Société

« Portraits de France », ces 318 personnalités de la diversité honorées pour valoriser leur contribution à l'histoire commune

Rédigé par Myriam Attaf et Hanan Ben Rhouma | Lundi 15 Mars 2021 à 17:30

« Des histoires fortes, des parcours exemplaires, des engagements explicites. » Un comité scientifique présidé par l'historien Pascal Blanchard a remis, vendredi 12 mars, au gouvernement une liste de 318 noms de personnalités issues de la diversité pour baptiser des rues ou des bâtiments publics, « dans la volonté de faire vivre l’unité et la cohésion de notre communauté nationale, dans toute sa richesse et sa diversité ».



Le comité chargé de sélectionner les noms de personnalités pour baptiser des rues et des bâtiments publics, présidé par Pascal Blanchard (au centre), a remis son rapport à la ministre de la Cohésion des Territoires, Jacqueline Gourault, et sa ministre déléguée chargée de la Ville Nadia Hai. © Twitter / Nadia Hai
Rendre un hommage à la diversité française en renouvelant les noms de rues et de bâtiments publics le noms de personnalités qui ont participé à l'histoire du pays ces 230 dernières années, depuis la Révolution française, c'était la promesse faite voici plusieurs mois par Emmanuel Macron.

Depuis, un comité scientifique, conduit par la ministre déléguée chargée de la Ville Nadia Hai et présidé par l'historien Pascal Blanchard, s'est employé à élaborer 318 fiches consacrées à des personnalités issues de la diversité qui ont contribué à façonner l'histoire de France mais « qui n'ont pas encore trouvé leur place dans notre mémoire collective ».

Ainsi, « "Portraits de France" a vocation à permettre une plus grande reconnaissance de ces parcours et de ces personnalités dans notre mémoire collective et notre espace public. Ce recueil s’inscrit pleinement dans la volonté de faire vivre l’unité et la cohésion de notre communauté nationale, dans toute sa richesse et sa diversité », fait-on valoir.

Une « politique de la reconnaissance » à l'œuvre

La liste rend hommage à des hommes et des femmes nés en France, naturalisés français ou « qui se sont engagés, d'une façon ou d'une autre pour la France ». Dans le lot, on retrouve des artistes populaires issus de l’immigration qui ont fait la culture française comme Jacques Brel, Richard Antony, Yves Montand, Georges Moustaki, Edith Piaf, Coluche, Serge Gainsbourg, Dalida, Lino Ventura, Idir, Henri Salvador, Charles Aznavour… Ils ont été proposés à l’instar d’autres noms de la culture internationalement connus comme les peintres Salvador Dali, Pablo Picasso et Joan Miro. S’y ajoutent les créateurs de la bande-dessinée Astérix, Albert Uderzo et René Goscinny, ainsi que le dessinateur Georges Wolinski, tué en 2015 dans l’attentat contre Charlie Hebdo.

Dans la catégorie « Politique & Militants », figurent l'Emir Abdelkader, qui fut tout autant un des maîtres spirituels majeurs du soufisme et chef militaire qui s’opposa à la conquête de l’Algérie par la France au XIXe siècle, mais aussi l'écrivain et psychiatre martiniquais anticolonialiste Frantz Fanon, fervent partisan de la cause algérienne pendant la guerre d’indépendance.

Le comité tenait aussi à rappeler au plus grand nombre la contribution essentielle de héros issus de la diversité à la Libération de la France. En ce sens, le groupe de réflexion a proposé de rendre hommage au Républicain espagnol Celestino Alfonso, aux résistantes roumaine et allemande Olga Bancic et Dora Schaul, à l’Algérien Ouassini Bouarfa, membre des commandos Kieffer, seule troupe française à avoir participé au débarquement en Normandie, et le Guinéen Mamadou Addi Bâ, le chef du premier maquis dans les Vosges.

Dans la catégorie « Armées & Résistances », le tirailleur sénégalais Bakary Diallo, premier Africain francophone à avoir raconté l'expérience qu’il a vécu pendant la Première Guerre mondiale, fait également partie des personnalités sélectionnées, de même que Chérif Cadi, le premier Algérien de confession musulmane à intégrer l’École polytechnique en 1887, Philippe Grenier, le premier député musulman de l'Histoire de France, ainsi que des soldats tombés plus récemment comme Konrad Piotr Rygiel, Mohammed El Gharrafi, Christophe Barek-Deligny et Facrou Housseini Ali, tous les quatre décédés en 2010 et en 2011 en Afghanistan.

Les grandes figures littéraires font aussi partie du contingent. On y retrouve de fait Aimé Césaire, le père fondateur de la négritude, ou encore le poète, écrivain et homme d'État Léopold Sédar Senghor. Sont aussi mentionnés les écrivains Blaise Cendrars et Emile Zola d’origine italienne. « On voulait une juste représentation des professions avec des artistes, des scientifiques, des journalistes, des gens de la mode et du design, des militants et syndicalistes, des entrepreneurs, des militaires... La France quoi ! », a clamé le 10 mars auprès du HuffPost Pascal Blanchard, président du comité scientifique.

Dans cette optique, le groupe de réflexion n’a pas non plus oublié de soumettre les noms des footballeurs Raymond Kopa, Larbi Ben Barek, Raoul Diagne ou encore de l’ancien président de l’Olympique de Marseille Pape Diouf.

On notera enfin la présence de trois intellectuels décédés en 2010, promoteurs d'un « islam des lumières » : l’historien et spécialiste de la pensée islamique Mohammed Arkoun, l’anthropologue des religions Malek Chebel, et l'écrivain Abdelwahab Meddeb. Plus loin dans l'histoire, figure aussi l'écrivaine, convertie à l'islam, Isabelle Eberhardt.

Un travail de mémoire, pas une réécriture de l'Histoire

« Il semble nécessaire d’insuffler une part de féminisation des noms et une part de diversification des personnalités retenues pour rééquilibrer un paysage aussi monochrome. Les deux enjeux sont essentiels, et ils doivent être menés de manière parallèle et concomitante pour changer cette photographie de la France, restrictive et trompeuse », lit-on dans le rapport.

Contrat rempli pour la diversification. La sélection ne fait toutefois pas la part belle aux femmes : elle compte 21 % de femmes, soit 67 noms, ce qui aurait attiré des critiques de la ministre déléguée chargée de l'Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno. « Dans une histoire contemporaine de la France souvent tracée par des hommes dans la capitale parisienne, s’il n’y a pas parité absolue ici — sur 230 ans d’histoire —, la présence des femmes et des territoires est néanmoins significative au final et sur le temps long », fait-on valoir.

On retrouve notamment la chanteuse Joséphine Baker, la peintre Sonia Delaunay, la cinéaste Chantal Akerman, la physicienne Marie Curie, la grande figure du journalisme Françoise Giroud, ou encore l’avocate et militante féministe dont Benjamin Stora a proposé la panthéonisation, Gisèle Halimi.

« Ce travail de mémoire n’est pas une réécriture de notre histoire commune mais un enrichissement et une reconnaissance, en redonnant leur place à tous les enfants de la République et en continuant de l’écrire avec ce que la France est aujourd’hui, c’est-à-dire une nation une et indivisible, mais aussi riche de sa diversité », a déclaré Nadia Hai.

Une seconde liste devrait être éditée avec de nouvelles propositions en 2021 ou en 2022, tandis qu'une autre sélection de citoyens devrait être dévoilée dans les prochaines semaines, composée cette fois de personnalités vivantes. « Nous avons pleinement conscience que ce choix de personnalités vivantes fait et fera aussi débat dans l’espace médiatique. C’est pourquoi nous avons clairement distingué les deux ensembles, d’un côté le recueil, de l’autre une recommandation plus informelle », indique le rapport, fort des 318 noms. « A chacun, du plus haut niveau de l’Etat jusqu’à chaque citoyen, de s’en saisir pour le faire vivre et l’enrichir et ainsi valoriser la diversité de notre histoire et de notre société. »

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