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Québec : des femmes exclues d’un chantier près de mosquées ? Une sacrée intox

Rédigé par | Lundi 18 Décembre 2017 à 08:00

Deux mosquées de la ville de Montréal auraient fait pression auprès d’une société de construction pour qu'aucune femme ne soit présente sur un chantier situé devant leurs lieux de culte le vendredi, jour de prière hebdomadaire. Une histoire qui a été remontée auprès d’une importante chaîne de télévision du Québec, qui a décidé d’en faire un reportage. Sauf que l’affaire s’est avérée bidon.



L’affaire faisait grand bruit au Canada depuis plusieurs jours. Deux mosquées du quartier Côtes-des-Neiges, à Montréal, auraient fait pression auprès d’une entreprise pour qu'aucune femme ne soit présente sur un chantier de construction situé devant leurs édifices religieux lors de la grande prière du vendredi.

Alertée, la chaîne québécoise TVA Nouvelles a décidé d'en faire un reportage « exclusif » diffusé le 12 décembre - retiré depuis - dans lequel deux responsables en charge du chantier déclaraient que les femmes étaient retirées du chantier au moment de la prière hebdomadaires, et ce « depuis trois semaines ». Ils racontaient même que cette demande était inscrite dans le contrat, sous la « pression » des dirigeants des deux mosquées.

Le reportage, largement partagé, a provoqué une vive controverse au Québec. Dominique Vien, ministre en charge du Travail au Québec, a alors demandé à la Commission de la construction du Québec de faire la lumière sur cette affaire, tandis qu'un groupuscule d’extrême droite répondant du nom de La Meute avait un temps annoncé une manifestation pour vendredi 15 décembre devant les mosquées mises en cause.

Ces dernières ont aussitôt réagi pour nier les graves allégations portées contre elles. Dans un communiqué diffusé le jour même du reportage, la direction de la mosquée Ahl-Ill Bait a nié « vigoureusement avoir demandé l'exclusion de qui que ce soit sur le site en construction faisant face à son établissement », ajoutant qu’elle entretient « de bonnes relations avec l'entrepreneur depuis le début du chantier ».

« C'est donc avec surprise et stupéfaction que nous réagissons aujourd'hui. Nous avions effectivement demandé l'accès au stationnement, sur l'heure du midi les vendredis, mais n'avons jamais demandé l'exclusion de personne. Cette requête, si elle existe, ne provient pas de notre organisation », fait savoir la mosquée, qui s’est également attristée de la diffusion d’un tel reportage sans même que ses dirigeants aient été sollicités pour confirmer ou infirmer l’information.

Les conclusions de l'enquête sont sans appel

La Commission de la construction du Québec (CCQ) s’est rapidement saisie de l’affaire, déclarant l’ouverture d’une enquête. Ses conclusions, rendues jeudi 14 décembre, sont sans appel : aucune demande d'exclusion des femmes d'un chantier n'a été formulée par les mosquées incriminées, contrairement aux allégations relayées par TVA.

En outre, « il n’y a aucune clause dans le contrat qui imposait des aménagements qui auraient pu faire en sorte de mettre des femmes dans des situations particulières », a indiqué Diane Lemieux, PDG de la CCQ.

Limiter le bruit pendant de la prière du vendredi fut la seule demande émanant des mosquées, comprise des responsables du chantier. « Nous avons une entente avec la mosquée Ahl-Ill Bait, qui nous autorise à réaliser certains travaux sur leur terrain. Ils nous ont demandé de ne pas travailler sur leur propriété pendant la période de la prière du vendredi, qui dure environ deux heures, pour limiter le bruit. Nous avons accepté, parce que nous pouvons tout de même poursuivre les travaux dans la rue à ce moment », a indiqué à La Presse Serge Boileau, président de la Commission des services électriques de Montréal (CSEM), qui gère le contrat.

Par ailleurs, la personne qui surveille le chantier pour la CSEM est... une femme. Elle est « là depuis trois ou quatre semaines et n'a pas été informée de quelque demande que ce soit ni été importunée par quiconque », a-t-il souligné. Autant d'informations qui ont poussé TVA Nouvelles à faire une mise au point sur l'affaire.


TVA présente ses excuses

« Le reportage de TVA est irresponsable et a causé beaucoup de douleur aux membres de cette communauté. Il faut s'excuser, TVA », a réclamé Sue Montgomery, la maire de l'arrondissement de Côte-des-Neiges.

Au lendemain des conclusions rendues par le CCQ, la chaîne TVA a en effet fini par présenter ses excuses pour son reportage. Celui-ci « était fondé sur les témoignages rapportés à la caméra mardi soir par deux entrepreneurs. Or, les versions que nous avions recueillies auprès de ces intervenants ont changé depuis hier », affirme TVA, qui « regrette cette situation et tient à s’excuser auprès des différents intervenants et des téléspectateurs qui ont été affectés par cette nouvelle ».

« La direction continue de mener son enquête interne pour valider les étapes de la démarche journalistique effectuées dans le cadre de ce reportage », précise-t-elle dans son communiqué.

« Soyons solidaires, restons vigilants : c’est notre responsabilité »

Valérie Plante, maire de Montréal.
Le mal est tout de même fait pour les dirigeants des mosquées, qui ont rapporté être la cible de nombreux messages haineux depuis le reportage. « Nous avons décidé de maintenir nos activités du vendredi (15 décembre) en assurant une sécurité accrue des lieux avec l’aide du service de police. Nous invitons tout le monde à faire preuve de respect les uns envers les autres dans un esprit citoyen », a indiqué la mosquée Ahl-Ill Bait, avant de souligner qu’elle encourage « tout appui pour la cause d’une égalité des genres en tout point ».

« NOUS, citoyens, politiciens, journalistes, personnalités publiques et acteurs de la société civile, devons être particulièrement vigilants face aux rumeurs et ne pas réagir avec précipitation SURTOUT lorsque des communautés en sont la cible », a lancé, dimanche 17 décembre, Valérie Plante, maire de Montréal depuis novembre 2017, sur Facebook.

« Des propos erronés font mal aux communautés; dans ce cas-ci, la communauté musulmane, et cela porte atteinte à notre ville. Car Montréal est une ville inclusive et nous devons travailler main dans la main pour éradiquer toute forme de discrimination. (...) Soyons solidaires, restons vigilants : c’est notre responsabilité », conclut-elle.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur