Un sondage Ipsos de 2021 montrait que, pour 21 % des personnes interrogées, les Juifs avaient trop de pouvoir dans la finance, les médias ainsi que dans la politique. Comment expliquez-vous que de tels clichés subsistent encore aujourd'hui ?
Patrick Klugman : Ils subsistent parce qu'on est dans une époque qui est plus prompte que jamais aux amalgames, aux raccourcis et aux fantasmes. C'est ce qu'on appelle vulgairement le complotisme. La première ressource intellectuelle du complotisme, la plus ancienne, la plus vulgarisée, c'est le fantasme qui s'attaque à prêter aux juifs un pouvoir surnaturel ou extraordinaire, à être surreprésentés dans des domaines clés, à s'entendre au détriment d'autres, etc. Le cliché que vous me citez donc à travers ce sondage est le plus ancien cliché antisémite que l'on retrouve après sous différentes formes ou expressions politiques souvent peu amicales à l'endroit des Juifs.
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Si on continue avec les sondages, plus d'un tiers des Français affirmait récemment ne pas savoir véritablement ce que représentait l'antisionisme. Autour de cette question, en apparait une autre. Comment pouvez-vous faire comprendre à ceux qui nous écoutent qu'il est possible de critiquer la politique du gouvernement israélien sans être accusé de manière systématique d'antisémitisme ?
Patrick Klugman : C'est une question très piégeuse et très piégée. Il faut l'entendre de trois manières pour faire simple. Le sionisme est un mouvement idéologique qui consiste à dire, selon l'expression originelle au 19e siècle, qu’il y a « un peuple sans terre pour une terre sans peuple ». Nous savons aujourd'hui que ce peuple n'était pas totalement sans terre, parce que les Juifs étaient disséminés dans beaucoup de pays à travers le monde, et qu'il y avait différentes populations, notamment ceux que l'on appellera plus tard les Palestiniens à cet endroit-là (dans l’actuel Etat d’Israël).
Il y a eu ce projet politique, le sionisme, qui a été formulé à la fin du 19e siècle et qui accouche d'un État, Israël, créé en 1948. Il y a toujours eu, parmi les Juifs et parmi d'autres, des gens qui sont radicalement opposés à ce projet politique qui est de donner un État aux juifs à cet endroit-là. C'est une position antisioniste, qui était à la base une position intellectuelle issue de la communauté juive disant « Non, on préfère l'intégration dans les sociétés occidentales à un projet propre au Moyen-Orient ». C'est un débat au sein des communautés juives. Depuis ce débat est, me semble-t-il, largement dépassé puisque l’État d'Israël est une réalité politique. La politique de cet État est contestée tous les jours, en premier lieu par sa population. Parce que, quoi qu'on dise ou qu'on pense de l'État d'Israël, le système démocratique politique fonctionne à peu près bien avec des élections très régulières. C'est même une démocratie qui connaît le plus échéances électorales. Donc, la critique se fait et s'opère dans les médias très facilement, et parmi la population israélienne.
Il y a eu ce projet politique, le sionisme, qui a été formulé à la fin du 19e siècle et qui accouche d'un État, Israël, créé en 1948. Il y a toujours eu, parmi les Juifs et parmi d'autres, des gens qui sont radicalement opposés à ce projet politique qui est de donner un État aux juifs à cet endroit-là. C'est une position antisioniste, qui était à la base une position intellectuelle issue de la communauté juive disant « Non, on préfère l'intégration dans les sociétés occidentales à un projet propre au Moyen-Orient ». C'est un débat au sein des communautés juives. Depuis ce débat est, me semble-t-il, largement dépassé puisque l’État d'Israël est une réalité politique. La politique de cet État est contestée tous les jours, en premier lieu par sa population. Parce que, quoi qu'on dise ou qu'on pense de l'État d'Israël, le système démocratique politique fonctionne à peu près bien avec des élections très régulières. C'est même une démocratie qui connaît le plus échéances électorales. Donc, la critique se fait et s'opère dans les médias très facilement, et parmi la population israélienne.
Donc il y a la possibilité de critiquer l’État, la politique de l’État d'Israël ?
Patrick Klugman : Il y a même au Parlement israélien, à la Knesset, des députés communistes ou des députés arabes qui sont sur une ligne antisioniste. On a quand même ce système politique là-bas qui a cette originalité.
Là où les choses sont un peu différentes, c'est qu'après la Seconde Guerre mondiale, après la Shoah, l'antisémitisme, notamment dans nos pays, en France, est devenu une abomination. Même les gens qui ont de forts ressentiments à l'endroit des juifs n'osent plus l'exprimer en tant que tels. Souvent donc, on a vu une opinion radicale ou haineuse à l'endroit des juifs, de leur communauté ou de ce qui est leurs symboles, des synagogues, des lieux de vie, des établissements juifs, s’exprimer en disant « Mais non fait, on n'est pas antisémite, on est antisioniste ». C'est là où la confusion s'opère, parce quen dès lors qu'on attaque des juifs en France par une prétendue ou réelle détestation de l’État d'Israël, on est bien dans l'antisémitisme. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un antisionisme qui soit intellectuel, géopolitique, et qui ne soit pas antisémite. Mais on voit quand même que la plupart des manifestations antisémites sont sous couvert d'antisionisme. Il faut distinguer les mots, les concepts et leur application.
NDLR : Patrick Klugman fait partie des signataires d’une pétition dénonçant le récent rapport d’Amnesty International accusant Israël d’avoir mis en place « un système d’apartheid ». Une accusation aussi portée par l'ONG israélienne B'Tselem.
Là où les choses sont un peu différentes, c'est qu'après la Seconde Guerre mondiale, après la Shoah, l'antisémitisme, notamment dans nos pays, en France, est devenu une abomination. Même les gens qui ont de forts ressentiments à l'endroit des juifs n'osent plus l'exprimer en tant que tels. Souvent donc, on a vu une opinion radicale ou haineuse à l'endroit des juifs, de leur communauté ou de ce qui est leurs symboles, des synagogues, des lieux de vie, des établissements juifs, s’exprimer en disant « Mais non fait, on n'est pas antisémite, on est antisioniste ». C'est là où la confusion s'opère, parce quen dès lors qu'on attaque des juifs en France par une prétendue ou réelle détestation de l’État d'Israël, on est bien dans l'antisémitisme. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un antisionisme qui soit intellectuel, géopolitique, et qui ne soit pas antisémite. Mais on voit quand même que la plupart des manifestations antisémites sont sous couvert d'antisionisme. Il faut distinguer les mots, les concepts et leur application.
NDLR : Patrick Klugman fait partie des signataires d’une pétition dénonçant le récent rapport d’Amnesty International accusant Israël d’avoir mis en place « un système d’apartheid ». Une accusation aussi portée par l'ONG israélienne B'Tselem.
On voit aujourd'hui l'émergence d'un personnage, Eric Zemmour, qui réhabilite Pétain, minimise la réalité de la participation du régime de Vichy aux déportations de Juifs et contribue à la banalisation de l'antisémitisme d'extrême droite. Comment peut-on faire pour contrer ce genre de discours ?
Patrick Klugman : Là, on est quand même au milieu d'un cauchemar parfait que même Philip Roth ou Woody Allen, qui ont beaucoup écrit sur la forme parodique ou exagérée, n'auraient pas imaginé. On a un prétendu historien, parce que Eric Zemmour est un essayiste ou un pamphlétaire qui se prétend historien, d'origine juive, qui se dit juif, qui va même à la synagogue et qui vient réécrire les épisodes les plus tragiques, les plus constatés de l'antisémitisme en France. C'est donc le seul homme public qui dise que l'on n'est pas sûr que Dreyfus était bien innocent. Il va effectivement revenir sur la responsabilité notoire du maréchal Pétain dans la politique de persécution et d'extermination des Juifs du régime de Vichy, en disant que « Pétain a protégé les juifs français », ce qui est une abomination.
Eric Zemmour nie également la réalité même des crimes commis le 17 octobre 1961…
Patrick Klugman : En fait, Eric Zemmour a une cohérence. Il est passionnément d'extrême droite, donc il reprend tous les épisodes tragiques, affreux de notre histoire, qui ont été marqués par l'extrême droite. En l’occurrence, le 17 octobre 1961, l'extrême droite n’était pas au pouvoir. C'est le préfet Papon, qui s'était illustré sous Vichy, qui va jeter des opposants algériens qui manifestent dans la Seine. C'est quand même un crime de masse, un massacre qui n'a jamais été jugé. Et encore une fois, Eric Zemmour vient nous dire « Bah non en fait… ». Je ne sais même pas ce qu'il raconte, mais c'est toujours la même histoire. Ce qui est grave ne l'est plus. Ce qui est épouvantable a des raisons d'être.
En fait, il réécrit tout simplement l'histoire d'une manière anti-républicaine. Quelle que soit son origine, c'est un homme d'extrême droite qui réécrit l'histoire de France à la manière de l'extrême droite, alors que l'extrême droite française est dans une époque de dédiabolisation. Lui il re-diabolise à l'extrême, en disant que « c'était bien comme on vous l'a expliqué, sauf qu'on avait bien raison de le faire comme ça ». C'est une réécriture, tout simplement par l'extrême droite, de l'histoire républicaine.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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