Au-delà de la question de « loi ou pas de loi », les arguments exposés tant dans le rapport Debré que Stasi font frémir. On reconnaît publiquement que le témoignage d’une iranienne a été l’un des plus percutants pour les membres de la commission, on fait appel à des « ethnologues spécialistes du Maghreb » qui ont étudié le statut des femmes dans les sociétés musulmanes… Comment peut-on imaginer qu’une jeune fille ayant grandi en France ait la même vision du monde que celle qui grandit au Maroc ou en Iran ? Quelle confiance accordons-nous à la culture française ? Comment peut-on à ce point en arriver à penser à la place des concernées ? Pourquoi la seule femme voilée française est intervenue à la fin des débats de la commission Stasi ? Où sont passées toutes les réflexions des nombreux musulmans français auditionnés dans le rapport Debré ?
Depuis toujours, les femmes de référence musulmane » sont spécialement assignées à des places prédéfinies : on leur donne le choix entre le stéréotype de la musulmane soumise qui serait réduite à l’infériorité et le stéréotype de la femme « occidentale » moderne qui, pour acquérir sa liberté, son autonomie, devrait rompre avec toute référence religieuse. La question de la femme est toujours exacerbée parce qu’elle cristallise toutes les questions relatives aux normes et à la construction de ces normes. Si les religions interviennent dans ces conceptions, on oublie qu’elles évoluent aussi en fonction de quantités d’autres facteurs.
Ce qui permet l’émancipation de la femme, ce n’est ni la Bible ni le Coran mais le développement économique des pays ! C’est ça qui permet aux hommes et aux femmes de dialoguer différemment avec leurs textes religieux selon les époques, les lieux, et les histoires… On ne rencontre jamais « des religions », mais toujours des hommes et des femmes qui s’en sont appropriés différents aspects en constante mouvance et interaction les uns avec les autres ! La difficulté consiste à respecter toutes les « facettes identitaires » de l’autre sans pour autant l’enfermer dans une seule d’entre elle, le réduire de plus à une définition qui n’est pas la sienne, lui enlevant ainsi sa place de sujet.
Lorsqu’on ne se réfère pas à l’étranger, on uniformise le sens du foulard à partir du témoignage de la sœur de Sohane benziane, morte brûlée vive ou de Fadela Amara qui témoigne de la maltraitance dans les cités… Faire d’une religion la cause déterminante du comportement d’un adolescent ou d’un malade à l’hôpital relève du même processus : c’est une façon d’enfermer l’individu dans un espace pré-défini, posé comme une héridité, à travers de quoi tout peut s’expliquer. Cela mène à oublier tous les autres paramètres qui influent tant dans sa construction que dans une problématique sociétale et les grilles de lecture professionnelles habituelles (relations des frères et des sœurs, trajectoire sociale des parents, traumatisme de la petite enfance, place et rôle de chacun, etc.). Les musulmans sont des gens comme les autres, traversés par les mêmes angoisses que n’importe quels autres êtres humains. Les facteurs psychologiques, sociaux, économiques, sont prédominants dans le comportement d’un individu face à l’autre, à la vie, à la mort, à la santé. Si un aspect religieux est effectivement mobilisé, il n’est que le fruit d’une corrélation propre à ce moment-là de son histoire dans cette situation-là avec ces interlocuteurs-là.
Mais il est plus facile d’essentialiser l’islam, de se tourner vers l’étranger pour le définir, que d’étudier les interactions avec notre société ! Les réflexions des musulmans auditionnés par la commission Debré à ce sujet ne sont mentionnées à aucun moment dans le rapport. Celles des universitaires pouvant amener un peu de complexité pour sortir de l’idéologie ne sont pas plus retenues ! Ma propre réflexion, qui consistait à souligner le danger que les jeunes ne se renferment dans « le mythe de l’âge d’or musulman » si on ne reconnaissait pas leur propre histoire de « français musulmans », en les enfermant dans des définitions exclusives résultant tant de l’histoire de l’islamisme international que de l’histoire de la France, a été réduite à la première partie du propos ! Pour être sujet, il faut une liberté de pensée. La liberté de pensée ne se développera que dans un climat de sécurité. Plus on touche à la liberté de conscience des individus, moins ils se mettent à penser. Plus on les coupe de leur histoire, plus ils s’enferment dans leur mythe fondateur, d’autant plus sublimé. Plus on diabolise leurs croyances, plus ils s’y accrochent et refusent de les remettre en question. Est-ce qu’on se ressemble parce qu’on a la même religion ou parce qu’on a la même éducation ? C’est peut-être ça, au fond, qui pose problème : des Français musulmans adhèrent aux valeurs universelles de la République en affirmant qu’elles sont proches de celles transmises par leur religion… Ils ne demandent plus de droit à la différence mais de droit à la similitude, tout en restant musulman. Les valeurs universelles ne sont plus l’apanage de l’histoire de France… Il y aurait plusieurs moyens, plusieurs chemins pour y accéder…
Pour ne pas être à notre tour manichéen, saluons au passage la proposition des jours fériés. Ce sont des mesures comme celles-là qui empêchent le communautarisme. N’en déplaisent à certains politiques, c’est en laissant une référence à l’extérieur du patrimoine culturel que l’on pousse les gens qui s’y réfèrent à s’organiser entre eux. Que tous les Français partagent ensemble le miel et les loukoums après les œufs de Pâques, ce serait sans aucun doute la preuve que l’on peut aussi bien être sans dieu que juif, chrétien ou musulman et tout aussi français. Le Président de la République aura-t-il cette audace ?