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Cinéma, DVD

Papicha, un hymne à la vie et à la liberté en Algérie

Rédigé par Karima Peyronie | Jeudi 10 Octobre 2019 à 11:10

           

Passé quasi-inaperçu à Cannes, Papicha est la révélation de cet automne, déjà acclamé par la critique. Il est même attendu aux Oscars ! Si l’Algérie, pour de mystérieuses raisons, a décidé de le censurer, il est bel et bien sorti en France mercredi 9 octobre, et se promet déjà de rencontrer un franc succès. Plus qu’un film, une rage de vivre à découvrir de toute urgence !



Papicha, un hymne à la vie et à la liberté en Algérie
Papicha ne peut pas vous laisser indemne ! De prime abord, en lisant le synopsis, on peut penser à un film sur la décennie noire algérienne des années 1990, ce qui aurait pu être déjà suffisant tant le devoir de mémoire sur cette période est totalement bafoué. Mais non, Papicha, c’est un hommage à l’Algérie, aux femmes, à la jeunesse, au patriotisme, à la cité, à la vie malgré tout !

On suit donc Nejma, une jeune étudiante qui rêve de devenir styliste et qui fera tout pour monter un défilé de mode en embarquant avec elle ses copines de galère. Alors que la situation socio-politique ne cesse de se dégrader en Algérie, on découvre avec compassion cette jeunesse tiraillée dans ses entrailles, ne pouvant faire le choix entre une lecture religieuse obscurantiste et leur liberté qu’elle pensait immuable.

Et puis, il y a une scène, que certains ne verront peut-être même pas, mais qui, pourtant, serait le parfait résumé prouvant qu’il est impossible de faire une lecture binaire de cette œuvre : Nejma, la fougueuse et l’insoumise, rend visite à sa mère. Et alors qu’elles refont le monde, elle endosse sa robe de maison et se met à laver à grandes eaux le sol du patio. Ce geste anodin, un instantané de vie, et qui en dit tellement long sur cette dualité. Nejma est une héroïne des temps modernes, boulimique de liberté, sans pour autant vouloir se couper avec ses valeurs culturelles transmises. Une contradiction réductrice si on devait y poser un regard occidental. Une affection bienveillante lorsque l’on connait le Maghreb, comme si cette héroïne pourrait être cette petite sœur que l’on ne voudrait pas voir grandir trop vite.

Fiction ou réalité ?

Papicha est un chef d’œuvre de justesse dans toute la complexité qu’elle dresse : résister ou survivre ? Sous une trame de fiction, c’est pourtant bien des bribes de ses propres souvenirs que la réalisatrice Mounia Meddour dépeint de ses années fac. Elle-même a vécu l’exil durant la guerre civile puisque son père faisait partie des intellectuels menacés de mort.

On comprend alors Papicha comme le fantasme de Mounia : et si elle était finalement restée ? Et si elle avait pu tenir tête, jusqu’à quel prix ? Et si, et si… Pas de temps pour les regrets, pour le passé… Vite vite, cette urgence de vivre et on reprend le rythme effréné, on se surprend même à rire aux éclats. Les larmes coulent, on ne sait plus trop pourquoi. Le spleen d’une Algérie haletante ? La douleur d’une cicatrice encore en feu ? La candeur de cette bande de filles avec qui on a juste envie de chanter et danser ? La beauté d’Alger qui se fait muse de jour comme de nuit quelque part entre Hydra et la Casbah ? La poésie de ces visages de poupée qui frôlent la caméra se transformant devant nos yeux en de véritables guerrières ? Cet humour qui teinte chaque dialogue, la signature symptomatique d’un peuple en souffrance ?

Une explosion de sentiments antagonistes surprend le spectateur, tenu en haleine jusqu’au bout. On se lie d’attachement et presque d’amitié pour chacune de ces filles qui, à aucun moment, ne sombre dans la caricature facile. Une mention toute spéciale pour Lyna Khoudri et Shirine Boutella qui crèvent l’écran dans cette complicité qu’on imagine même hors caméra.

Fiction ou réalité ? Peu importe, on y croit et surtout on sait, dans notre âme et conscience, que ces deux jeunes actrices viennent de signer là des carrières plus que prometteuses, et… primées. Du moins, il ne peut en être autrement !

Et puis, forcément, parce que le film est criant de réalisme, lorsque la séance s’achève, on ne peut que penser à cette même jeunesse qui vibre encore aujourd’hui. Cette révolution qui garde le sourire mais qui souffre, qui bat le bitume avec la même gravité et frivolité que Nejma, Wassila, Samira et Kahina.

Parce que le spectre du basculement religieux n’est jamais très loin, ce film est d’une nécessité socio-politique absolu : ne jamais oublier ce qu’il s’est passé pour ne plus jamais y re-goûter. Pour que les 150 000 morts et ses milliers d’exilés ne soient pas partis pour rien, mais bien pour laisser une Algérie digne et puissante dans ce qu’elle a de plus précieux : sa liberté !


Papicha, de Mounia Meddour
France, Algérie, Belgique, Qatar, 1h45
Avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda
Sortie en salles le 9 octobre 2019

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