisés et se retrouve donc hors la loi), il réaffirme également qu´en matière fiscale, il continuera sa politique « dans le même esprit » : « Mon gouvernement baisse l'impôt des Français pour donner des forces à la France ». « Des forces à la France » !!!
Mais à qui profite donc cette baisse d´impôts M. Raffarin ? Cette mesure est d´abord favorable à vos clientèles: patrons de PME, les professions libérales à hauts revenus... Etes vous amnésique M. Raffarin ? Naïf ? Autiste ? Un minimum de culture économique fait que vous devriez savoir que les baisses d´impôts en faveur des plus aisés n´ont jamais suffi à relancer l´activité : il faut soutenir le pouvoir d´achat des smicards, des bas salaires. La masse des ménages anxieuse du fait de la remontée du chômage et de la multiplication des plans sociaux accroît son épargne : la consommation, principal moteur de la croissance, est en panne.
Le gouvernement sait bien que le chômage et la précarité vont s´étendre, mais c´est le prix à payer pour satisfaire leur clientèle. Alors, il faut persuader l´opinion publique de la légitimité de ses mesures : pour justifier le transfert des crédits de l´éducation et de l´aide sociale vers la police, on favorise la psychose de la délinquance. Pour aménager le terrain de la privatisation partielle des retraites, on grossit les craintes sur l´avenir.
Sachez bien, chers lecteurs, que ce message fataliste se donnant des allures de message de libération grâce à l´emploi d´une série de concepts lexicaux autour de l´idée de liberté, de dérégulation, de libération... tel que l´emploi abusif du mot « réforme » n´est, en fin de compte, que la tentative cynique d´endormissement de la « masse » de M. Raffarin, conservateur indubitablement illuminé par l´idéologie néo-libérale.