Un an après le décès du Professeur Muhammad Hamidullah, le 17 décembre 2002 à Jacksonville en Foride, Karim Abdoun nous trace son portrait. Respectant le souhait de ce regretté Savant qui ne voulait absolument pas qu’une photo de lui paraisse dans une quelconque publication, la rédaction de SaphirNet.info a donc naturellement choisi d’illustrer ce texte par une page du travail monumentale que fut la traduction en langue française du Coran.
« Les savants sont les successeurs des prophètes » car ils donnent du sens à ce qui dépasse l’entendement du commun des mortels. Leur souvenir est un devoir que nous nous devons d’honorer afin qu’à leur présence survive leur œuvre. Incontestablement, le Pr. Muhammad Hamidullah fut un savant musulman du XXe siècle. Un de ces premiers savants musulmans qui, aidé par les circonstances historiques, a choisi de vivre en Europe. Cela fait déjà un an que le Professeur nous a quittés. Bref retour sur la vie et l’œuvre d’un musulman exceptionnel du siècle dernier.
Une vie consacrée à la science et à l’enseignement
Muhammad Hamidullah est né le 19 février 1908 à Hyderabad en Inde. Il était mince, grand et droit, issu d’une famille de savants et portait souvent costume et cravate. Il fut diplômé en droit international à l’université d’Osmaniya, une des plus grandes universités d’Inde, située dans sa ville natale. Cependant, ce dont il était le plus fier était son diplôme de « hâfidh » (connaisseur du Coran par cœur) qu’il avait obtenu en Arabie Saoudite. Il fut ensuite à l’université de Bonn en Allemagne pour préparer et décrocher un Ph.D. (doctorat) en droit islamique international. Il aurait souhaité retourner à Hyderabad pour y enseigner, mais les troubles politiques de ces années-là (annexion par l’Inde du Sultanat d’Hyderabad) l’ont conduit à l’exile en France. Il eut par après d’autres diplômes mais n’aimait trop pas en parler[1]. Il connaissait vingt-deux langues en tout[2] et en maîtrisait parfaitement cinq. A 84 ans, il entamait encore l’apprentissage du thaï. Il était un fin connaisseur des sciences religieuses et un imminent spécialiste des questions de constitution islamique.
Hamidullah était un véritable ascète, à la spiritualité authentique. Il était humble, discret, mais hautement compétent. Tous ceux qui l’ont connu le présentent en insistant sur ses grandes qualités : humilité, érudition, sagesse et infatigable dévouement pour la cause de l’islam.
Le Professeur n’a jamais cherché la reconnaissance ou la richesse et fuyait les mondanités. Il ne s’est jamais marié et a consacré toute sa vie à l’étude de l’islam. De 1948 à 1996, il a vécu en France, dans une chambre de bonne au 4 rue de Tournon, dans le 6ième arrondissement de Paris. Sa minuscule pièce était submergée de livres, de revues ainsi que de son importante correspondance. Pour des raisons médicales, sa nièce a dû le faire rapatrier aux Etats-Unis. Il est décédé le 17 décembre 2002 à Jacksonville en Floride, il avait alors 95 ans.
Une œuvre colossale toujours d’actualité
L’œuvre du Professeur Hamidullah est prolifique. On rapporte qu’il a publié pas moins de 2000 articles dans de nombreuses langues. Il est également l’auteur de nombreux livres en français. Pendant près de trente ans, le Professeur Hamidullah incarnait à lui seul une « oumma » en France, comme cela est décrit pour le Prophète Abraham dans le Coran. Il était un des rares musulmans à parler et surtout à écrire sur l’islam. Il répondait aux orientalistes de son époque et à toute personne qui lui posait une question. Chercheur au CNRS, il intervenait régulièrement comme invité dans certaines universités, notamment l’université de théologie d’Istanbul. Mais surtout, il dispensait des cours de religion musulmane en français à des étudiants musulmans venus de tous les horizons ainsi qu’à des convertis. Il était entre autre connu pour ses enseignements dispensés dans le local de l’Association des Etudiants Islamiques en France au 23 rue Boyer-Barret dans le 14ième arrondissement de Paris. Il en était d’ailleurs le fondateur (1962).
Son travail le plus colossal aura été la traduction du Coran en français à partir du texte arabe[3]. Il aura d’ailleurs été le premier musulman à le faire. Aujourd’hui, sa version est devenue la référence diffusée à des millions d’exemplaires. Cette traduction avait été initiée par une personne qui était venue le voir un jour pour lui demander s’il existait une traduction faite par un musulman. Comme il n’en existait pas, le Professeur Hamidullah décida de s’y atteler[4].
L’autre monument de Hamidullah est la biographie du Prophète[5] en français. Cette œuvre magistrale a connu tellement de succès, tant auprès du grand public que des universitaires, qu’elle a été rééditée cinq fois et traduite en plusieurs langues. Tout en étant présent dans des cercles très spécialisés, le Professeur Hamidullah a également été un grand vulgarisateur de la religion musulmane ; ceci grâce à ses écrits, ses conférences ainsi qu’à ses prêches.
Le Professeur Hamidullah a toujours travaillé à partir des sources originales de l’islam. Pour ce faire, il a beaucoup voyagé en Europe et dans de nombreux pays musulmans. C’est ainsi qu’il a découvert le plus ancien manuscrit de hadith dans une bibliothèque de Damas : « Sahifah Hammam ibn Munabbih[6] » pour lequel il a consacré plusieurs travaux.
Pour le remercier de sa contribution aux célébrations du 15ième siècle de l’hégire, le Président Pakistanais Zia[7] a offert à Hamidullah la plus haute distinction civile du pays ainsi qu’une récompense d’un million de roupies (23000 euros). Le Professeur a préféré décliner la distinction et a offert le million de roupies au Centre d’Etudes Islamiques d’Islamabad[8].
De la nécessité d’une fondation pour la mémoire
Le Professeur Muhammad Hamidullah était un savant musulman européen dans la lignée des grands penseurs de l’Andalousie. Durant près de 50 ans, il a posé les jalons d’un islam européen, pleinement engagé au cœur d’institutions académiques européennes. Le 26 avril dernier, l’Association des Etudiants Islamiques de France a souhaité rendre hommage à ce grand homme lors d’un colloque[9]. De nombreuses personnalités sont venues témoigner de leur rencontre et de leur amitié avec Hamidullah, parmi lesquelles le Professeur Issam Al-Attar[10] qui lui a rendu un vibrant hommage. Toutes ces personnes présentes ce jour-là ont eu un lien amical, intellectuel ou spirituel avec le Professeur Hamidullah.
Durant cette journée, il a beaucoup été question de ses ouvrages semés à travers les continents. Les discussions ont également porté sur les écrits apocryphes[11] et le problème des droits d’auteur[12] liés à son travail.
Parmi les enjeux majeurs relatifs à l’œuvre du Professeur Hamidullah, l’assemblée en a relevé deux. Le premier est le recensement exhaustif et la transcription de toute son œuvre quelle que soit la langue (articles, livres, conférences…) ainsi que son rassemblement en un lieu unique. Le second enjeu d’engager un travail de fond pour approfondir sa pensée et la commenter. L’objectif étant la continuation de ce parcours intellectuel.
Nous sommes collectivement responsables de la sauvegarde, de la transmission et de l’enrichissement de ce patrimoine.
A la fin de la journée, quelques personnes ont suggéré la création d’une « Fondation Hamidullah ». Une équipe de travail a même été mise en place pour réfléchir à la question.
Un an après sa mort, où en sommes nous ? A quand un panthéon intellectuel de l’islam européen ?
[1] Il aurait soutenu cinq thèses de doctorat. Selon l’article de Amara Bamba, « Hamidullah, tel que je l'ai connu », paru le lundi 30 décembre 2002 sur le site de www.saphirnet.info
[2] Selon sa nièce in « News Letter of Higher Education Commission », Islamabad
[3] La première version de cette traduction date de 1959
[4] Selon l’article de Amara Bamba, « Hamidullah, tel que je l'ai connu », paru le lundi 30 décembre 2002 sur le site de www.saphirnet.info
[5] Le Prophète de l’islam, 2 tomes, Editions Association des Etudiants Islamiques en France
[6] Sahifa Hammam ibn Munabbih, Association des Etudiants Islamiques en France, 1979
[7] Général Muhammad Zia-Ul-Haq (1924-1988)
[8] In « News Letter of Higher Education Commission », Islamabad
[9] « Hommage au Professeur Muhammad Hamidullah », Paris, 26 avril 2003. Colloque organisé par l’Association des Etudiants Islamiques en France en collaboration avec Horizons Cultures & Civilisations (HCC) et le Conseil Musulman de Coopération en Europe (CMCE)
[10] Recteur de la mosquée Bilal à Aachen en Allemagne
[11] La dernière traduction du Coran en français assumée par Hamidullah est celle qui date de 1989. Celle-ci a été révisée et éditée par la présidence générale des directions des recherches scientifiques islamiques, de l'ifta, de la prédication et de l'orientation religieuse (Riyad, Arabie Saoudite) puis publiée en 1990 sous le titre 'Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets'. Cette dernière version n’a pas reçu l’approbation du Professeur
[12] Un certain nombre d’éditeurs ne se gênent pas pour éditer les œuvres de Hamidullah sans le moindre respect des règles de droit d’auteur. Ceci constitue un délit de contrefaçon au sens du Code de Propriété Intellectuel (CPI, art L.335-1 à L.335-10)
Biographie indicative en français