Rachid Djaïdani est le réalisateur du film « Tour de France ». ©Saphir Média/Samba Doucouré.
Saphirnews : Comment avez-vous fait vos débuts au cinéma ?
Rachid Djaïdani : Un film s’était joué à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), près de chez moi. Je m’entrainais à la salle de boxe. Mon beau-frère gérait le tournage et m’a proposé de me joindre à une des équipes pour superviser. C’était La Haine, de Mathieu Kassovitz. On est en 1994, j’étais convaincu que Vincent Cassel et compagnie étaient des gars du coin ! Après le film, j’ai traficoté des CV. J’allais dans toutes les boites de production de Paris et je disais : « Je viens pour le casting. » On me répondait : « Mais pour quel film ? Ici, on fait des dessins animés. » Je disais alors : « Je viens pour faire une voix. » Ailleurs, on me disait : « Ici, on fait des documentaires. » Je répondais : « Vous ne cherchez pas quelqu’un pour tenir la caméra ? »…
Pourquoi cet entêtement ?
Rachid Djaïdani : J’ai toujours aimé l’art, la création. J’aime la liberté que s’accordent les artistes. Je viens d’un univers où ce n’était pas l’apanage de tout le monde. À cette époque-là, j’étais boxeur. J’aimais les mecs comme Muhammad Ali : je pensais qu’être boxeur, c’était faire le show. Les mecs de la fédération me disaient : « Tu as du potentiel, tu boxes bien, respecte tes adversaires. Cela ne sert à rien de faire tes galipettes sur le ring ! »
Pourquoi avez-vous abandonné votre carrière d’acteur ?
Rachid Djaïdani : J’ai arrêté de répondre présent pour ces rôles caricaturaux, qui ont fait du mal à beaucoup de monde d’ailleurs. Cela a développé une image tellement négative sur les uns et les autres que j’ai dit basta. J’ai rencontré le metteur en scène Peter Brook, qui m’a permis pendant cinq ans de faire le tour du monde. J’ai joué dans Hamlet, dans Tierno Bokar, le sage de Bandiagara et dans Le Costume (pièce sud-africaine sur les townships, ndlr). Quand j’ai eu fini de jouer avec Peter, j’ai pu me dire : « Là, j’ai une sérieuse formation d’acteur. » Mais on m’a encore demandé de jouer des rôles de caillera au cinéma, alors là j’ai dit stop. Je ne rejouerai plus jamais dans cette cour.
Qu’avez-vous retenu de cette expérience avec Peter Brooke ?
Rachid Djaïdani : Ce que j’ai retenu de l’expérience avec Peter, c’est la notion clé de sa démarche : le partage. Être à l’écoute et en résonance avec le monde qui nous entoure, les êtres qui nous sont proches. Et de travailler ainsi ce que j’appelle la justesse. Puis ne pas se détacher de la réalité du fait que tu sois acteur ou autre. Il faut toujours resté ancré dans la réalité. J’ai appris quelque chose de super beau avec Peter, c’est toujours prendre conscience de la distinction entre l’ordinaire et l’extraordinaire.
©Saphirnews/Samba Doucouré.
Pourquoi vous lancez-vous dans le projet de Rengaine ?
Rachid Djaïdani : Je tiens une caméra dans la main depuis que j’ai 14 ans. C’est moi qui filmais les mariages dans le quartier. J’ai tout le temps filmé. Le film Rengaine (sorti fin 2012, ndlr) est la suite logique d’un processus. Après toutes ces expériences au théâtre, en littérature et au cinéma, j’avais envie de mettre en scène. Il fallait que je mette en place mon cinéma, ma colère, ma révolte et ma poésie au travers d’une histoire originale qu’est Rengaine.
Le tournage a duré neuf ans. Comment avez-vous gardé la motivation ?
Rachid Djaïdani : J’ai la foi, mec ! La foi en mon travail, en la résonance de l’écho qui me fait vibrer chaque jour. Je n’ai pas la vérité, mais je sais que j’ai la mienne et qu’elle a du sens. J’ai réussi à comprendre, avec l’expérience de la vie, que la lumière, c’était moi. Elle est en moi la lumière ; et il ne faut pas que j’essaye de la voir jaillir dans le regard de l’autre.
Avant Rengaine, vous étiez connu pour vos livres. C’est fini la littérature ?
Rachid Djaïdani : Oui, c’est trop de souffrance pour trop peu d’universalité en face de moi. Arrivé à un moment, tu es face à une élite qui distribue les bons points. Je n’ai pas envie d’être validé par eux. Peut-être que demain j’écrirai un livre mais en mode guérilla, comme pour Rengaine. Edité par moi et où je mets de la punchline, à ma manière, sans avoir à demander la permission. Je ne supporte pas de devoir lever le doigt pour créer. Cela me fait trop mal.
La littérature est-elle un monde impitoyable ?
Rachid Djaïdani : Je suis rentré dans le monde de la littérature avec une vraie naïveté et j’en ressors avec une grande expérience. C’est un monde où les places sont chères et à travers lequel tu rentres dans l’histoire de France. Donc quand tu viens avec une littérature française dont tu as rajeuni le langage, certaines personnes peuvent se sentir froissées. Mais moi, j’étais super heureux de faire ce que j’ai fait. Il faut savoir que je viens d'une CPPN (classe pré-professionnelle de niveau, pour les élèves de 4e et 3e en échec scolaire, ndlr). A mon époque, c’était l’ultime insulte de traiter quelqu’un de CPPN là d’où je viens.
On ressent ce décalage quand on revoit les archives de votre passage dans « Bouillon de culture », l’émission de Bernard Pivot.
Rachid Djaïdani : J’étais un vrai gars des quartiers sensibles avec une sensibilité à fleur de peau. Je me retrouve avec Bernard Pivot qui remet tout le monde en place en leur disant : « Ce n’est pas du hip-hop, c’est de la littérature. » Tout à coup, on me dit que je suis un poète. Je me dis : « Laisse tomber. Je vais retourner au quartier, les mecs vont tous se foutre de ma gueule. » On est à cette époque-là en 1999. J’ai une vingtaine d’années et une amie styliste qui s’appelle Gigi Lepage. Je lui ai demandé si elle ne pouvait pas m’aider car je n’avais rien à me mettre. Elle m’a filé un sweat et tu sais quoi ? J’étais tellement heureux d’avoir un sweat ! Pour moi, c’était un objet précieux. Je sortais de l’entraînement de boxe, je venais de me froisser avec des lascars. Et je suis venu à France Télévisions avec des potes pour Bouillon de culture. A la suite de cette émission, Boumkeur est devenu un best-seller. Derrière, il y a eu Faïza Guène et d’autres qui portent haut l’étendard de la littérature.
Comment vous vient l’idée du film Tour de France ?
Rachid Djaïdani : En 1999, à la suite de mon apparition à la télévision, des mecs de Lyon me proposent − bien que je ne sois pas rappeur et que le slam n’existe pas encore – d’écrire un texte et de le poser sur une musique qu’ils ont composée. Ils viennent de chez eux jusqu'à Paris. Dans leur véhicule, ils avaient installé un home-studio. J’accepte de les suivre avec toujours ma caméra à la main. Je me suis dit que j’adorerais faire un film avec des mecs qui traverseraient la France. Pendant deux ans, je me suis mis à écrire Tour de France.
D’où est venue la rencontre avec Gérard Depardieu ?
Rachid Djaïdani : C’est grâce à l’attaché de presse Hassan Guerrar, ami très proche de « Tonton » (Gérard Depardieu, ndlr), qui lui a soumis mon scénario et suggéré l’idée de me rencontrer.
Gérard n’a pas voulu le lire, on s’est vu directement et, en moins d’un quart d’heure, il m’a dit OK : « Ton histoire, tu viens de me la raconter, tu n’as pas besoin de m’en dire plus. Tu l’as dans les yeux. Ton film, on va le faire. Serre-moi la pogne. » On dirait une fiction, mais la vie est faite de bénédictions.
Gérard n’a pas voulu le lire, on s’est vu directement et, en moins d’un quart d’heure, il m’a dit OK : « Ton histoire, tu viens de me la raconter, tu n’as pas besoin de m’en dire plus. Tu l’as dans les yeux. Ton film, on va le faire. Serre-moi la pogne. » On dirait une fiction, mais la vie est faite de bénédictions.
Peut-on dire que le duo Serge-Far’Hook, c’est la rencontre entre deux France que tout oppose ?
Rachid Djaïdani : C’est la rencontre entre une seule et même France mais qui, au quotidien, est divisée car cela sert le jeu politique : quel intérêt à ce qu’on vive en communion ? Dans le film, j’ai mis en scène le monde ouvrier qui se retrouve, ce monde qui ne se parle plus et qui n’existe plus que dans la peur et la haine de l’autre. Cela vaut dans les deux sens : Serge n’est pas plus facho ni plus beauf que Far’Hook. Les deux sont blessés parce qu’ils naviguent dans une France qui les a lâchés dans une mer agitée et sans terre à vue.
Bilal, le fils de Serge, est entre les deux et fait souffrir les deux personnages. C’est le traitre de l’histoire ?
Gérard Depardieu et Sadek.
Rachid Djaïdani : Je ne dirais pas que c’est le traitre. Je dirais que c’est un jeune homme qui, de par sa foi, sa conviction et sa trajectoire de vie, a été amené à se convertir et à être épanoui dans sa nouvelle religion. Dans le regard de son père, il y a une sorte de trahison. Mais Bilal est heureux, sa femme est enceinte, il s’épanouit dans sa musique. Ce qui va permettre à Serge de mieux comprendre son fils, c’est Far’Hook. Ce personnage est une manière de marquer l’époque où on est, c’est-à-dire que chacun doit avoir ses quêtes. L’aventure est un rite initiatique pour chaque personnage.
Pourquoi avoir choisi le peintre Joseph Vernet comme fil conducteur ?
Rachid Djaïdani : J’ai réalisé un documentaire sur le peintre Yassine Mekhnache, car j’ai voulu nourrir mon expérience autour de la peinture. Puis j’ai réfléchi à quel peintre serait percutant pour me permettre de traverser ce beau pays qu’est la France. Souvent, les peintres s’arrêtaient devant une cathédrale, des nénuphars et autres, mais sans avoir de trajectoire. Mon voisin m’a parlé de Joseph Vernet. La réalisation du documentaire m’a servi comme un actor studio. J’ai fait une immersion qui m’a permis de diriger un acteur qui incarne à la fois un peintre et un maçon. Un maçon qui peint avec une truelle !
Vous-même avez été maçon…
Rachid Djaïdani : Quand je lui demande de nettoyer la truelle, je sais ce que je lui demande. Un des sons qui me fait le plus vibrer, c’est celui d’une truelle qu’on nettoie. J’ai fait porter à Serge un bracelet de force en cuivre que portent souvent les travailleurs du bâtiment parce qu’ils ont des rhumatismes. Ce sont des petits détails qui m’ont marqué étant jeune.
Quel est votre rapport à l’islam ?
Rachid Djaïdani : Je m’interroge en interne, rarement à voix haute. Il y a des jardins que j’aime semer et récolter en délicatesse. Ce sont mes huis clos personnels.
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