Points de vue

Pèlerins musulmans, contribuez à faire cesser le massacre au Yémen !

Rédigé par | Vendredi 5 Avril 2019 à 11:12



Nous sommes à environ quatre mois de la période (du 8 au 13 du mois de Dhul-Hijjah selon le calendrier islamique) du grand hajj (pèlerinage) que les musulmans effectuent chaque année en terre sainte dans la péninsule arabique. La religion islamique a aussi institué un petit pèlerinage (omra), que le musulman effectue à loisir durant toute l’année.

Le nombre des candidats au grand pèlerinage est tellement grand que les autorités Saoudiennes qui dirigent le pays où se trouvent les lieux saints islamiques ont institué le système d’un quota pour chaque pays pour réguler ce flux croissant de candidats au grand pèlerinage. Il va sans dire que ce flux incessant et intarissable de musulmans qui pieusement aspirent de s’acquitter de leur devoir envers Dieu draine des ressources financières importantes au profit de l’Etat saoudien qui administre ces lieux saints.

Un massacre aveugle commis par des pays frères des victimes

Au sud de la même péninsule arabique, non loin de ces lieux saints où toutes les âmes musulmanes souhaitent ardemment à accomplir leur devoir religieux, il se trouve un petit pays tout autant arabe et islamique que l’Etat qui abrite les lieux saints. Il s’agit du Yémen, que le monde entier connait à cause du massacre systématique de civils innocents entrepris depuis plusieurs années par une coalition de pays, que dirige le régime saoudien, disposant d’une armada gigantesque que leur fournit les Etats-Unis et l’Europe.

Il s’agit d’un massacre aveugle orchestré par des pays frères des victimes car, en islam, la fraternité par la religion est indissoluble quelque soit le motif. Bien plus encore que ces liens de l’islam, il y a la fraternité arabe ; ce lien ethnique dont les arabes sont fiers au point d’en faire un nationalisme infranchissable et indestructible, toutefois, seulement dans leurs discours dans les forums internationaux, régionaux et locaux. La preuve en est ces guerres récurrentes qu’ils se livrent quasi incessamment.

Une manne financière qui alimente une machine de guerre

Les médias se font l’écho de ces massacres et nous en rapportent de désolantes images de destructions, de ravages, de ruines et surtout d’enfants, de femmes et d’autres personnes dans des conditions de faiblesse effroyable subissant non seulement les affres de la guerre, mais aussi son corollaire de maladies, de famine, de déplacements forcés... Des corps squelettiques, des ventres enflés, des yeux exorbitants, bref des situations de détresse insoutenable et effrayante peuplent les informations que livrent les médias sur ce pays.

A la vue de ces clichés insupportables mais qui sont la réalité quotidienne de populations arabes et musulmanes, les musulmans et les musulmanes qui aspirent à accomplir le cinquième et dernier pilier de leur religion pour boucler la boucle de la piété, les yeux larmoyants et le soupir incessant, lèvent les mains au ciel et prient pour que le massacre d’enfants et de civils en général cesse. Ils implorent avec une piété sincère et intense l’intervention d’Allah pour qu’un terme soit mis à cette tragédie. Ils invoquent le même Dieu qu’eux, les bourreaux et les victimes prient cinq fois par jour et invoquent à longueur de leur quotidien. Et avec la même ferveur, ils formulent aussi le vœu qu’Allah exauce leur souhait ardent de leur permettre de se rendre aux lieux saints. Un pèlerinage, qu’il soit le petit ou le grand, qui leur coûte quand bien même une coquette somme qui, pour certains, n’est réunie que moyennant un effort d’économie peu soutenable.

Ces pèlerins réels et potentiels ont-ils conscience du bénéficiaire des frais qui leur coûte la réalisation de leur vœu ? Savent-ils que ce qu’ils dépensent pour accomplir leur rite alimente la machine de guerre qui broie des vies innocentes au Yémen ? Bien mieux sont-ils conscient du poids politique et financier que leur acte représente dans la balance entre la paix et la guerre dans le Yémen ?

S'abstenir d'accomplir un pèlerinage au nom de la justice

Il est temps que toutes les forces vives et humanistes de l’islam se donnent la peine par tout moyen que leur offre la modernité et aussi la tradition de réveiller cette conscience qu’une orthodoxie dominante a fait entrer dans un coma profond. Il est temps que les musulmans candidats au pèlerinage (petit ou grand) sachent que l’effort financier qu’ils consentent à coûts de sacrifices pour se rendre aux lieux saints, alimente cette machine de guerre qui fauche, quotidiennement et indistinctement, les musulmans yéménites.

Il est temps qu’ils comprennent qu’en s’abstenant d’accomplir ce rite, ils privent l’Etat saoudien qui s’est arrogé le droit d’être le gardien des lieux saints de l’islam, d’un apport financier considérable et d’un poids politique déterminant. Ne pas se rendre au pèlerinage grand ou petit, pour signifier à cet Etat belliqueux notre refus de ce massacre de yéménites qui sont nos coreligionnaires et, par conséquent, nos frères en Allah, n’est pas un manquement à une obligation religieuse mais, au contraire, dans le contexte de cette guerre injuste, un devoir sur lequel le Saint Coran et la Sunna prophétique nous enjoignent d’observer scrupuleusement. Allah ne nous dit-Il pas que, si deux parties musulmanes se font la guerre, battez-vous contre celle qui est injuste jusqu’à ce qu’elle se soumette à l’ordre d’Allah ? Notre Prophète n’insiste-t-il pas pour que le musulman lutte contre l’injustice, le mal et tout ce qui est blâmable par tous les moyens : si possible par l’acte, sinon par la condamnation verbale et enfin, en cas d’impuissance par le cœur en sympathisant avec la victime ?

Par ailleurs, la doctrine musulmane place le devoir du pèlerinage au cinquième rang en le distinguant des autres devoirs à caractère absolument obligatoire en assortissant son accomplissement de la condition de possibilité. Or, dans le contexte d’une agression avérée menée par un Etat abritant les lieux saints sur un peuple musulman faible, il semblerait que la dérogation à ce devoir utilisée comme moyen de faire cesser cette agression, deviendrait une opportunité dont tout musulman devrait s’en servir pour contribuer à faire cesser le massacre de populations musulmanes par un régime se proclamant leader de la religion islamique.

Unissons nos volontés et nos efforts en privant le régime saoudien de la manne financière que le pèlerinage lui procure pour financer une guerre injuste et illégitime et de notre soutien politique que nous lui offrons indirectement en se rendant, à longueur d’année, dans son pays. Ce serait le meilleur et le plus efficace moyen de lui signifier notre refus des massacres qu’il perpètre contre nos frères musulmans.


Ahmed Abdouni est un ancien diplomate marocain. En savoir plus sur cet auteur