Traitant des greffes, des cellules souches comme du clonage, le projet de loi sur la bioéthique va être discuté par le Sénat les 28,29 et 30 janvier. Jean-François Mattei, ministre de la Santé, livre ses propositions.
Pour tenir compte des évolutions de la science, la première loi de bioéthique prévoyait, dès le départ, son réexamen automatique au bout de cinq ans. Souhaitez-vous que le texte en discussion soit également révisable à terme fixe?
En 1994, nous n'avions pas réalisé les effets pervers d'une telle disposition. Dès 1997, plusieurs points de la loi méritaient d'être réexaminés. On ne l'a pas fait. L'argument était alors de dire: «Attendons la révision de 1999 pour modifier ce monument législatif.» Ce retard a engendré des vides juridiques. Nous ne devons pas être contraints par une échéance fixée à l'avance. Chaque fois qu'une disposition devra être révisée, nous le ferons. Par ailleurs, je ne veux pas laisser croire qu'il n'y a d'éthique que dans la loi de bioéthique. Ce doit être une préoccupation permanente. Sur le plan international, l'enjeu est aussi important que l'Organisation mondiale du commerce ou les rapports Nord-Sud.
La première modification que vous proposez concerne le don d'organe par une personne vivante. Le texte voté l'année dernière l'autorisait entre individus ayant entre eux des liens «stables et étroits». Vous voulez que la loi soit plus restrictive.
Certes, il y a pénurie de greffons en France. Mais ce n'est pas une raison pour élargir inconsidérément le cercle des possibles donneurs. Pour moi, le lien «stable et étroit», faute d'une définition juridique précise, ouvre la porte à tous les abus. Par exemple, quelqu'un pourrait rechercher un rein par voie de petite annonce et en monnayer l'achat, en douce. Il ne lui reste plus alors qu'à se rendre chez un chirurgien en prétendant que le donneur est un ami. Je ne suis pas d'accord. Il faut limiter la liste des donneurs vivants à ceux qui sont unis par de vrais liens d'amour, parents et enfants, frères et sœurs, conjoints bien sûr, mais aussi aux personnes qui peuvent attester d'une vie commune depuis au moins deux ans.
Que faire alors pour résoudre le manque dramatique de greffons?
«Je suis radicalement hostile
au clonage thérapeutique»
Simplement appliquer la loi sur le consentement présumé. Si quelqu'un ne veut pas qu'un prélèvement d'organe soit effectué sur son corps après sa mort, il doit s'inscrire sur un registre spécial ou bien porter sur lui un document où il exprime son refus. Dans le cas contraire, il est, en principe, présumé consentant. Malheureusement, mais je les comprends, les médecins ne s'en tiennent pas à ce texte. Même s'ils ne trouvent aucune trace de refus après le décès, ils interrogent systématiquement la famille. Et celle-ci, dans le doute, refuse souvent le prélèvement. Je voudrais que les dispositions de la loi soient mieux connues et qu'une information soit obligatoire auprès des moins de 25 ans. Une mention «a reçu l'information» pourrait figurer sur la carte Vitale. Alors les médecins n'auraient plus d'hésitation à prélever un cœur, un rein ou une cornée.
Sur une autre disposition de la loi bioéthique, votre position a évolué. Vous êtes maintenant favorable à l'utilisation, dans les travaux de recherche, de cellules souches d'origine embryonnaire, cellules qui fonderaient une nouvelle forme de médecine, réparatrice.
Je me suis rangé à cette idée pour plusieurs raisons. D'abord, parce que les recherches alternatives sur les cellules souches prélevées sur des organes adultes ne sont pas aussi prometteuses qu'on pouvait l'imaginer voilà un an. Ensuite, comme je suis radicalement hostile au clonage thérapeutique, il m'est difficile d'être opposé à tous les autres types de recherche susceptibles de déboucher sur des progrès de la médecine. Mieux vaut accepter de travailler sur des cellules souches issues d'embryons conçus in vitro, ne faisant plus l'objet d'un projet parental. La recherche sur l'embryon lui-même restera prohibée. Mais, par dérogation, il sera possible d'utiliser des cellules souches embryonnaires. Cela pour une période limitée de cinq ans. Parallèlement, il faudra continuer à étudier les cellules souches adultes et comparer les résultats. Le principe du respect de la vie, dès son commencement, reste le repère essentiel. Mais les progrès thérapeutiques - de la transfusion sanguine à la greffe d'organe - sont souvent le fruit de transgressions.
Comment justifiez-vous votre opposition au clonage thérapeutique (constitution d'embryons pour produire uniquement des cellules souches), très différent du clonage reproductif (duplication d'un être complet)?
Pour moi, l'appellation elle-même est fallacieuse. Le mot «thérapeutique» est un sésame utilisé par les scientifiques et les médecins pour légitimer leurs recherches. Mais personne n'a jamais démontré qu'on puisse soigner par clonage. Même chez les animaux. D'autre part, je m'interroge sur le statut de la nouvelle cellule ainsi créée. Est-ce un embryon ou pas? Peut-on avoir un embryon sans fécondation? Peut-il résulter d'un processus asexué? Je n'ai pas de réponse. Enfin, et surtout, le clonage dit «thérapeutique» n'est que la première phase technique du clonage reproductif. C'est une porte ouverte. Ne tentons pas le diable.
Vous souhaitez introduire dans le Code pénal un nouveau chef d'accusation, le «crime contre la dignité de la personne humaine», visant tout clonage à but reproductif.
Il faudra certainement aussi criminaliser les détournements patents de la législation nationale, afin d'éviter que certaines françaises n'aillent à l'étranger se faire transférer un embryon acquis dans des conditions douteuses.
De toute façon, l'interdiction du clonage reproductif ne sera effective que si des mesures sont prises à l'échelle internationale.
Où en est la démarche franco-allemande à l'ONU?
Nos diplomates continuent de travailler sur ce sujet. Mais nous ne reviendrons à la charge que quand la loi bioéthique française sera promulguée. Je l'espère avant la fin du premier semestre de cette année. Alors notre texte pourra servir de référence mondiale
Propos recueillis par Jean-Marc Biais et Jacqueline Remy