Politique

Nicolas Sarkozy à la reconquête de l'électorat musulman

Rédigé par | Jeudi 15 Mars 2012 à 12:22

Conscient que ses cinq années au pouvoir ont déçu la majeure partie de la communauté musulmane de France, Nicolas Sarkozy s'est lancé dans une grosse opération de séduction auprès des musulmans, entamée depuis plusieurs mois en souterrain avec le concours de son conseiller en charge de la diversité, Patrick Karam. Après son meeting de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, la visite cette semaine du président-candidat à la Grande Mosquée de Paris pour honorer la mémoire des soldats musulmans morts pour la France fut une occasion organisée d'apaiser ses relations avec la communauté musulmane après la polémique du halal, que l'UMP veut déminer à tout prix. Sarkozy peut compter sur ses comités de soutiens musulmans, qui ont décidément la mémoire bien courte.



Nicolas Sarkozy, entouré du président du CFCM Mohammed Moussaoui (à g.) et du recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur (à dr.).
Entre débats sur l’identité nationale, de la laïcité ou encore de la viande halal, le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ponctué par les bévues de ses ministres de l’Intérieur et marqué par la banalisation de l’islamophobie, ne s’oubliera pas de si tôt. Et pourtant, une partie des musulmans serait prête à refaire de nouveau confiance au candidat de l'UMP.

Après avoir reporté une première fois sa visite, le président-candidat s’est rendu à la Grande Mosquée de Paris mercredi 14 mars pour dévoiler, comme attendu, une plaque en hommage aux soldats musulmans morts pour la France pendant la première guerre mondiale (1914-1918).

Accompagné du ministre de la Défense et des Anciens combattants, Gérard Longuet, et du ministre de l’Intérieur chargé des Cultes, Claude Guéant, le chef de l'Etat a déposé une gerbe avant d'observer une minute de silence puis d'entendre La Marseillaise. Après cette courte cérémonie solennelle, Nicolas Sarkozy s’est entretenu avec le recteur Dalil Boubakeur, et le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Mohammed Moussaoui.

Une séance de rattrapage à la Mosquée de Paris…

« J’ai voulu rendre hommage au sacrifice de tous les musulmans morts pour la France (…) et dire à nos compatriotes de confession musulmane qu’ils ont naturellement le droit de vivre leur foi », a-t-il déclaré, appelant de ses vœux que « pendant cette campagne électorale, certains de nos compatriotes ne se sentent pas blessés par des polémiques qui n’ont pas lieu d’être. »

Un discours courtois destiné à clore le chapitre de la polémique sur la viande halal attisée par l’UMP et à laquelle le CFCM a déclaré avoir « tourné la page » à la suite de sa rencontre avec le Premier ministre le 8 mars. De son côté, Dalil Boubakeur a salué « un geste symbolique qui va droit au cœur des musulmans », un signe selon lui que « l'islam est aujourd'hui estimé ».

« Dans une France où les repères mémoriels ne laissent que peu de place aux sacrifices et contributions engagés par les musulmans de France, le CCIF ne peut qu’encourager les actes qui viseraient à réhabiliter une mémoire dissimulée », indique le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) sur son site, avant de tempérer qu’« en aucun cas ce geste ne doit masquer une réalité de fond où la stigmatisation des musulmans et l’islamophobie sont entretenues et excitées par des membres du gouvernement. (…) L’inauguration de cette stèle entre gens bienséants ne doit donc pas devenir un geste en trompe l’œil à l’égard des citoyens de confession musulmane. »

… précédée par le meeting de Villepinte

Le grand meeting de Villepinte dimanche 11 mars s'est révélé être pour l'UMP une étape clé dans la reconquête de l'électorat musulman, très présent en Seine-Saint-Denis. Et c'est le Canard enchaîné, dans son édition du mercredi 14 mars, qui révèle les dessous de la campagne sarkozyste.

Si M'hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93), dément l’affrètement par l'UMP de bus non mixtes pour les musulmans comme l'affirme le journal satirique, il nous confirme que des cars - une quinzaine pour le seul département du 93 - ont bien été réservés pour des associations musulmanes.

Il confirme également avoir été contacté par Patrick Karam, le chargé de la diversité pour Sarkozy, dès octobre 2011, pour « être mis en contact avec des mosquées et des associations musulmanes. En janvier, il est revenu pour nous demander d’organiser une démonstration de force avant les élections. Nous avons passé le message : beaucoup d’associations ont accepté de jouer le jeu. »

Une information confirmée par Patrick Karam, qui concède sans complexe l’existence de « 43 comités de soutien de Français musulmans en France. 220 responsables gérant des mosquées soutiennent Nicolas Sarkozy et au Bourget, nous avions 800 musulmans venus de la part des mosquées. » Malgré la polémique sur le halal, des dizaines de musulmans se sont ainsi rendus à Villepinte, sans doute après avoir pris connaissance des « dix bonnes raisons de voter contre Hollande », relayés ces derniers jours par textos et courriels au sein de la communauté.

Opération enfumage lancée, le PS hors jeu ?

Les raisons, en voici quelques unes : « 1) il veut légaliser le mariage homo (...); 2) il veut appliquer la loi de 1905 dans la Constitution pour étouffer les religions; 3) il est contre l’abattage rituel et la circoncision; 4) il s'oppose à la finance islamique; 5) il est franc-maçon pro-sioniste (...); 6) son pote, un déséquilibré ex-patron du FMI; 8) le PS veut interdire à la nounou de porter le foulard même chez elle ; 9) le PS me préfère immigré mais pas musulman. »

L'origine du texto n'a pas été déterminée mais les soutiens de Sarkozy ont voulu frapper fort, quitte à intégrer de faux éléments dans l'argumentaire. D'autant que le candidat Sarkozy est très loin d'être un défenseur des Palestiniens et des musulmans de France. M'hammed Henniche ne s'est, quant à lui, pas rendu au meeting de Villepinte, l'UAM 93 n'ayant pas vocation à donner de consignes de vote, explique-t-il. Une position similaire a été adoptée par le Conseil français du culte musulman (CFCM), rappelant en février que la communauté musulmane « est traversée par la pluralité politique ».

Au regard du passif de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, cette nouvelle stratégie de l'UMP, teintée de contradictions et d'une grosse pointe d'hypocrisie, n'est guère appréciée de tous. Lors de grandes échéances électorales, le clientélisme de la part des partis politiques est monnaie courante et pour le coup, l'UMP, agissant par opportunisme, ne s'en prive pas alors même qu'elle n'a cessé durant cinq ans de dénoncer le communautarisme en brandissant bien haut l'étendard de la laïcité. Les musulmans, on peut les stigmatiser pendant cinq ans mais on les aime quand l'heure du vote approche.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur