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Points de vue

Rachid Benzine – Terrorisme : entre instrumentalisation de l’islam et déni communautaire

#1AnAprès

Rédigé par | Lundi 18 Janvier 2016 à 18:00

           

Un an après les premiers attentats qui ont bouleversé la société française, que faut-il retenir de ces funestes événements et de leurs conséquences ? Quels messages promouvoir et que préconiser pour construire une société meilleure ? Le point sur Saphirnews avec Rachid Benzine, chercheur associé à l’Observatoire du religieux (Aix-en-Provence) et enseignant, notamment, à la Faculté protestante de Paris. Dernier ouvrage paru : « Le Coran expliqué aux jeunes » (Le Seuil, 2013).



Rachid Benzine est chercheur associé à l’Observatoire du religieux (Aix-en-Provence) et enseigne, notamment, à la Faculté protestante de Paris.
Rachid Benzine est chercheur associé à l’Observatoire du religieux (Aix-en-Provence) et enseigne, notamment, à la Faculté protestante de Paris.
La violence qui détruit depuis plusieurs années les grands pays arabes historiques que sont l’Irak et la Syrie a frappé en France, et on peut craindre que des drames identiques à ceux de janvier et de novembre 2015 ne se reproduisent. Daesh, cette organisation théologico-politique qui est, finalement, le produit commun de l’islam obscurantiste cultivé par l’Arabie Saoudite (avatar du wahhabisme) et de l’impérialisme prédateur occidental, fait des émules partout dans le monde, y compris parmi la jeunesse européenne.

Les hommes (et même les femmes) qui ont accompli les crimes contre l’humanité que nous avons connus ont presque tous grandi ici en France ou dans la Belgique voisine. Ce sont, d’une certaine manière, des enfants de la France. Ce fait met en exergue l’échec de la France républicaine quant à l’inclusion de toute une partie de sa jeunesse.

Il révèle l’ampleur des répercussions dans un monde arabe en voie d’implosion. Il pointe également directement nos conceptions de l’islam. Car c’est bien à partir d’une certaine vision de cette religion que ces crimes ont été pensés, commis et revendiqués. Jacques Derrida disait qu’il ne fallait jamais oublier de rappeler que l’islam n’est pas l’islamisme – on peut ajouter aujourd’hui le jihadisme –, mais que ce dernier s’exerce bien au nom de celui-là, et c’est la grave « question du nom » : « Ne jamais traiter comme un accident la force du nom dans ce qui arrive, se fait ou se dit au nom de la religion, ici au nom de l’islam. »

Une des conséquences : l’ancrage du Front national

Les conséquences de ces attentats sont multiples et inquiétantes. La stratégie de Daesh est de créer la division dans les sociétés où cette puissance de mort aux références « apocalyptiques » intervient. Daesh veut semer la peur et la haine, faire en sorte que les gens se replient sur leurs communautés ethniques et religieuses d’origine et qu’ils se laissent prendre au piège de violences de type « guerre civile ».

Les musulmans de France se trouvent encore plus stigmatisés qu’ils ne l’étaient auparavant. Chacun d’entre eux est désormais suspecté de pouvoir commettre des attentats meurtriers, tant aux yeux de l’opinion publique française majoritaire qu’à ceux des forces de sécurité. Si d’autres attentats d’importance devaient se produire – espérons, évidemment, qu’il n’en sera rien –, on peut craindre des violences exercées en représailles contre des musulmans ou des personnes supposées telles.

On a pu vérifier aussi, aux dernières élections régionales, que ces attentats ont ancré davantage le Front national dans la vie politique française et que la candidate de ce parti populiste à la prochaine élection présidentielle est désormais à peu près sûre d’être présente au second tour du scrutin de 2017.

L’imitation du Prophète a pris plus d’importance que l’adoration du Créateur

Si les forces politiques françaises et les différentes élites de ce pays ne réalisent pas qu’il va de l’avenir de la paix sociale en France que soit réellement et rapidement stoppée la dérive de nombreuses banlieues populaires toujours plus marquées par la pauvreté et par le communautarisme ethnico-religieux, nous allons vers de sombres lendemains. C’est là une priorité !

Mais il faut aussi que la question religieuse musulmane soit abordée autrement et plus sérieusement, autant par les responsables politiques français que par les musulmans de France eux-mêmes !

Depuis 40 ans, c’est un islam de plus en plus obscurantiste, de plus en plus en rupture avec la tradition et avec le dialogue des cultures qui se diffuse. Un islam totalisant et totalitaire (qu’il se réfère au salafisme wahhabite ou à la doctrine des Frères musulmans) qui veut s’imposer à tous et qui annihile la réflexion personnelle et la liberté de penser. Un islam où le recours aux hadiths supplante l’autorité du Coran et où l’imitation supposée du Prophète a pris plus d’importance que l’adoration du Créateur et que le dialogue intime de chaque croyant avec Celui-ci ! Les personnes qui prétendent diriger la communauté musulmane de France ne se montrent malheureusement pas à la hauteur pour la plupart d’entre elles.

Quant aux responsables politiques français, ils continuent d’avoir une approche du fait religieux complètement déconnectée du dynamisme que celui-ci conserve. Qu’il s’agisse de politiques ou d’intellectuels, tous sont dorénavant prisonniers d’une bipolarité étouffante. Écartons d’emblée ceux qui instrumentalisent l’islam, en jouant sur les fantasmes de l’islamisation de la société. Ils concourent au brouillage général de la situation et répondent admirablement aux attentes de Daesh. On finit par ne plus savoir qui instrumentalise qui…

Deuil des certitudes et preuve d’humilité

Quelles perspectives ont donc ceux qui ont pour velléités l’intérêt général et des valeurs républicaines bien comprises ? Les vieux routiers de la politique usent sans retenue, depuis belle lurette, de grosses ficelles en confiant la paix sociale dans certains quartiers à des leaders religieux. Les autres ? Ils souscrivent, sans en avoir conscience, aux discours communautaires les plus éculés. Soit en réduisant uniquement la question religieuse à un symptôme social, économique, politique, source d’espérance pour les démunis. Soit en souscrivant au déni communautaire : « Cela n’a rien à voir avec l’islam », « Ce n’est pas le vrai islam ».

Ces deux expressions sont aujourd’hui couramment utilisées par des responsables politiques ou des intellectuels qui tiennent, à l’instar de François Hollande ou de Bernard Cazeneuve, à distinguer islam et islamisme, musulmans et terroristes. Leur intention est certes louable mais qui peut certifier que ce vœu pieu corresponde à une quelconque réalité anthropologique, historique ou scripturaire ?

Il conviendrait également que la France réfléchisse davantage à ses engagements internationaux. On ne peut pas intervenir militairement au Proche-Orient et croire pouvoir être à l’abri de représailles sur son sol. On ne peut non plus rechercher des contrats et des investissements de l’Arabie Saoudite et du Qatar et croire que l’islam rétrograde de ces pays ne contaminera pas l’islam des musulmans de France.

La route sera longue. Pour arriver au bout, il faudra faire le deuil de beaucoup de certitudes et faire preuve d’humilité. Deux attitudes auxquelles souscrivent rarement les responsables politiques et religieux, qu’ils soient Français ou étrangers.


Rachid Benzine
Rachid Benzine, islamologue, est chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence et à la faculté... En savoir plus sur cet auteur


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