Points de vue

Peut-on converger au-delà de nos différences ?

Rédigé par Omero Marongiu-Perria | Vendredi 1 Janvier 2016 à 12:00



L'un des aspects positifs de la période consécutive aux attentats du 13 novembre réside dans l'immense travail de terrain accompli par les musulmans, depuis leur ancrage local jusqu'au plan national. Quelques heures à peine après la triste nouvelle relatant le nombre des victimes, les prises de position se multipliaient, puis les hommages comme les recueillements sur les lieux des attentats.

Moins d'un an après les attentats qui ont touché le siège du journal satirique Charlie Hebdo et l'Hyper Casher à Paris, les musulmans ont certainement vécu ces derniers attentats au plus profond de leur chair. Je passe sur les inepties entendues dans la bouche des politiques et de certains intellectuels habitués à pourfendre le musulman à longueur de journée. Le nombre de rencontres entre musulmans et non musulmans, de mosquées ayant ouvert leurs portes à plusieurs reprises au grand public, de prises de position à travers de communiqués et dans les médias locaux et régionaux, et les milliers de messages de compassion qui ont circulé sur les réseaux sociaux sont là pour prouver, simplement, que les musulmans ont été particulièrement meurtris.

Dans la foulée des mesures sécuritaires prises par le gouvernement, on s'aperçoit également de toute l'ampleur des dégâts commis par les perquisitions qui, sous couvert de l'état d'urgence, ont purement et simplement ciblé des citoyens suspectés, principalement, sur la base de leur islamité jugée par trop radicale.

J'ai eu maints débats sur ce point, depuis le début des perquisitions, avec des amis, de coreligionnaires et des personnes qui, à chaque fois, usent du même argument : « Tu es bien gentil, Omero, mais on a retrouvé des choses concrètes chez ces gens, la preuve chez un tel et chez tel autre. » A cet argument, je réponds tout simplement par quelques questions : quelle est la réalité des faits avancés par les forces de l'ordre et le ministère de l'Intérieur, alors même que les informations annoncées à la suite de l'assaut de l'appartement situé à proximité du Stade de France se sont avérées délibérément fausses ? Qu'a-t-on retrouvé, au juste, chez les gens en question ?

Et même si une partie des perquisitions était justifiée, devait-on passer par l'instauration de l'état d'urgence pour les conduire, sachant que bien des personnes aujourd'hui assignées à résidence exercent une activité professionnelle et étaient déjà connues par les services de police sans être autrement inquiétées ? Je pense qu'à force d'avaler les couleuvres les unes après les autres, même les acteurs associatifs musulmans estampillés comme étant plus « modérés » ont commencé à monter au créneau pour défendre leurs coreligionnaires.

Deux leviers à défendre pour le vivre-ensemble

Il y a deux choses que je voudrais mettre en avant, ici, elles représentent à mes yeux deux leviers charnières d'une progression des musulmans français vers des convergences de lutte pour la défense du vivre-ensemble dans le pays des Lumières – j'emploie le terme à dessein –, le respect des libertés individuelles et l'instauration d'un débat intracommunautaire serein.

La première résulte d'une interrogation introspective à la suite des critiques, virant parfois au dénigrement gratuit, portées à l'encontre de prédicateurs et d'imams rangés d'une façon triviale dans la case des salafistes. L'épisode relatif à l'imam de Brest a été comme un catalyseur : finalement, est-ce que nous tentons, tant bien que mal, entre musulmans, de faire perdurer la tradition du bon conseil ? J'entends par là le fait d'avoir une approche bienveillante – que je différencie clairement de la naïveté – vis-à-vis de coreligionnaires, y compris des personnes en situation de prise de parole publique, afin de se corriger mutuellement, au-delà des divergences d'approche en matière théologique comme des affaires du monde.

Depuis trop longtemps, les leaders comme les acteurs associatifs musulmans, dans le champ français, ne cessent de s'affronter au nom de leurs différences, en prétendant tous posséder, in fine, la Vérité, la vraie et l'unique clef de lecture de l'islam. De fait, ils s'inscrivent tous à des degrés divers dans ce que j'appelle le « paradigme hégémonique », les conduisant à poser le principe que le musulman divergent est la source des problèmes de la communauté.

Le devoir de tenir compte de l'histoire

La deuxième chose à mentionner, dans la suite logique de la première, concerne la connaissance de l'autre ; là aussi, l'absence d'une « mémoire collective » partagée conduit trop, vraiment trop de militants à évaluer le monde et leur environnement à l'aune du prisme réducteur de leur appartenance idéologique, sans même tenir compte de l'histoire dans laquelle ils s'inscrivent comme de la réalité et du background des autres acteurs musulmans. Cela les amène à plaquer sur leurs coreligionnaires des représentations parfois fantasmées, souvent péjoratives, lorsqu'elles ne se transforment pas en dénigrement pur et simple.

Nous sommes tous le produit d'une histoire personnelle, d'une éducation familiale et de notre socialisation au sein de groupes divers et variés ; les acteurs musulmans mériteraient à faire connaître leur parcours de vie militante, avec leurs continuités et leurs ruptures, ne serait-ce que pour démystifier l'idée d'une continuité irréductible des identités musulmanes sur le long terme et d'un islam qui annihile fondamentalement toute pensée critique subjective.

Partant de là, peut-être, pourrons-nous enfin parvenir, dans l'intracommunautaire, à installer un cadre de débat sain, dans lequel les confrontations d'idées pourront être des plus acerbes sans que l'on soit obligé, pour appuyer un argument, de porter des attaques ad hominem. Deux jalons pourrons nous y aider ; le premier consiste à recentrer notre réflexion sur la façon dont, à partir d'un ancrage musulman et occidental, nous pensons l'unité de l'homme dans la diversité des sociétés humaines, ce qui n'est pas une mince affaire, surtout si l'on ne rompt pas avec une approche hégémonique de la relation à l'autre, même entre musulmans.

Le second renvoie aux types et aux modalités des débats intracommunautaires ; la dimension affective, à ce plan, a pris une telle ampleur qu'il suffit de peu de choses pour que des musulmans diffusent, en boucle, tout et n'importe quoi comme information, à charge comme à décharge des individus visés, sans même prendre le temps de vérifier un tant soit peu le sérieux et la probité de ce qu'ils propagent. Il ne s'agit pas ici d'une énième leçon de morale ni d'une quelconque autojustification ; nos références théologiques suffisent comme mise en garde eschatologique. Peut-être, là aussi, les acteurs musulmans gagneraient à rompre avec la spirale médiatique qui les poussent, à outrance, à réagir à chaud sur tout et n'importe quoi.

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Omero Marongiu-Perria est sociologue et spécialiste de l'islam français.