Société

Paris rend hommage au poète et universitaire Mahmoud Azab

Rédigé par | Samedi 12 Juillet 2014 à 06:00

L’émotion fut vive lors de la soirée d’hommage rendu ce samedi 5 juillet, en mémoire au Pr Mahmoud Azab, terrassé par une crise cardiaque le matin du 29 juin, au Caire. Celui qui a exercé ces trois dernières années la fonction de conseiller pour le dialogue auprès du grand imam d’Al-Azhar, en Egypte, est surtout reconnu, par ses proches et ses collègues qui le connaissent de longue date en France, d’abord comme « un homme de poésie », « proche du peuple », et « un universitaire pédagogue ».



Ne cachant par leur peine d’avoir appris le brusque décès de Mahmoud Azab, nombreux ont été ceux qui ont tenu à lui rendre hommage, par missives pour ceux qui n’ont pu se déplacer ou à la tribune, installée à l’Espace Le Scribe-L’Harmattan, notamment André Bourgey, Régis Morelon, Pierre Lory, Yahya Cheikh, Raïs Hocine...
« Avez-vous déjà vu Mahmoud porter un costume ? », lance, telle une boutade, Osama Khalil, le responsable de l’Espace Le Scribe-L’Harmattan, co-organisateur avec l’Institute for Epistemological Studies (IESE), de l’hommage rendu samedi 5 juillet au Pr Mahmoud Azab. « Non », dodelinent les quelque 40 personnes venues assister à l’hommage. La plupart sont des professeurs, des amis intimes venus témoigner de leurs moments passés avec Mahmoud Azab, quelques anciens élèves également, devenus à leur tour enseignants.

L’absence de costume est à l’image du personnage, pourtant érudit mais toujours décontracté, prêt à lancer une blague. « Sa capacité à avoir de l’humour était tellement prégnante chez lui ! », se souvient Pierre Lory, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE). « Les Égyptiens ont un sens immense de l’humour, mais chez Mahmoud, c’est presque une attitude théologique ! », qui témoigne de « sa philosophie de vie, selon laquelle qu’elle que soit la souffrance que l’on rencontre, on demeure en surplomb et peut voir au-delà ». À tel point qu’Ayyoub, un ami chrétien orthodoxe qui a voulu rester discret lors de cette rencontre, a raconté, en guise d’hommage, une blague mettant en scène un prêtre et un imam que lui racontait souvent son ami Mahmoud, qui « venait tous les ans partager la fête de Noël, Pâques… ».

« C’était une très belle âme »

Le dialogue interreligieux était presque une seconde nature, comme ont voulu le souligner Khaled Roumo et Myriam Bouregba du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC). Un dialogue empreint d’ouverture et de respect : « En discutant avec Mahmoud, je suis devenu plus chrétien ; et en parlant avec moi, il est devenu plus musulman », estime Régis Morelon, spécialiste de l’histoire des sciences arabes et ancien directeur de l’IDEO, au Caire, de 1984 à 2008. « On était amis depuis 20 ans, il venait souvent à l’Institut pour échanger et dire ce qu’il pensait et ne pouvait parfois pas exprimer aussi facilement ailleurs… »

« Mahmoud était un modèle de travail, un modèle d’amitié », complète Pierre Lory. « Il n’était pas un doctrinaire : il intervenait pour éclairer le débat. J’ai été frappé par son volonté d’aider les étudiants à forger leur propre opinion », souligne-t-il. « Un excellent pédagogue » est l’une des qualités évoquées à maintes reprises dans les témoignages. « Il ne cessait d’enseigner partout où il passait (les cafés, le métro…) », raconte Yahya Cheikh, professeur d’arabe en écoles de commerce et à Sciences-Po Paris. « Il enseignait la tolérance, son amour pour les études arabes, le soufisme… Sa polyvalence lui a permis d’enseigner à al-Azhar, avec des qualités de ce qu’il y a de plus oriental : la générosité, la disponibilité… »

Cet ouvrage sur l'interprétation du sens du Coran, publié en 2006 en Egypte, est l'un des écrits de Mahmoud Azab, que Yahya Cheikh, professeur d'arabe, souhaite traduire et faire mieux connaître auprès du grand public.
Sa biographie et sa bibliographie complètes restent à rédiger. C’est ainsi qu’au cours de la soirée ses amis même les plus proches ont découvert sa multiple implication dans les comités scientifiques de revues et les conseils d’administration de différents instituts de recherche. Alain Léger, président du Centre civique d’étude du fait religieux (CCEFR) rappelle que Mahmoud Azab partageait les convictions humanistes de Mohammed Arkoun, fondateur du CCEFR, où il assurait régulièrement des conférences : « Il avait une approche libre de l’islam, nous perdons un homme délicat et généreux. »

« Cet homme dynamique, d’une culture extraordinaire, défendait non pas l’authenticité de l’islam mais l’apport civilisationnel de l’islam », renchérit Raïs Hocine, directeur des affaires culturelles de la Grande Mosquée de Paris, qui déclare l’avoir « côtoyé pendant 35 ans » et « invité de nombreuses fois comme conférencier ».

« Ancré dans l’islam pour aller vers l’autre »

« Mahmoud Azab se considérait d’abord comme un poète et regrettait que son travail académique ait pris tant le dessus », relève toutefois Beddy Ebnou, directeur de l’IESE. « Sa particularité est d’être un musulman pratiquant, à bien des égards, classique et, en même temps, capable d’engager des échanges extrêmement ouverts dans les aspects les plus délicats, en sachant créer des passerelles de débats. Il était suffisamment ancré dans l’islam pour aller vers l’autre. Il était en communion avec les gens de différentes religions. »

C’est ainsi qu’il a apporté son concours dans la traduction du Coran réalisée par André Chouraqui, membre fondateur de la Fraternité d’Abraham, témoigne Émile Moatti dans une lettre-hommage envoyée depuis Jérusalem.

Ou bien encore, au moment de la révolution égyptienne, c’est en tant qu’imam que Mahmoud Azab dirigea une prière œcuménique sur la place Tahrir…

Beddy Ebnou (à g.), directeur de l'IESE, et André Bourgey, ancien directeur de l'INALCO, rendent hommage à Mahmoud Azab.
La « précieuse contribution au dialogue entre les religions et les cultures » de ce « grand intellectuel, docteur en études sémitiques de la Sorbonne, (qui) a formé des générations de jeunes français à la langue et la civilisation arabes » a été saluée par voie de communiqué par le ministère des Affaires étrangères, le 29 juin. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur en charge des cultes, n’a pas manqué, lors de son discours à l’iftar organisé par la Grande Mosquée de Paris le 7 juillet, de citer ce « grand érudit », « une voix écoutée d’un islam de tolérance, de sagesse et de modération », qui affirmait que « les religions devaient définir ce qu’était l’extrémisme pour pouvoir ensemble lutter contre lui ».

Pour mieux faire connaître son œuvre à la fois poétique, littéraire et universitaire, ses amis, avec l’aide de sa famille, comptent publier les différentes interventions du Pr Mahmoud Azab et également traduire ses recueils de poèmes. Sans oublier que Mahmoud Azab était aussi un militant, notamment « pour la Palestine », se souvient Tayeb Ould Aroussi, ancien directeur de la bibliothèque de l’Institut du monde arabe, qui n’a pu cacher son émotion face à la disparition de son « grand frère, connu en 1982 ». « Bouleversé par la mort de Mahmoud Azab », André Bourgey, ancien président de l’Institut national des langues et civilisations orientales qui « l’avait recruté » comme professeur d’islamologie, annonce qu’« une cérémonie sera organisée » à l’INALCO en septembre prochain.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur