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Pourquoi le soutien des Américains musulmans à Kamala Harris n'est pas acquis

Rédigé par | Lundi 29 Juillet 2024 à 08:00

Kamala Harris sera-t-elle la première femme à remporter la course à la présidence américaine en novembre prochain ? Face au redoutable Donald Trump, la bataille sera rude pour la vice-présidente, qui devra aussi la mener en interne. Kamala Harris doit encore convaincre les électeurs démocrates ayant promis de ne pas voter pour Joe Biden de se ranger à ses côtés. Explications.



© Gage Skidmore/CC BY-SA 2.0
Joe Biden renonçant à briguer un second mandat après des semaines de débats polémiques autour de sa santé ; et voilà sa vice-présidente Kamala Harris sous les feux des projecteurs comme jamais auparavant. Plébiscitée par les Démocrates – elle a d’ores et déjà reçu le soutien d’une majorité des 3 900 délégués du parti –, elle devrait sans mal se voir confirmer son statut de candidate lors d’une convention d’investiture qui se tiendra à Chicago entre le 19 et le 22 août. Le couple Obama a lui aussi officiellement apporté, vendredi 26 juillet, son soutien à Kamala Harris. C’est qu’il n’y a plus de temps à perdre pour défier un Donald Trump dont l’image a été dopée auprès de ses partisans après la tentative d’assassinat le visant le 13 juillet dernier.

L’ex-procureur âgée de 59 ans offre certes plus de chances de victoire que Joe Biden dans la course à la Maison Blanche mais rien n’est pour autant gagné. Contrairement aux Républicains, elle a du pain sur la planche pour convaincre les déçus de l’électorat démocrate de la soutenir face à Donald Trump. Malgré le rejet que suscite l’ex-président américain auprès des minorités, et plus particulièrement auprès des communautés arabes et musulmanes, ces dernières ont dû revoir leur soutien historique au Parti démocrate. Or ce dernier est crucial dans des Etats clés comme l'Illinois et le Michigan, qui abritent parmi les plus importantes communautés arabo-musulmanes du pays.

Leur colère manifeste est justifiée par le soutien constant de Joe Biden à Israël malgré la répression sanglante menée depuis des mois contre la bande de Gaza. Des leaders musulmans en sont arrivés à organiser en décembre 2023 une campagne nationale inédite baptisée « Abandon Biden » afin d’empêcher la réélection de l’actuel président. Kamala Harris pourrait bien hériter de cette colère et subir la même désaffection, à moins qu’elle ne signe une inflexion notable dans la politique américaine vis-à-vis d’Israël.

Kamala Harris promet de ne pas rester « silencieuse » sur Gaza

Jamais la question israélo-palestinienne n’aura autant pris de place dans une campagne présidentielle américaine. Les prises de position de Kamala Harris sont donc scrutées par de très nombreux militants de l'aile gauche des Démocrates pour qui le règlement du conflit à Gaza est une priorité majeure.

Neuf mois après le début de la guerre qui a provoqué quelque 40 000 morts, elle a d'abord insisté, jeudi 26 juillet, sur le droit d'Israël à se défendre contre le Hamas mais que « la manière dont il le fait importe ». Puis de promettre de ne pas rester « silencieuse » face aux souffrances des civils dans l'enclave palestinienne. « Nous ne pouvons pas détourner le regard de ces tragédies. Nous ne pouvons pas nous permettre de devenir insensibles à la souffrance et je ne resterai pas silencieuse », a-t-elle déclaré à la presse après sa rencontre avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. « Il est temps de conclure cet accord » de cessez-le-feu et de libération des otages avec le Hamas, a ajouté la vice-présidente, avant d'appeler de ses vœux à la création d'un État palestinien.

De tels propos semblent trancher avec ceux, plus cordiaux, adoptés par Joe Biden vis-à-vis du gouvernement israélien. Mais bien qu’elle témoigne de plus d’empathie envers les Palestiniens, selon The Washington Post, il lui faudra bien plus que des mots pour convaincre les déçus de l’administration américaine, d’autant qu’elle n’a jamais divergé publiquement du soutien affiché de Joe Biden envers Israël. Par ailleurs, elle a salué, quelques jours plus tôt, le bilan de Joe Biden, « sans équivalent dans l'histoire moderne » des Etats-Unis. « Il a déjà un meilleur bilan que la plupart des présidents qui ont effectué deux mandats », a-t-elle jugé.

« Rompre avec l'héritage destructeur de l'administration actuelle »

Va-t-elle véritablement se distinguer de Joe Biden ? Des actes, plus que des discours, sont attendus. Les initiateurs de la campagne « Abandon Biden » ont pris acte, dimanche 21 juillet, du retrait de la candidature de Joe Biden. Cependant, fait-on savoir dans un communiqué, « cette décision n'absout ni le président, ni son parti de toute responsabilité. L'approche désastreuse et criminelle à Gaza se poursuit sous la direction du même personnel : Antony Blinken, Jake Sullivan et Brett McGurk », respectivement secrétaire d’Etat (soit le chef de la diplomatie), conseiller à la sécurité nationale et conseiller à la Maison Blanche pour le Moyen-Orient. « Ces personnes restent aux commandes, perpétuant des politiques qui ont conduit à d'immenses souffrances », martèle-t-on.

« Il est clair, estiment les responsables, que l'appareil du Comité national démocrate a fait pression sur Joe Biden pour qu'il démissionne seulement après avoir perdu confiance dans sa capacité à diriger en raison de son déclin cognitif. Cette action n'est pas intervenue alors qu'il soutenait et parrainait avec enthousiasme le génocide à Gaza, mais alors que ses capacités déclinantes ne pouvaient plus être dissimulées. »

« Nos revendications demeurent inchangées : demander et faire pression pour un cessez-le-feu inconditionnel à Gaza », fait part « Abandon Biden », qui ne formule pour le moment aucun soutien à Kamala Harris. Celle-ci est appelée à rencontrer les initiateurs de la campagne, jugeant que tout nouveau candidat démocrate « doit (…) rompre avec l'héritage destructeur de l'administration actuelle ». Et de conclure : « La campagne Abandon Biden reste déterminée à demander des comptes à ceux qui sont au pouvoir et continuent de superviser et de parrainer le génocide israélien à Gaza et sa belligérance dans la région. »

Les Américains d’ascendance arabe et de confession musulmane peuvent faire la différence en novembre prochain, et Kamala Harris, consciente de l’enjeu, devra aller chercher leur appui. Malgré l’aversion qu’ils ont pour un Donald Trump qui avait reconnu durant son mandat Jérusalem pour capital d’Israël, ils ont construit un rapport de force politique de sorte à ce que l’establishment démocrate ne prenne plus leur soutien pour acquis. Rashida Tlaib en est un bon témoignage : la représentante du Michigan, la seule élue Américano-palestinienne, qui s’est illustrée mercredi 24 juillet au Congrès américain en brandissant les pancartes « criminel de guerre » et « coupable de génocide » face à Netanyahou, n’a pas apporté à ce jour son soutien à Kamala Harris, ceci pour la pousser à adopter une plus grande fermeté envers Israël.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur