Ramadan

Ramadan 2016 : l’unité retrouvée des fédérations musulmanes autour de la Nuit du doute

Rédigé par | Lundi 23 Mai 2016 à 13:00

Quel début pour quelle fin du mois du Ramadan cette année ? La question continue d’agiter les esprits mais elle devrait trouver une issue moins polémique que les années précédentes. L’Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui militait ouvertement pour l’annonce des dates du jeûne en avance, a choisi de se soumettre à la décision que prendra le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui sacrifie ainsi les débats sur l’autel de l’unité. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur s'exprime.



Marche arrière toute ! Présentée comme une avancée majeure pour les musulmans de France, la décision prise en 2013 par le Conseil français du culte musulman (CFCM) portant sur l’adoption d’un calendrier lunaire fixe fondé sur le calcul scientifique est bel et bien caduque. Après trois années de débats houleux autour de la détermination des dates du mois du Ramadan, les principales fédérations musulmanes ont choisi cette année d’unifier leur position à l’occasion d’une réunion commune organisée à la Grande Mosquée de Paris lors de la « Nuit du doute », « conformément à la tradition de l’islam » mais surtout à ce qui se faisait avant 2013. Celle-ci est fixée, pour le début du Ramadan, au 29e jour du mois de Chaabane de l’an hégirien, correspondant cette année au 5 juin ; quant à la fin du jeûne, cette Nuit du doute visant à déterminer la date de l’Aïd al-Fitr 2016 devrait être fixée au 4 juillet.

Tout en se fondant sur les prévisions des calculs astronomiques, c’est l’annonce de l’Arabie Saoudite qui va déterminer celle du CFCM, martèle Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris (GMP), lors d'un entretien accordé à Saphirnews. Le royaume saoudien car « elle abrite les lieux sacrés de La Mecque et de Médine. Quand La Mecque parle, tous les pays musulmans suivent », lance celui qui fut pourtant un des artisans de la décision en 2013 érigeant la méthode des calculs comme règle pour la détermination des mois islamiques.

Le retour « définitif » au principe d’une Nuit du doute

Avec du recul, ce fut « une erreur flagrante », estime Dalil Boubakeur, convaincu d’avoir fait le bon choix en se pliant à la vox populi. « Vous ne pouvez pas imaginer quelles furent les lamentations des fidèles (en 2013) ! Nous avons reçu des centaines de coups de fil, même de nos pèlerins en Arabie Saoudite qui ne comprenaient pas que les musulmans de France jeûnent avant eux… Ce choix avait créé une désunion grave parmi les musulmans et nous n’avons pas le droit d’attenter à l’unité. Que Dieu nous pardonne notre erreur que nous avons faite de bonne foi. Nous avons le droit de nous tromper », lance-t-il.

À l’époque, « nous avons été sensibles aux arguments sur les facilités que cela (la détermination des dates en avance, ndlr) octroyait pour les administrations, le monde du travail. On pensait que les avantages étaient supérieurs aux inconvénients ». Plus maintenant. Pour la GMP, le retour à la classique Nuit du doute est « définitif » et la détermination des mois du calendrier islamique n’est « plus un objet de débats » au CFCM. Il n’est donc plus question aujourd’hui d’un travail de pédagogie auprès des fidèles.

« Reporter l’application d’une décision n’est pas la solution. On pourrait le faire mais on aurait le sentiment qu’on voudrait suivre coûte que coûte un principe, aussi bon soit-il, alors qu’à l’expérience, elle n’entraîne pas l’ensemble de la oumma. (…) La vision oculaire reste la plus juste interprétation des prescriptions coraniques. La charia, ce n’est pas la recherche de votre vérité ou de votre interprétation, mais c’est la recherche du consensus (ijma’) qui n’a pas été atteinte sur la question », indique le recteur.

De son côté, Anouar Kbibech, président du CFCM et du Rassemblement des musulmans de France (RMF), proche du Maroc, se montre raccord avec la GMP, à la différence qu'il est convaincu du bien-fondé de la décision prise en 2013. « Le RMF est intimement convaincu des bienfaits d’un calendrier fixe déterminé en avance, mais on s’est rendu compte que, à l’application, l’unité ne s’est pas confirmée. Nous restons très pragmatiques au sein du RMF : notre objectif est d’unifier les musulmans sur un même début et une même fin pour le Ramadan, en tenant toujours compte des calculs mais aussi des annonces des pays musulmans », fait-il part.

Le retour de l’UOIF à la table du CFCM

Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur aux côtés d'Amar Lasfar, président de l'UOIF.
Jusqu’au Ramadan 2015, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), fidèle au principe de la vision oculaire anticipée grâce aux calculs astronomiques, avait pris le parti d’annoncer les dates du jeûne en avance. À présent, la direction de la fédération, qui négocie sa réintégration au CFCM qu’elle a quitté après le boycott des élections en 2013, est prête à donner ses bénédictions à toute décision qui sera prise à la GMP. L’UOIF, présidée par Amar Lasfar, sera elle-même présente aux réunions des « Nuits du doute », nous confirme-t-on.

Une décision que Fouad Alaoui approuve. L’ex-président de l’UOIF, aujourd’hui gérant de la société Gedis qui organise l’espace commercial du Rassemblement annuel des musulmans de France, estime que « l’unité des musulmans dans chaque pays est primordiale. On ne peut pas demander à tous les musulmans d’avoir comme référence le Conseil européen de la fatwa (CEFR) », à la source des décisions de l’UOIF quant à la détermination des dates du Ramadan. Adhérant au principe actuel édicté par le CFCM pour fixer le mois du jeûne, il juge qu’« il ne faut pas ignorer ni minorer l’impact psychologique de la déclaration de l’Arabie Saoudite, (ni) couper le lien affectif avec La Mecque dans la conception musulmane ».

Cette position est loin de faire l’unanimité au sein de l’UOIF. Le Conseil théologique musulman de France (CTMF), qui réunit en son sein l’ex-président de l’UOIF Ahmed Jaballah, a décidé en avril de trancher sur les dates du Ramadan 2016 : le premier jour du mois sera le 6 juin et l’Aïd al-Fitr le 5 juillet, sur la base de l’avis du CEFR.

Grandes absentes des débats, les fédérations turques. Celles-ci ont pour habitude, sans susciter de polémique en France, de se plier aux décisions de la Turquie, qui s’appuie depuis des décennies sur les calculs astronomiques pour produire un calendrier fixe. Reste à savoir la manière dont le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) gérera le dossier du Ramadan lors de son accession à la présidence du CFCM en 2017.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur