Psycho

Nafissa : « Avec mon mari, sa priorité pour tout, c'est sa mère, même en amour »

Rédigé par Lalla Chams En Nour | Vendredi 29 Mai 2020 à 11:32



Je suis mariée depuis quelques années avec l'homme que j’aime depuis mes 18 ans. Je me suis installée à ses côtés et j'ai deux enfants.

La première fois que je suis allée chez ma belle-mère, elle m'a reproché mon côté réservé à table devant tout le monde alors que je venais chez elle pour la première fois. La deuxième fois, elle a demandé à mon mari qui il aimait le plus et il a répondu qu'il aimait aussi bien elle que moi. Elle a été surprise, et elle a demandé s’il me tenait au même degré d'amour qu'il avait pour elle… bref, ma relation avec sa mère a débuté comme cela.

Avec le temps, lorsque j’étais enceinte de ma première, il m'a demandé d'aller plus souvent chez sa mère. J'y allais mais je ne me sentais pas bien. Alors les reproches ont commencé. Il me disait que je suis une femme froide, distante, etc.

Au moment de mon accouchement, mon mari relance le sujet de lui-même et me dit en gros qu'il aime en premier sa mère, et après moi et son enfant. J'étais choquée. Il m'explique que dans la religion (musulmane), le plus important et ce qui est prioritaire, c'est d'abord la mère, le père et ensuite la femme et les enfants.

J'ai même eu le droit à une petite histoire : Un jour, c'était la famine dans un village et le papa va chez ses parents pour y ramener de l'eau et de quoi manger mais personne n’est là. Alors il attend que ses parents arrivent et leur donne le tout. Il rentre ensuite voir sa femme et ses enfants pour ramener s'il reste quelque chose…

Nous avons beaucoup de discussions sans réponse à propos de ses priorités, selon la religion, et il m'a toujours dit « Prouve-moi par la religion » parce que, pour lui, la priorité pour l'amour, la priorité pour tout, c'est sa mère alors que sa mère a son mari et ils ne sont pas dans l'incapacité ni l’un ni l’autre. Pouvez-vous m'éclairer ?

Lalla Chams En Nour, psychanalyste

Chère Nafissa,

Comme je le précise souvent dans cette rubrique, mon registre n’est pas celui stricto sensu celui de la religion. Je suis psychanalyste, certes engagée spirituellement, mais je vous réponds sur ce plan.

La question posée par votre belle-mère à son fils devant vous est vraiment perturbante : cela signifie qu’elle met son fils au défi de ne jamais quitter sa mère. Et lui pense que c’est une vérité religieuse. Il me semble qu’il interprète très personnellement la recommandation religieuse d’honorer son père et sa mère.

« Vos enfants ne vous appartiennent pas », écrit le poète libanais Khalil Gibran, et selon moi il a entièrement raison. Nous mettons des enfants au monde pour qu’ils puissent prendre pleinement leur place dans la société, devenir autonomes, sur le plan social, financier et bien sûr psychologique. En vous bravant ainsi devant la famille, votre belle-mère entrave la liberté de son fils et elle le place dans une fausse loyauté qui menace l’épanouissement de la famille qu’il a choisi de fonder avec vous.

Notre famille de base est la matrice de notre développement, nous n’avons pas à nous sentir ligotés à vie par ces liens du sang. Mais regardez comment les mères oiseaux mettent leurs petits au défi de s’envoler et de se débrouiller par eux-mêmes ! L’autonomie des enfants ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas leurs parents. Votre belle-mère confond tous les plans et elle parle d’amour, alors qu’il ne s’agit pas d’amour mais de possession. Combien nombreuses sont les mères qui estiment que leur fils leur appartient ! Il y a dans ce domaine une vraie révolution à faire. Et combien de belle-filles ont souffert de cet abus caractérisé qui ruine les projets de construction d’une vie nouvelle ? Des milliers… et plus encore.

La meilleure réponse à apporter se trouve à mon sens dans l’interprétation que vous pourriez faire des versets du Coran sur le respect dû à ses parents. Le respect pour sa mère ou son père ne sont pas à mettre sur le même plan que l’amour d’un mari pour sa femme.
Et quel père pourra être l’homme qui ne sait pas mettre de limites à l’abus intrusif de sa propre mère ?

La réponse est la connaissance. Travaillez vous-même sur le texte sacré, lisez Le Prophète, ce livre précieux de Khalil Gibran (en poche, très accessible, l’un des plus grands succès mondiaux du 20e siècle). Parlez aussi avec un imam éclairé et vous pourrez trouver les arguments pour faire comprendre à votre mari que sa vision est très étroite, et qu’il n’a pas encore réalisé sa liberté d’être.

La rubrique « Psycho », qu’est-ce que c’est ?

Des psychologues et psychanalystes répondent à vos questions. Musulman(e)s du Maghreb ou de France, professionnel(le)s actif(ve)s exerçant en cabinet, ils réfléchissent à votre problématique et tentent de vous éclairer à travers leur expérience professionnelle et leur pratique spirituelle. Ils peuvent vous aider à y voir plus clair en vous-même ou à mieux décrypter le comportement des personnes de votre entourage.
Ils ne sont pas médecins, même si on les désigne parfois comme des « médecins de l’âme », mais leur rôle est de vous aider à trouver en vous-même la meilleure réponse à vos interrogations sur vos relations aux autres, votre conjoint ou conjointe, vos parents, vos frères et sœurs, vos amis, vos collègues de travail, vos voisins...
Alors, n’hésitez pas, interrogez-les, ils tenteront de vous répondre en s’éclairant des plus belles pensées de l’islam.
Contactez-les (anonymat préservé) : psycho@saphirnews.com